Pour la fin, pour les pressoirs. Suivant une autre version : Chant de
triomphe pour les pressoirs. Suivant une autre : Pour l' auteur de la victoire
sur la lyre de Geth. Dans le texte hébreu : Lamanasse al haggethith, (v.
1). - «O Dieu, notre souverain Maître, que ton Nom est admirable par toute la
terre !» Une autre version porte : «Que ton Nom est grand !» (v.
2).
David terminait ainsi le psaume précédent : «Je rendrai gloire au
Seigneur à cause de sa Justice, je chanterai le Nom du Très-Haut». (Ps 7,18) Il
accomplit ici sa promesse et offre à Dieu le tribut de ses chants. Dans le
premier psaume, il ne prie qu'en son nom personnel : «Seigneur mon Dieu, j'ai
mis en Toi mon espérance, sauve-moi.» (Ibid. 2). Dans celui-ci, au contraire,
c'est au nom d'un grand nombre qu'il s'adresse à Dieu : «O Dieu, notre
souverain Maître, que ton Nom est admirable par toute la terre !» Faites
silence et prêtez une oreille attentive. Lorsqu'au théâtre, des choeurs inspirés
par le démon se font entendre, on écoute dans le plus grand silence leurs chants
si dangereux; et cependant ces choeurs ne sont composés que d'histrions et de
danseurs, ils n'ont pour les diriger qu'un misérable joueur de lyre, et ils ne
font entendre que des chants sataniques et pernicieux en l'honneur de l'esprit
du mal, l'auteur de tout crime. Ici, au contraire, le choeur n'est composé que
d'hommes religieux, celui qui le dirige est un prophète, ses cantiques lui sont
inspirés non par le démon, mais par la grâce de l'Esprit saint; l'objet de ses
chants ce n'est pas le démon, c'est Dieu. Dans quel profond silence et avec
quelle crainte religieuse ne devons-nous donc pas les entendre ? En les
écoutant, nous ne formons qu'un seul choeur avec les puissances célestes, car
l'office des choeurs des chérubins et des séraphins, c'est de célébrer
éternellement les louanges de Dieu. Ce sont ces choeurs qui se firent entendre
sur la terre et unirent leurs voix à celles des bergers qui veillaient sur leurs
troupeaux. (Lc 1,13) Prêtons donc l'oreille à ce cantique. Ceux qui célèbrent
les louanges des rois de la terre leur parlent de leur puissance, de leurs
victoires, de leurs triomphes. Ils rappellent les nations qu'ils ont subjuguées,
ils leur prodiguent les titres de conquérants, de vainqueurs des peuples
barbares, et d'autres du même genre. C'est un chant semblable que le saint roi
adresse à Dieu. Il y célèbre en état des guerres heureusement terminées, des
victoires, des conquêtes beaucoup plus difficiles que les victoires et les
conquêtes de la terre. Voyons comme il débute : «Ô Dieu, notre souverain
Maître.» Pour ceux qui ne croient point en Lui, Dieu n'est leur Seigneur que
d'une seule manière; Il est le nôtre à double titre, et parce qu'Il nous a tirés
du néant, et parce qu'Il nous a fait la grâce de Le connaître. Et voyez comme
dès le début, le roi-prophète nous rappelle en abrégé ses bienfaits. Si vous
considérez en effet comment Dieu est devenu votre Seigneur, comment Il a daigné
rendre son amitié et la vie à ceux qui étaient éloignés de Lui, à ses ennemis et
à ceux qui étaient plongés dans la mort, vous verrez clairement que cette
invocation est comme le magnifique sommaire de ses bienfaits. Dans l'étonnement
que lui causent tant de merveilles le prophète s'écrie : « Que ton Nom est
admirable !» c'est-à-dire, il est souverainement admirable. Il n'entreprend pas
de dire combien ce Nom est admirable, cela n'est pas possible, mais il exprime
comme il peut la grandeur et l'excès de son admiration. Que dire maintenant de
ceux qui veulent scruter avec une curiosité téméraire l'Essence de Dieu ?
Son Nom seul jette le prophète dans une admiration qui le saisit d'étonnement,
comment donc excuser ceux qui prétendent connaître l'Essence de Dieu, alors que
le saint roi David n'a pu même nous dire toute l'admiration dont son nom était
digne ! «Que ton Nom est admirable !» Par la vertu de ce nom, la mort a été
vaincue, les démons ont été enchaînés, le ciel a cessé d'être fermé, les portes
du paradis se sont ouvertes, l'Esprit saint a été envoyé, les esclaves ont
recouvré la liberté, les ennemis sont devenus des enfants, les ennemis des
héritiers, les hommes des anges. Que dis-je, des anges ? Dieu S'est fait homme,
et l'homme est devenu Dieu, le ciel a élevé jusqu'à Lui la nature humaine et
terrestre, et la terre s'est unie à Celui qui est assis sur les chérubins, au
milieu des cohortes des anges. La muraille de séparation a été détruite, la
barrière a été renversée, l'union a fait place à la division, les ténèbres ont
disparu, la lumière a brillé dans tout son éclat, la mort a été absorbée dans sa
victoire.
C'est en contemplant ces merveilles et d'autres plus grandes encore, que le
prophète s'écrie : «Que ton Nom est admirable par toute la terre !» Où sont
maintenant les Juifs qui s'élèvent impudemment contre la vérité ? Je leur
demanderais volontiers de qui le roi-prophète veut ici parler ? Du
Tout-Puissant, me diront-ils. Mais son Nom n'était pas un objet d'admiration
pour toute la terre, j'en prends à témoin Isaïe lorsqu'il leur dit : «Vous
êtes cause que le Nom de Dieu est blasphémé parmi les nations.» (Is 52,5), si
les serviteurs du vrai Dieu étaient cause que son Nom fut blasphémé, comment
pouvait-il être admirable ? Ce Nom est admirable par sa nature, qui en
doute ? Mais alors, loin d'être admirable aux yeux des hommes, il était
bien plutôt un objet de mépris. Il n'en est pas ainsi aujourd'hui. Dès que le
Fils unique de Dieu fut descendu sur la terre, le Nom de Dieu devint admirable
dans la Personne du Christ. «Depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon
Nom est glorifié parmi les nations.» (Ml 1,11). Et encore : «On offre en
tout lieu un encens agréable et une oblation pure à mon Nom. Mais pour vous,
vous avez déshonoré mon Nom.» (Ml 1,11-12). Un autre prophète dit encore : «La
terre a été remplie de la connaissance de Dieu.» (Is 11,9). Et un autre : «Les
nations viendront à Toi en disant : Vraiment nos pères ont adoré de fausses
idoles.» (Jr 16,19).
2. Vous voyez que ces paroles doivent s'appliquer à la Personne du Fils. Car
c'est son Nom qui est devenu admirable par toute la terre. «Parce que ta
Magnificence est élevée au-dessus des cieux.» Suivant une autre version :
«Toi qui a élevé ta louange au-dessus des cieux.» Le roi-prophète vient de
parler de la terre, il s'élève maintenant jusqu'au ciel, suivant sa coutume, et
il montre ainsi l'union du ciel et de la terre pour louer leur souverain Maître.
C'est ce qu'il veut prouver en proclamant que le Nom de Dieu est admirable sur
la terre, admirable aussi dans les cieux. Car non seulement les hommes, mais les
anges eux-mêmes célèbrent les oeuvres du Créateur, et Lui rendent grâces pour
les bienfaits dont Il a comblé les hommes; c'est ce qu'ils ont déjà fait dès le
commencement, lorsqu'ils chantaient en choeur les merveilles de la création.
David veut donc exprimer ici ou les chants des anges ou la Grandeur de Dieu. En
effet, lorsque l'Écriture veut nous représenter quelque chose de grand, elle
apporte pour exemple la distance qui sépare le ciel de la terre : «Autant les
cieux sont élevés au-dessus de la terre.» Et encore : «Autant le coucher est
éloigné de l'aurore, autant Il a éloigné de nous nos iniquités» (Ps 102,11-12).
Le psalmiste est donc saisi d'admiration à la vue de la grandeur extraordinaire
des oeuvres de la création; car Dieu a revêtu la nature la plus faible d'une
force supérieure à toutes les autres.
«C'est de la bouche des nouveaux-nés et des enfants à la mamelle que Tu as
tiré ta louange la plus parfaite» (Ibid. 3). Une autre version porte : «Tu as
fondé ta louange». Une autre : «Tu as établi ta Force.» Ces paroles signifient :
Tu as donné une preuve éclatante de ta Puissance en faisant servir à ta Gloire
l'âge le plus faible, et en déliant la langue encore bégayante des enfants pour
chanter tes louanges.» David prédit ici l'hymne triomphal que les enfants
chantèrent dans le temple. (Mt 21,15). Et pourquoi donc parmi tant d'autres
miracles qu'il passe sous silence, les morts ressuscités, les lépreux guéris,
les démons chassés, le roi-prophète choisit-il de préférence ce prodige dont les
enfants ont été les instruments ? Parce que ces miracles avaient eu des
précédents d'une conformité à peu près semblable, excepté quant à la manière
dont ils s'étaient accomplis. En effet, Elisée avait ressuscité un mort (4 R
4,35), et guéri un lépreux, (4 R 5,14); David avait mis le démon en fuite
lorsqu'il s'emparait de Saül, (1R 16,23); mais c'était la première fois qu'un
choeur d'enfants nouveau-nés se faisait entendre. Pour confondre l'impudence des
Juifs qui oseraient dire que David avait eu en vue ce qui s'était passé dans
l'Ancien Testament, il choisit un miracle jusqu'alors inouï, et qui n'eut lieu
qu'une seule fois sous le Nouveau. Ce miracle était du reste la figure de ce qui
devait arriver pour les apôtres : ils étaient de faibles enfants plus muets que
les poissons eux-mêmes, et cependant ils ont pris dans leurs filets l'univers
entier. C'est l'oeuvre de la Puissance de Dieu, comme l'atteste le prophète en
parlant de Dieu le Père. Écoutez ce qu'il dit à Moïse : «Qui a fait le muet, et
le sourd, l'aveugle, et celui qui voit?» (Ex 4,11). Et ces autres paroles
d'Isaïe : «C'est Lui qui donne une langue prompte et rapide à ceux qui l'ont
embarrassée.» (Is 35,6); et encore : «Le Seigneur m'a donné une langue éloquente
afin que je sache quand je dois parler» (Is 50,4). Dieu avait dit aussi dans le
commencement : «Venez, descendons, et confondons leur langue.» (Gn 40,7). La
démonstration était donc ici aussi forte qu'évidente. Ces esprits impudents
pouvaient élever sur les autres miracles quelques difficultés quoique sans
fondement, mais ici ils ne pouvaient rien dire, car la nature était directement
en opposition avec elle-même. Aussi David ne dit pas seulement : «De la bouche
des enfants» pour ne point donner à penser qu'il voulait parler de ceux qui ont
l'innocence et la simplicité de l'enfance, mais il ajoute : «et de ceux qui sont
à la mamelle» exprimant ainsi l'âge dune manière précise par le genre même de la
nourriture. En effet, au lieu de dire simplement : « Des enfants», il ajoute :
«de ceux qui sont encore à la mamelle», c'est-à-dire qui ne peuvent encore faire
usage d'une nourriture plus substantielle. Ce qu'il y a ici de plus digne
d'admiration, n'est pas seulement que ces enfants aient parlé d'une manière
claire et distincte, mais qu'ils aient annoncé des biens innombrables. Car ils
célébrèrent dans leurs chants ce que les apôtres ne savaient pas encore. Le
roi-prophète nous donne un autre enseignement, c'est que pour être digne de la
doctrine de la vérité, il faut devenir des enfants par le coeur (Mt 18,3). Celui
qui ne reçoit pas le royaume des cieux comme un petit enfant, nous dit Jésus
Christ, n'y pourra jamais entrer.
«Pour détruire votre ennemi.» Le prophète nous fait connaître la cause de ce
miracle. Les autres prodiges n'avaient point pour but de confondre des ennemis,
mais de faire du bien à ceux qui en étaient l'objet, et d'instruire ceux qui en
seraient témoins. Mais ce miracle eut surtout pour objet de fermer la bouche des
ennemis du Sauveur, ce qu'un autre interprète exprime plus clairement en
traduisant : «Pour confondre ceux qui vous chargent de chaînes.» Une autre
version porte : «Pour réprimer l'ennemi, et celui qui veut se venger»,
c'est-à-dire le peuple juif. Les Juifs poursuivaient Jésus Christ comme un
ennemi; et ils se couvraient de ce prétexte qu'ils vengeaient en cela l'honneur
de Dieu outragé. Mais le Sauveur leur ôte cette excuse lorsqu'Il leur dit :
«Celui qui Me hait, hait aussi mon Père.» (Jn 15, 23). Et encore : «Celui qui
croit en Moi, croit en Celui qui M'a envoyé.» (Jn 12, 44). Toujours il associe
Dieu son Père à l'honneur comme aux outrages qu'Il reçoit. Voyez l'exactitude du
langage du Prophète. Il ne dit pas : «pour châtier», mais : «pour détruire», ce
qu'un autre interprète exprime ainsi avec plus de clarté : «pour faire cesser»
c'est-à-dire qu'il faut non pas les instruire, mais réprimer leur impudence, car
leur maladie était incurable. Aussi, à la vue de ce miracle contre lequel ils ne
pouvaient rien objecter, ils dirigèrent leurs attaques contre le Sauveur :
«N'entends-Tu pas ce qu'ils disent ?» (Mt 21,16). Ce qu'ils devaient faire,
c'était de tomber à ses Pieds et de L'adorer dans un sentiment d'admiration.
Mais non, leur incertitude est extrême, et au lieu de se dire les uns aux autres
: «Tu n'entends pas ce qu'ils disent», c'est à Jésus Christ Lui-même qu'ils
adressent cette question. Et pourquoi la voix des anges ne se fit-elle pas
entendre au lieu de la voix des enfants ? Parce que les Juifs l'auraient
regardée comme une chose imaginaire, comme une illusion, tandis qu'ils ne
pouvaient soulever ici la moindre objection. Or, que disaient les enfants ? Rien
de désagréable, de fâcheux, et qui fût capable de les blesser. Ils proclamaient
simplement l'harmonie qui régnait entre son Père et Lui : «Béni soit,
disaient-ils, Celui qui vient au Nom du Seigneur.» (Mt 21,9).
3. C'est alors que Dieu confondit leur impudence et détruisit ensuite la
ville de Jérusalem, et il n'est aucune partie de la terre qui soit restée
étrangère aux calamités de la nation juive. Celui qui a le corps mutilé va
partout montrant ses blessures; de même encore les juges, après avoir puni de
mort plusieurs homicides, font suspendre l'un d'eux à un gibet, afin que le
supplice infligé à un cadavre contienne les vivants dans le devoir. Ainsi Dieu a
proposé en exemple à tous les hommes, non pas des morts, mais des vivants, en
dispersant les Juifs par toute la terre; et ceux qui n'habitaient qu'une seule
contrée sont maintenant répandus dans tout l'univers. Si vous en demandez la
raison, vous n'en trouverez pas d'autre que le crime d'avoir crucifié Jésus
Christ. Car pourquoi un châtiment semblable ne leur avait-il pas encore été
infligé ? Nous voyons bien que dans les temps anciens ils ont été emmenés
captifs chez un seul peuple et pour un petit nombre d'années. Mais aujourd'hui
quelle différence ! Leur châtiment n'a point de fin. Et si vous leur demandez :
Pourquoi avez-vous crucifié Jésus Christ ? Ils vous répondront : Parce que
c'était un séducteur et un imposteur. S'il en était ainsi, Dieu aurait dû vous
combler d'honneurs et reculer vos frontières pour vous récompenser d'avoir fait
une chose qui Lui est agréable. Car punir de mort un séducteur et un imposteur
c'est frapper un ennemi de Dieu, c'est faire une action digne de louanges.
Phinées, pour avoir mis à mort une seule femme de mauvaise vie, fit une oeuvre
si agréable à Dieu qu'il fut jugé digne de l'honneur du sacerdoce (Nb 25,12-13).
Et cependant vous qui aviez droit de prétendre à de bien plus grandes
récompenses si vous aviez mis à mort un séducteur, comment se fait-il que vous
menez une vie errante par toute la terre, sans avoir de demeure certaine ? Ne
cherchons point d'autre cause à ce châtiment que le crime que vous avez commis
en crucifiant votre Protecteur, votre Bienfaiteur, et le Docteur qui venait vous
enseigner la vérité. Encore une fois, s'Il avait été un séducteur, un ennemi de
la Divinité, s'Il eût voulu Se faire passer pour Dieu, sans L'être en effet, et
usurper la gloire qui n'est due qu'à son Père, Dieu vous devait de plus grands
honneurs qu'à Phinées, qu'à Samuel et à tant d'autres, pour avoir déployé un si
grand zèle dans la défense de la loi. Et cependant vous êtes aujourd'hui frappés
d'un châtiment que vous n'aviez point éprouvé lorsque vous adoriez les idoles,
que vous viviez dans l'impiété, et que vous répandiez le sang de vos enfants. Et
vous n'avez aucun moyen de vous soustraire à ces calamités. Vous menez comme des
exilés une vie errante et vagabonde, asservis aux lois romaines, parcourant la
terre et les mers, sans demeures, sans villes, sans asile, réduits à une
honteuse servitude, privés à la fois de la liberté, de la patrie, du sacerdoce,
et de toutes vos prérogatives passées, dispersés au milieu des barbares et de
mille peuples divers, devenus un objet d'horreur et d'abomination pour tous les
hommes, et exposés aux outrages de tout l'univers. Et justement certes, car ne
dites pas que vous avez été récompensés pour avoir mis à mort un ennemi de Dieu,
ce serait une extravagance et une absurdité. Ce que vous souffrez maintenant
n'est point le partage de ceux qui font périr les ennemis de Dieu, mais le
châtiment de ceux qui mettent à mort ses amis.
Mais mon ami, me diront-ils, tel n'est point notre langage, c'est pour nos
péchés que nous souffrons ces épreuves. Vous finissez donc par l'avouer, malgré
votre incrédulité, et quels péchés avez-vous donc commis ? Est-ce la première
fois aujourd'hui que vous vous êtes rendus coupables ? Il est certain que votre
vie est maintenant beaucoup moins répréhensible qu'autrefois, mais nous n'en
sommes pas encore là. Je vous demanderai volontiers en ce moment pourquoi,
malgré les crimes que vous avez commis précédemment, vous n'avez cessé
d'éprouver les effets de la Bonté de Dieu, tandis que nous voyons aujourd'hui le
contraire, et ce qui est le plus étonnant, bien que vous soyez beaucoup moins
coupables ? Car alors vous vous consacriez à Béelphézer (Nb 25); vous adoriez le
veau d'or (Ex 3, 2); vous immoliez vos fils et répandiez le sang de vos filles
(Ps 105,37-8; Ex 14 et 17), malgré les miracles qui se multipliaient sous vos
yeux. Aujourd'hui vous ne voyez ni la mer s'entr'ouvrir devant vous, ni le
rocher se fendre, vous n'avez plus de prophètes, et vous n'éprouvez plus les
effets sensibles de la Providence divine, et cependant votre conduite est plus
conforme aux principes de la justice. Pourquoi donc des fautes moins grandes et
une conduite plus sage et plus juste, sont-elles suivies d'un châtiment plus
sévère ? N'est-il pas évident même pour les plus aveugles, que c'est parce
que vous êtes aujourd'hui coupables d'un crime beaucoup plus énorme ? Tant que
vous n'avez péché que contre les serviteurs, en lapidant et en tuant les
prophètes, vous avez obtenu le pardon de vos crimes; mais après que vous avez
porté des mains violentes sur le Seigneur Lui-même, vos blessures sont devenues
incurables. Aussi, voilà quatre cents ans déjà que le sol où était bâti votre
ville a comme disparu, que votre sacerdoce a cessé d'exister, que votre royaume
est détruit, que vos tribus sont confondues, que tant d'autres privilèges aussi
augustes qu'éclatants vous ont été enlevés, sans qu'il en reste aucun vestige,
ce qui jamais n'était arrivé dans les temps anciens. Lorsque le temple fut
détruit pour la première fois, vous aviez encore les prophètes, les Grâces de
l'Esprit saint et les miracles; mais aujourd'hui, pour vous faire comprendre
clairement que Dieu S'est éloigné à jamais de vous, tous ces avantages vous ont
été retirés pour faire place à la servitude, à la captivité, à une ruine
complète, et, ce qui est le plus déplorable, au délaissement le plus absolu de
la part de Dieu.
4. Dieu S'est conduit à votre égard comme un maître ferait vis-à-vis d'un
serviteur sans intelligence, que les coups n'ont pu corriger; il le laisserait
dépouillé de ses vêtements, réduit à une extrême misère, errant, mendiant son
pain, recevant partout des rebuts. Tel n'était point autrefois votre sort; vous
aviez alors des prophètes dans l'Égypte, à Babylone, comme dans le désert; Moïse
dans l'Égypte, Daniel et Ézéchiel à Babylone, et Jérémie encore dans l'Égypte;
les miracles succédaient aux miracles, et votre nation sortit plus éclatante de
ces épreuves, puisque plusieurs de vos captifs avaient une puissance supérieure
à celle des rois. Mais aujourd'hui, toutes ces faveurs ont disparu, et vous êtes
victimes d'un châtiment beaucoup plus sévère non seulement par sa durée, mais
par l'abandon complet où Dieu vous laisse. Expliquez-moi donc, comment, malgré
tous vos crimes, vous étiez alors l'objet d'une providence toute particulière,
tandis que le zèle pour votre loi, comme vous l'appelez, fait peser maintenant
sur vous de si dures épreuves. Il faut, remarquez-le bien, que vous accusiez
Dieu d'injustice, puisqu'Il aurait comblé les pécheurs de bienfaits, tandis
qu'Il couvrirait d'opprobres les hommes vertueux, observateurs de sa loi. Si en
effet, vous avez mis à mort un imposteur comme vous le dites, vous avez fait une
action louable, et si Dieu est juste, comme on n'en peut douter, Il devait vous
récompenser au lieu de vous punir. S'Il vous punit, il est évident que vous êtes
devenus plus coupables; mais si vous avez cessé de rendre comme autrefois un
culte impie aux idoles et de leur immoler vos enfants, quel est donc le crime
qui fait tomber sur vous ces terribles châtiments ? N'est-il point manifeste que
la croix que vous n'avez pas craint de dresser pour le Sauveur, a mis le comble
à tous vos crimes? Voilà la vraie cause de votre ruine, bien plus que votre
idolâtrie et le sacrifice de vos enfants. Car il y a une grande différence entre
mettre son fils à mort et crucifier son Seigneur et son Maître. Aussi, lorsque
vous immoliez vos enfants, vous avez obtenu le pardon de ce crime; mais après
avoir mis à mort le Fils de Dieu et votre Seigneur, vous êtes punis sans
espérance de pardon. Combien comptez-vous d'années depuis la sortie d'Égypte,
jusqu'à l'Avènement de Jésus Christ ? Quinze cents ans et plus, je pense.
Comment donc se fait-il que pendant tout cet espace de temps, Dieu vous a
supportés avec patience, malgré tant de crimes, et que maintenant Il vous ait
ainsi rejetés, alors qu'Il devait vous combler de bienfaits, quelles que fussent
d'ailleurs vos offenses ? Car enfin, vous avez vraiment fait une action d'éclat,
si vous avez mis à mort un imposteur. Ajoutez qu'aujourd'hui vous observez
religieusement le sabbat, vous avez renoncé au culte des idoles, et vous vous
efforcez d'accomplir avec la même fidélité tous les autres points de la loi.
Ainsi votre conduite est meilleure, vous avez en outre fait une action des plus
méritoires, et cependant vous êtes en proie à des maux extrêmes. Se peut-il une
folie plus grande, une extravagance plus coupable de chercher à vous justifier
aux dépens de la Justice de Dieu que vous attaquez par vos blasphèmes ? Si
l'action que vous avez commise contre Jésus Christ, loin d'être le plus grand de
tous les crimes, est, comme vous le dites, une action juste et louable, pourquoi
Dieu vous punit-Il puisque vous faites bien, Lui qui vous a épargnés lorsque
vous étiez coupables ? Non seulement Dieu, mais tout homme, faisant usage de son
intelligence, est incapable d'agir de la sorte.
Que répondent-ils à ces raisons ? Nous avons été dispersés pour devenir les
docteurs et les maîtres de toute la terre. Réponse frivole et dénuée de sens.
Ceux qui prétendent à l'honneur de devenir les maîtres des autres, doivent tout
d'abord s'en rendre dignes par une conduite irréprochable, comme les prophètes
et les apôtres. Mais comment les Juifs qui étaient pervertis et profondément
corrompus, pouvaient-ils être envoyés pour enseigner les autres ? Voyons en
effet, quelle avait été jusque-là leur vie. Nous découvrirons chez eux des
instincts pires que chez les bêtes féroces. C'étaient des parricides, des
bourreaux de leurs enfants, des adorateurs des idoles, des ravisseurs du bien
d'autrui, comme les prophéties ne cessent de le leur reprocher. Jérémie signale
en ces termes leur lubricité : «Ils sont devenus comme des chevaux qui courent
et qui hennissent après les cavales, chacun d'eux poursuivait avec une ardeur
furieuse la femme de son prochain» (Jr 5,8). Se peut-il quelque chose de plus
immonde ? Ils ne se contentaient pas de l'union légitime des hommes avec leurs
propres femmes, et c'est pour cela qu'il compare leur ardeur furieuse au
hennissement des chevaux. Et ce n'est pas seulement le crime de simple
fornication qu'il leur reproche, mais le crime d'adultère qu'ils commettaient
sans pudeur, comme des animaux sans raison. «Ceux qui faisaient des tapisseries
sont allés vers la même femme, dit un autre prophète, le père et le fils se sont
approchés de la même fille.» (Am 2,7). Est-ce pour cela, dites-moi, que Dieu
vous a envoyés comme les docteurs du monde pour nous enseigner la fornication,
l'adultère, et nous apprendre que le fils peut déshonorer la couche de son père
? Que vous reproche Ézéchiel ? «Vous n'avez pas même observé les principes de la
loi naturelle comme les nations païennes.» (Éz 5,7). Ainsi Dieu aurait donné
pour docteurs au monde ceux qui étaient pires que les païens eux-mêmes ? Mais
qui pourrait entendre sans frémir le récit de leurs homicides et de leurs
meurtres ? Ils ont immolé aux démons leurs fils et leurs filles, comme David le
leur reproche : «Ils répandirent le sang de leurs fils et de leurs filles qu'ils
immolèrent aux démons.» (Ps 105,37). Dites-moi encore, Dieu vous aurait-Il
envoyés pour enseigner aux hommes à sacrifier leurs enfants aux démons ? Vous ne
rougissez pas, vous n'êtes pas couverts de confusion d'avancer de semblables
absurdités ? Un autre prophète dit encore : «Le sang s'est mêlé au sang, les
blasphèmes, les mensonges, l'homicide, le vol, l'adultère, ont inondé la terre.»
(Os 4, 2). Un autre : «Vous avez pris le front d'une débauchée, vous êtes
devenus sans pudeur à l'égard de tous.» (Jr 3,3). Un autre encore : «Vos princes
sont devenus semblables aux loups d'Arabie.» (Éz 22, 2); (Sa 3,3). Un autre
enfin : «Il n'en est aucun qui ait de l'intelligence, aucun qui cherche Dieu.
Tous se sont détournés, tous sont devenus inutiles.» (Ps 12,2-3.
5. Ce serait donc pour nous enseigner l'oubli de toute pudeur, les égarements
les plus monstrueux, la fornication, l'adultère, toute espèce d'iniquité, que
Dieu vous aurait dispersés par tout l'univers ? Vous nous forcez sans cesse de
continuer la triste énumération de vos crimes. «C'est vous, dit Dieu par son
prophète, que je porte depuis votre naissance et que j'enseigne jusqu'à votre
vieillesse.» (Is 46,3-4). Vous êtes des aveugles qui vous précipitez les uns les
autres dans l'abîme. «Car, dit notre Seigneur, si un aveugle conduit un autre
aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse.» (Mt 15,14); (Lc 6,39). Quoi !
Vous qui ayez toujours eu des prophètes pour vous instruire sans en devenir pour
cela meilleurs, vous seriez les docteurs des autres hommes ? Vous ne cesserez
point d'afficher une prétention aussi absurde, et vous ne reconnaîtrez pas une
bonne fois l'énormité de votre crime ? Ce qui vous a toujours perdus, c'est de
n'avoir jamais voulu remonter à la véritable cause de vos malheurs. Voilà
pourquoi Dieu a fait pour vous ce que les juges font pour ceux qu'ils condamnent
à être frappés de verges. Ils les font suivre par des hommes qui crient et font
connaître à tous la cause de leur supplice, leurs vols ou leurs rapines. Ainsi
Dieu, en vous dispersant dans toutes les parties de l'univers, a commandé aux
prophètes de vous suivre pour révéler à tous la cause de vos châtiments. Ils
sont comme enchaînés avec vous par toute la terre, et ils ne cessent de faire
entendre leur voix. Si vous entrez dans les synagogues, vous les entendrez
proclamer constamment la même vérité.
David lui-même, décrivant le jugement inique de Caïphe qui fut bien plutôt un
brigandage, ne donne pas d'autre cause de votre ruine. Après avoir rapporté le
langage de vos princes : «Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de
nous», il ajoute : «Alors Il leur parlera dans sa Colère, et les confondra
dans sa Fureur.» (Ps 2,3-5). Isaïe de son côté, après avoir représenté le
Sauveur comme une brebis que l'on conduit à la boucherie, ajoute : «Je donnerai
les impies pour le prix de sa sépulture, et les riches pour la récompense de sa
mort» (Is 53,9). Et dans un autre endroit, parlant de la vigne comme emblème de
son peuple, il dit : «J'ai attendu que ce peuple fît des actions justes; et je
n'entends que des cris.» (Is 5,7). Quels sont ces cris ? «Crucifiez-Le,
crucifiez-Le.» (Lc 23,21). Et le prophète ajoute : «C'est pourquoi j'arracherai
la haie de cette vigne, elle sera exposée au pillage; et je commanderai aux
nuées de ne pleuvoir plus sur elle.» (Is 5,5-6). Point d'autre cause donc de
votre dispersion par toute la terre, que le crime d'avoir attaché le Sauveur à
la croix. Et pour vous donner une preuve éclatante de la Puissance de Jésus
Christ, et vous faire apprendre par vous-mêmes ce que les prophètes n'ont pu
vous enseigner, écoutez le témoignage que rendent les faits eux-mêmes. Ce que
votre loi n'avait pu vous apprendre, la Puissance surabondante de Jésus Christ
vous l'a enseigné. Tant que vous étiez sous l'empire de votre loi, vous
répandiez le sang, vous immoliez vos enfants, vous vous rendiez coupables
d'adultères. Mais aussitôt que le Soleil de justice a commencé à briller, vos
crimes ont diminué, et l'espèce de rivalité que vous nourrissiez contre nous,
vous a inspiré de mener une conduite plus régulière. Dieu vous a donc dispersés
parmi les nations de la terre, pour vous apprendre quel grand royaume Il est
venu fonder ici-bas, et Il a détruit votre temple, pour vous arracher comme
malgré vous à vos habitudes criminelles. Jésus Christ fut enseveli dans la ville
même où le temple avait été détruit, afin que ceux qui s'éloignaient de son
sépulcre vissent en même temps de leurs yeux le trophée de sa Puissance et
l'accomplissement de cette prédiction qu'il avait faite : «Il ne restera pas ici
pierre sur pierre.» (Mt 24, 2). Partout en effet, nous voyons des trophées et
des instruments de sa Puissance.
Or, si Jésus était comme vous le dites, un impie, un ennemi de Dieu, malgré
la multitude de vos crimes, vous n'auriez pas dû être punis comme vous l'êtes
aujourd'hui, et si vous méritiez ce châtiment, il aurait fallu au moins le
différer pour qu'il ne parût point la juste punition de la Mort du Sauveur.
N'avez-vous pas entendu ce que Dieu vous disait lors de votre captivité : «Ce
n'est pas pour vous que Je ferai ce que Je dois faire, mais c'est pour Moi, afin
que mon Nom ne soit point déshonoré.» (Éz 36,23). Et cependant vos crimes
étaient alors bien plus nombreux. Toutefois, dit Dieu, pour ne point donner à
croire aux natures barbares que je suis un Dieu faible, Je vous pardonne vos
iniquités et vous rends la liberté. Et quoi ! Pour ne point exposer son Nom à
être déshonoré, Il vous a sauvés alors malgré vos crimes, et Il ne l'aurait pas
fait aujourd'hui ? Vos iniquités fussent-elles innombrables, vous ne deviez pas
être punis si sévèrement dans l'hypothèse que Jésus est un imposteur,
puisqu'alors chacun croyait naturellement que sa Mort était la cause de vos
malheurs. Il fallait donc conserver votre nation, et différer le châtiment
qu'elle pouvait mériter. Au contraire, les deux choses se sont faites en même
temps. Les apôtres sortirent de Jérusalem quelque temps après le crucifiement du
Sauveur, une guerre affreuse, vint menacer votre malheureuse ville, et l'on vit
alors s'accomplir les prédictions de l'évangile : «Malheur aux femmes enceintes
et à celles qui allaiteront en ces jours-là.» (Mt 24, 24); et cette autre :
«La tribulation sera si grande qu'il n'y en a jamais eu de semblable.»
(Mt 24,21). En effet, les femmes se sont nourries de la chair de leurs
enfants; les ennemis ont ouvert le sein des femmes qu'ils avaient égorgées. Le
feu allumé par des mains barbares dévora tout, le sang coula par torrents, on
vit un spectacle inouï jusqu'alors, et l'univers entier retentit des calamités
de la nation juive. Pensez-y donc sérieusement, et reconnaissez votre Seigneur
et votre Dieu. Vous avez autrefois massacré des prophètes; avez-vous été punis
de la sorte ? Vous avez détruit les autels du vrai Dieu; avez-vous vu fondre sur
vous de semblables calamités ? Vous avez adoré le veau d'or, vous vous êtes
initiés au culte de Béelphégor, vous avez outragé les lois de la nature;
avez-vous eu à combattre des ennemis aussi cruels ? N'avez-vous pas été sauvés
malgré votre superbe ingratitude ? De quelle source sont donc sortis ces maux
qui vous accablent ? N'est-il pas évident que c'est du forfait que vous avez osé
commettre, non point contre les serviteurs de Dieu, mais contre le Seigneur
Lui-même ? Aussi, n'avez-vous aucun espoir de voir la fin de vos malheurs, et
vous ne l'aurez jamais. S'ils devaient avoir un terme, les prophètes l'auraient
prédit. Mais en prédisant votre captivité, ils n'en ont point annoncé le retour,
bien qu'ils mêlent constamment dans leurs prédictions les promesses aux menaces,
et qu'ils précisent la durée des épreuves. Ainsi Jérémie a fixé le terme de la
première captivité à soixante-dix ans. (Jr 29,10). Daniel lui-même précise
l'époque de soixante-dix semaines et demie. (Dn 9,23); et Dieu avait prédit que
la servitude d'Égypte durerait quatre cent trente ans. (Gn 15, 3). Mais pour
cette dernière captivité, ni la durée ni la fin n'en ont été indiquées. Votre
maison est laissée déserte, et chaque jour voit s'accroître vos malheurs.
6. Si vous voulez méditer sérieusement ces vérités et leur donner tout le
développement nécessaire (car, est-il écrit : Donnez une occasion au sage, et il
en deviendra encore plus sage; [Pr 9,9]), il vous sera facile de confondre
l'impudence et l'ingratitude des Juifs. «Quand je contemple les cieux, ouvrage
de tes Mains.» (Ibid 4). Une autre version porte : «Je vois les cieux, la lune
et les étoiles que Tu as créés», une autre : «que Tu as préparés», une autre :
«que Tu as établis.» Après avoir dit : «Tu as détruit tes ennemis», le
roi-prophète donne les preuves de cette éclatante victoire. Toi, Seigneur, qui
avais été crucifié et mis à mort, Tu as apparu comme le Créateur de l'univers
«Je verrai tes cieux.» David parle de la sorte, pour exprimer qu'un grand nombre
ne savaient pas que le Sauveur fut le créateur du monde, mais que tous Le
reconnaîtront par la suite en cette qualité. Et pourquoi ne fait-il pas ici
l'énumération de toutes les parties de l'univers ? Il a choisi parmi les choses
visibles, celles qui lui paraissaient les plus convenables au but qu'il se
proposait, sans s'arrêter à celles qui étaient inutiles. La destruction de ses
ennemis a donc été si complète, que Celui qu'ils avaient persécuté et mis à mort
a été reconnu pour le Créateur de toutes les choses visibles. Et pourquoi ne
dit-il pas : «l'ouvrage de tes Mains», mais : «l'ouvrage de tes Doigts» ? Il
veut nous montrer que les choses visibles sont une des oeuvres les moins
importantes de la Puissance divine, et faire ressortir cet acte étonnant de la
création qui tient les étoiles suspendues dans l'espace, bien que la nature des
fondements exige qu'ils soient jetés dans les parties inférieures, au lieu
d'être suspendus en l'air. Mais le merveilleux Artisan du monde, dont toutes les
oeuvres sont admirables, a, dans la création des choses visibles, fait bien des
oeuvres supérieures aux lois de la nature. Et pourquoi David ne dit-il rien des
puissances incorporelles qui font aussi ressortir la Puissance du
Créateur ? Parce que son but était d'enseigner les hommes par le spectacle
des choses visibles. C'est ainsi que Dieu le Père, dans ses fréquents entretiens
avec le peuple juif ne lui dit pas : J'ai créé les anges et les chérubins; mais
: «J'ai étendu les cieux, ma Main a fondé la terre, ma Droite les a affermis.»
(Is 48, 13); et le prophète dans tout son discours, ne parle que des choses
visibles, ne se proposant en tout que le salut de ceux à qui il s'adresse. Leur
esprit encore grossier les rendait plus sensibles aux objets qu'ils voyaient
qu'à ceux qu'ils ne pouvaient atteindre. Voilà pourquoi saint Paul commence tous
ses discours en parlant des créatures visibles : «Dieu, dit-il, qui a fait le
ciel, la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment.» (Ac 18,94). Et
toujours, nous le voyons donner pour exorde à ses prédications, ou les pluies
que Dieu répand annuellement sur la terre, ou l'origine et la création des
hommes. En effet, si je dis que Dieu a créé les chérubins, j'aurai deux choses à
prouver : l'existence des chérubins, et la manière dont ils ont été créés. Au
contraire pour les choses visibles, il me suffit de démontrer qu'elles tiennent
de Dieu leur existence; et cette démonstration est d'autant plus facile que les
yeux viennent lui prêter leur témoignage. Car l'auditeur peut contempler la
grandeur, la beauté, l'utilité de ces astres, leur fusion, leur course régulière
et pleine d'harmonie. Tous mes efforts doivent donc se borner à établir que
c'est Dieu qui les a créés. Et pourquoi David ne parle-t-il point du soleil,
mais seulement de la lune et des étoiles ? C'est qu'il est compris
nécessairement dans cette énumération. Comme il en est qui séparent la nuit des
oeuvres du Créateur, le roi-prophète prouve par l'astre des nuits que Dieu est
aussi l'Auteur de la nuit. Or, la variété des étoiles est bien grande, et ce
serait aussi un grand travail que de faire connaître les différentes phases de
la lune.
«Qu'est-ce que l'homme pour mériter ton souvenir, ou le fils de l'homme pour
que Tu descendes jusqu'à lui?» (Ibid. 5). Une autre version porte : «Qu'est-ce
que chaque homme pris individuellement pour que Tu Te souviennes de lui?» On lit
dans une autre version : «Tu le visites» au lieu de : «Tu le visiteras.» Après
la création dont il a fait comprendre le magnifique ensemble par une seule de
ses parties, le roi-prophète en vient à la Providence de Dieu sur les hommes. Ce
qu'il a dit des créatures visibles, aussi bien que de la Providence divine dont
elles sont l'objet, était déjà dans l'intérêt de l'homme, car ces créatures
n'existent que pour lui. Mais il veut nous faire ici connaître une autre forme
de la providence, et il ne se contente pas de nous en donner une idée
quelconque, il nous la représente en termes aussi sages que relevés. Il rend
grâces à Dieu au nom de toute la terre, célèbre en Lui cette inclination à faire
du bien qui s'étend à tous sans exception, et la grandeur du bienfait de
l'Incarnation en faveur de l'homme. Si l'homme n'était rien dès l'origine, à
plus forte raison lorsque Jésus Christ vint après tant de crimes énormes. Le
roi-prophète veut nous apprendre que la Venue de Jésus Christ, loin d'être
étrangère à la miséricorde, a été l'effet d'une souveraine bonté. Comme un
médecin compatissant, il a laissé ceux qui se portaient bien pour venir vers
nous qui étions malades, qui n'étions que néant. C'est ce que David veut
exprimer en s'écriant : «Qu'est-ce que l'homme ?» C'est-à-dire, c'est un néant,
un être de nulle valeur. La considération de cette Providence si grande de Dieu,
de ce soin si paternel, de tant d'oeuvres extraordinaires accomplies pour sauver
le genre humain, le jette dans un sentiment profond d'étonnement et
d'admiration, et il se demande comment l'homme a pu devenir l'objet tout
particulier de cette Providence divine. Car enfin, remarquez-le, toutes choses
ont été faites pour lui. Tous les événements qui se sont succédé depuis Adam
jusqu'à Jésus Christ n'ont eu pour objet et pour fin que le salut de l'homme.
C'est pour lui que Dieu a établi le paradis, pour lui qu'Il a donné la loi, pour
lui qu'Il a multiplié les châtiments, les prodiges, pour lui qu'Il a préparé les
supplices et les récompenses qui suivaient la transgression ou l'observation de
la loi, pour lui enfin que le Fils de Dieu S'est fait Homme. Qu'est-il besoin de
parler des biens que Dieu lui réserve dans l'autre vie ? C'est en considérant
tous ces bienfaits que le roi-prophète s'écrie : «Qu'est-ce donc que l'homme,
pour que Tu l'aies ainsi comblé de tant de grâces et de si grandes faveurs
?»
7. Si on veut méditer sérieusement les prodiges aussi nombreux qu'étonnants
que Dieu a opérés et qu'il opère encore tous les jours en faveur de l'homme, on
sera saisi d'admiration et l'on comprendra parfaitement combien l'homme est un
être cher à Dieu. «Tu l'as placé un peu au-dessus des anges.» (Ibid 6). Suivant
une autre version : «un peu au-dessous de Dieu.» Suivant une autre : «quelque
peu au-dessous de Dieu.» L'hébreu porte Outhasreou mat me Elohim. Le
roi-prophète veut ici parler de la condamnation prononcée contre le premier
homme, de son péché et de la mort qui en fut la suite. Mais le Fils unique de
Dieu a détruit la mort lorsqu'Il est venu sur la terre. «Tu l'as couronné de
gloire et d'honneur.» Une autre version porte : «Tu le couronneras de gloire et
de dignité.» On peut prendre ces paroles dans un sens historique ou dans un sens
anagogique. David rappelle à la fois la puissance que Dieu a donnée à l'homme
lors de sa création, et les biens dont l'Avènement de Jésus Christ a été pour
lui le principe. Au commencement du monde Dieu lui avait dit : «Que tous les
animaux de la terre vous craignent et vous redoutent, et commandez aux poissons
de la mer.» (Gn 9,2). Après la Venue de Jésus Christ, il a été dit aux apôtres :
«Marchez sur les serpents et sur les scorpions.» (Lc 10,19). Mais le
roi-prophète laisse de côté ces prérogatives et s'arrête à des avantages plus
modestes, en laissant aux esprits plus pénétrants les considérations plus
élevées. En effet, dans le Nouveau Testament l'homme est environné d'un honneur
et d'une gloire incomparables. Il a Jésus Christ pour chef, il fait partie de
son Corps, devient son frère, son cohéritier, il acquiert une heureuse
conformité avec le Corps du Sauveur, il est environné d'une gloire plus grande
que celle de Moïse, comme saint Paul le démontre lorsqu'il dit : «Nous ne serons
pas comme Moïse qui se couvrait le visage d'un voile; mais nous contemplerons la
Gloire du Seigneur sans avoir de voile sur le visage.» (2 Co 3,43-48).
C'est pour cela qu'il ajoute : «Cette gloire n'est pas une véritable gloire, si
on la compare avec la sublimité de celle de l'évangile.» (Ibid. 10). C'est de
cette gloire que le roi-prophète veut parler dans le sens anagogique. Que
peut-on comparer, en effet, à la gloire de faire partie des choeurs des anges,
d'être honorés de l'adoption divine, de voir que Dieu n'épargne même pas son
Fils à cause de nous ? Quelle pourpre, quel diadème, dont l'éclat ne le cède pas
à cette gloire qui nous fait insulter à la mort, et participer à l'impassibilité
des puissances incorporelles, nous qui étions auparavant un objet de mépris,
d'opprobre et d'abomination ? Adam fut entouré d'honneur aussitôt sa création,
sans avoir fait ni bien ni mal. Comment aurait-il pu agir avant d'exister ? Nous
au contraire, malgré les crimes nombreux dont nous étions coupables, nous avons
reçu en partage une gloire beaucoup plus grande. «Je ne vous appellerai plus des
serviteurs, nous dit Jésus Christ, car vous êtes mes amis.» (Jn 15,14-15). Nous
ne sommes plus un objet de confusion pour les anges, mais ils deviennent les
ministres de notre salut. C'est ainsi que nous voyons un ange venir trouver
Philippe ( Ac 8, 25), et beaucoup d'autres; c'est ainsi que nous les
entendons annoncer aux hommes la bonne nouvelle. Or ce n'est pas des biens de la
terre, mais des biens du ciel que nous sommes héritiers, nous devenons
participants du Christ, et nous entrons dans la société du Fils unique de Dieu.
(1 Co 1,9). Voilà tout ce que le roi-prophète veut exprimer par la gloire et
l'honneur dont il parle. C'est pour cela qu'un autre interprète traduit : «Tu le
couronneras d'honneur et de gloire.» Ce qui est une prédiction de ce qui doit
arriver.
«Tu l'as établi sur l'oeuvre de tes Mains.» (Ibid 7). Suivant une autre
version : »Tu lui as donné l'empire sur les oeuvres de tes Mains.» «Tu as mis
toutes choses sous ses pieds, toutes les brebis et tous les boeufs, et les bêtes
des champs» (Ibid. 8). Suivant un autre interprète : «Les animaux sauvages, les
oiseaux du ciel, les poissons de la mer, et tout ce qui parcourt les humides
sentiers.» (Ibid. 9). «O Dieu, notre souverain Maître, que ton Nom est grand par
toute la terre !» (Ibid. 10). En énumérant ces merveilles de la création, le
roi-prophète ne s'est pas contenté de parler des puissances célestes, mais il a
compris dans sa description les oeuvres extérieures et sensibles; ainsi, en
parlant de l'honneur que Dieu a fait à l'homme, il ne fait qu'indiquer les
prérogatives spirituelles et mystérieuses qui lui ont été communiquées, pour
s'étendre davantage sur les dons extérieurs qu'il a reçus et qui sont plus
propres à frapper les esprits grossiers. Quels sont ces dons ? L'empire de la
terre qui a été donné à l'homme. Une circonstance admirable, et que le
roi-prophète prend soin de relever, c'est que le péché de l'homme ne l'a point
dépouillé de l'honneur qui lui avait été accordé avant sa chute. «Tu ne l'as
qu'un peu abaissé au-dessous des anges.» C'est-à-dire Tu l'as condamné à mort en
punition de son péché; mais malgré cette condamnation, Tu ne l'as pas dépouillé
de ses prérogatives. Le roi-prophète en fait la remarque expresse pour nous
faire voir la Clémence ineffable de Dieu qui, malgré l'abaissement de l'homme
par suite de son péché, l'a laissé couronné de gloire et d'honneur et ne lui a
pas retiré l'empire qu'Il lui avait donné. Si cet empire se trouve un peu
affaibli, c'est par un effet de la Providence divine. Avant sa désobéissance,
l'homme dominait sur tous les animaux; après son péché, sa domination fut un peu
restreinte. L'homme commande encore aux animaux, mais par son adresse, et ce
n'est point sans crainte ni sans danger. Dieu ne lui a pas retiré tout le
pouvoir qu'Il lui avait donné sur les animaux, mais Il ne le lui a pas non plus
laissé tout entier. Il a soumis à sa Puissance tous ceux qui pouvaient servir à
sa nourriture ou à ses travaux. Quant aux animaux plus féroces, Dieu ne les a
pas également soumis à l'homme, Il a voulu que la lutte qu'il aurait à soutenir
contre eux lui rappelât le péché d'Adam notre premier père. II nous est même
souverainement utile que ces animaux ne nous soient pas entièrement soumis. Que
nous reviendrait-il par exemple de la docilité des lions et de la soumission des
léopards, si ce n'est peut-être de nourrir notre fierté et notre orgueil ? Dieu
a donc placé ces animaux en dehors de notre domination; ceux au contraire qui
servent à nos usages, Il les a rendus dociles à notre commandement, le boeuf qui
laboure nos champs, la brebis dont la laine couvre la nudité de notre corps, les
animaux qui servent au transport des marchandises, et aussi les oiseaux et les
poissons qui contribuent à l'entretien et à l'ornement de nos tables.
8. Dieu a fait pour l'homme ce qu'un père fait pour un fils qui a mérité
d'être déshérité. Il ne le prive pas de la totalité de ses biens, Il lui en
laisse une partie pour le ramener à de meilleurs sentiments. Dieu tient à notre
égard une conduite semblable, ou pour mieux dire une conduite contraire. Le père
qui déshérite son fils lui retire la plus grande partie de sa fortune pour ne
lui laisser que la moins considérable. Dieu au contraire nous laisse la plus
grande partie de ses biens, et ne nous prive que de la moins importante. Encore
est-ce dans notre intérêt, afin que toutes choses ne réussissent pas trop
facilement à notre gré. C'est encore ici une marque de la Providence de Dieu. Il
a voulu exciter dans l'homme l'amour de la sagesse, réprimer son orgueil, et
troubler un repos qui n'est pas de cette vie; car s'il ne rencontrait aucune
difficulté, il serait exposé à s'abandonner à une vie molle et dissolue. L'usage
des choses de la vie est donc mêlé pour l'homme de quelques difficultés. Tout ne
lui est pas donné sans travail, comme aussi tout n'exige pas de lui les mêmes
efforts. Les choses nécessaires ne lui coûtent ni grand travail ni sueurs
abondantes, mais il en est tout autrement des jouissances de la vie. Dieu l'a
fait à dessein pour ne pas nous laisser dans une trop grande sécurité.
Mais me dira-t-on, de quelle utilité sont les bêtes féroces ? Je répondrai
d'abord qu'elles rendent l'homme plus humble, qu'elles sont une occasion pour
lui de se préparer à la lutte, et qu'elles rappellent à celui qui est infatué de
lui-même la faiblesse de sa nature, par l'effroi qu'elles lui inspirent.
Ajoutons qu'elles servent à composer un grand nombre de remèdes pour les
maladies du corps. Ceux qui nous demandent pourquoi les bêtes féroces ont été
créées, pourraient nous demander avec autant de raison pourquoi la bile et
l'humeur qui sont répandues dans notre corps ? Car lorsqu'elles sont excitées,
elles s'emportent plus violemment que les bêtes féroces, et souvent sont pour le
corps une cause de mort. Nous avons encore en nous-mêmes la colère et la
concupiscence qui exercent dans ceux qui négligent de leur mettre un frein, de
plus funestes ravages que ne feraient des animaux furieux. Et qu'ai-je besoin de
parler de la concupiscence et de la colère ? Notre oeil seul peut nous
précipiter dans des passions plus funestes que les bêtes féroces, en blessant
notre âme par les traits redoutables de l'amour. Nous ne dirons pas cependant la
raison pour laquelle toutes ces choses ont été faites, mais nous rendrons grâces
au Seigneur pour tout ce qu'Il a créé. Les bêtes féroces sont pour les hommes ce
que le fouet est pour les enfants. Car, si malgré tant de dures épreuves qui
devraient contenir les hommes dans de justes bornes, la plupart des hommes se
laissent emporter à de tels excès d'orgueil, jusqu'où n'iraient-ils pas dans la
voie du mal, si ce frein venait à leur manquer ? C'est pour cela que Dieu nous a
donné un corps sujet aux maladies, aux souffrances, assiégé de maux
innombrables. Voilà pourquoi la terre ne produit rien qu'au prix de mille
travaux; voilà pourquoi tout ici-bas est arrosé de nos sueurs. La vie présente
est comme une école où le repos et l'oisiveté perdent les hommes. Aussi Dieu
a-t-Il semé sous nos pas le travail, la fatigue, pour être comme le frein des
passions trop vives de notre âme.
Considérez maintenant comment Dieu vous a soumis avec sagesse les poissons
qui nagent dans les profondeurs des mers et les oiseaux qui volent dans
l'étendue des airs. Et pourquoi le roi-prophète n'a-t-il pas fait l'énumération
de toutes les créatures visibles, des plantes, des arbres, des semences ? Par
une seule partie de la création, il a voulu nous en faire comprendre tout
l'ensemble, et en a laissé le développement à ceux qui ont le désir de
s'instruire. Il termine ce psaume comme il l'avait commencé : «Ô Dieu notre
souverain Maître», et la conclusion de son discours est semblable à l'exorde. Ne
cessons donc nous-mêmes de répéter ces paroles, en admirant la sollicitude de
Dieu pour ses créatures, en adorant avec un saint respect sa Sagesse, sa Bonté,
sa Providence paternelle à notre égard. Nous avons jusqu'ici donné l'explication
de ce psaume. Si vous le voulez, nous entrerons maintenant plus particulièrement
en discussion avec les Juifs, et nous leur demanderons, quand donc les enfants
ont fait entendre ainsi leur voix, dans quelle circonstance cette voix a détruit
les efforts de l'ennemi, et depuis quel temps le nom de Dieu est devenu vraiment
admirable? Ils ne pourront indiquer un autre temps que celui dont nous avons
parlé, ce qui est une preuve de la vérité plus éclatante que le soleil. C'est
dans ce même dessein que le roi-prophète dit : «Je verrai les cieux, l'ouvrage
de tes Mains» bien que Moïse eût dit longtemps auparavant : «Au commencement
Dieu créa le ciel et la terre.» (Gn 2,1).
C'en est assez contre les Juifs, surtout avec ce que nous avons dit plus
haut. Mais les sectateurs de Paul de Samosate qui, à l'exception de la
circoncision, adoptent les traditions et les erreurs des Juifs, prétendent que
l'Existence de Jésus Christ ne date que du moment où Il est sorti du sein de
Marie. Nous leur ferons cette simple question : Comment, si Jésus Christ
n'existe que du moment de son Incarnation, a-t-Il pu créer les cieux ? Car Celui
qui a su tirer de la bouche des enfants une louange parfaite est ici le même qui
a créé les cieux. Or si les cieux sont l'ouvrage de ses Mains, Il existait donc
avant les cieux; ce n'est point à Marie qu'Il doit son origine, et Il était bien
avant elle. Considérez ici la sagesse du roi-prophète : il ne nous représente
pas Dieu comme ayant seulement créé les cieux, mais comme les ayant créés avec
la plus grande facilité. «Je verrai, dit-il, les cieux, l'ouvrage de tes Mains.»
Ce n'est pas sans doute que Dieu ait des doigts, mais David a voulu nous faire
comprendre que la création des choses visibles a été un des moindres effets de
la Puissance divine, et il se sert de ces expressions qui nous sont familières
pour nous enseigner les vérités qui sont au-dessus de nous. Ainsi, quand le
prophète dit de Dieu : «Il mesure les cieux avec sa Main, et la terre avec trois
doigts» (Is 40,12), son intention n'est point d'attribuer à Dieu des mains et
des doigts, mais de faire ressortir sa Puissance infinie. Comment donc en est-il
qui ont osé dire que le Fils n'est que le serviteur du Père ? Quoi ! Celui qui
n'a pas eu besoin de déployer toute sa Puissance pour créer, que dis-je, toute
sa Puissance ? Celui à qui la création des cieux n'a coûté que le plus léger
effort, ne serait que le serviteur du Père ? Mais comment serait-Il le serviteur
du Père, si ce que le Père fait, le Fils le fait également comme Lui?»
(Jn 5,19). Que devient cette expression : «également», si l'un est Créateur
et l'autre serviteur ? Comment encore le roi-prophète proclame-t-il que la
création est son ouvrage dans ces paroles : «Seigneur, au commencement Tu as
fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes Mains;» Ps 101, 26; et ici :
«Je verrai les cieux, l'ouvrage de tes Doigts ?» Ce ne sont pas les serviteurs
qui produisent les différents ouvrages, ce sont les artisans qui les fabriquent,
et ce n'est point aux serviteurs qu'on en attribue le mérite, mais à ceux qui
les ont produits. Ce que Moïse avait dit si longtemps auparavant : «Au
commencement Dieu a créé le ciel et la terre», et encore : «Qu'ils dominent sur
les poissons de la mer» (Gn 1,1-26), le roi-prophète l'applique ici au Fils
de Dieu. Car Celui qui a su tirer une louange parfaite de la bouche des enfants
et de ceux qui sont à la mamelle, est le même qui a daigné descendre jusqu'à
l'homme.
9. Ce que Moïse avait dit de Dieu le Père, saint Paul l'applique aussi au
Fils de Dieu pour montrer leur parfaite Égalité. Or, puisque les saints
attribuent indifféremment au Fils ce qui est dit du Père, et au Père ce qui est
dit du Fils; «car toutes choses ont été faites par Lui» (Jn 1,3); où trouver ce
nom de serviteur ? On n'en peut découvrir nulle part la trace. Objectera-t-on
ces paroles : «Tout a été fait par Lui?» Mais saint Paul se sert de cette même
expression en parlant du Père. «Dieu est fidèle, dit-il, ce Dieu par qui vous
avez été appelés à la société de son Fils Jésus Christ.» (1 Co 1,9). Et encore :
«Paul, apôtre de Jésus Christ par la Volonté de Dieu.» (2 Tm 1,1). Et dans un
autre endroit : «Tout est de Lui, tout est par lui, tout est en Lui.» (Rm 9,
36). Pour quel motif donnez-vous donc au Fils le nom de serviteur ? Pour honorer
le Père, répondent-ils. Mais est-ce que le Fils n'a pas dit : «Afin que tous
honorent le Fils comme ils honorent le Père» ? (Jn 5, 23). Il est donc évident
que celui qui ne rend pas honneur au Fils n'en rend pas davantage au Père.
Est-ce donc, me direz-vous, que le Père est pour moi le Fils ? Nullement, car
Jésus Christ ne dit pas : «Afin que vous m'appeliez le Père», mais : «Afin que
vous honoriez le Fils à l'égal du Père». Si vous donnez au Fils le Nom du Père,
vous confondez tout. Les deux personnes sont distinctes, mais l'honneur qui leur
est rendu est le même. Le Sauveur distingue à dessein le Père du Fils, pour que
vous ne confondiez pas les deux personnes. Or si le Père et le Fils n'avaient
pas la même nature, comment pourraient-ils exiger qu'on leur rendît le même
honneur ? Mais pourquoi, direz-vous encore, Jésus Christ parle-t-Il souvent de
Lui-même en termes si humbles ? Il voulait nous enseigner l'humilité et tenir un
langage conforme à sa nature mortelle; ne point étonner l'ignorance grossière
des Juifs, conduire peu à peu le genre humain à la connaissance de la vérité, et
S'accommoder au peu de lumières de ceux qu'Il instruisait, souvent même Il se
conformait à leurs propres pensées. Tout ce qui tient à la plus haute majesté
est trop élevé au-dessus de nous, ou plutôt tout ce que nous pouvons dire de
Dieu est au-dessous de cette nature infinie et ne peut être qu'un langage
approprié à la faiblesse de notre esprit. En effet, que voulez-vous dire en
proclamant que Dieu est grand ? Ce terme de grand attribué à Dieu implique
une idée de petitesse, car cette grandeur, quelque étendue qu'elle soit, est
nécessairement bornée, tandis que Dieu est infini. C'est donc une expression de
petitesse si vous l'appliquez à Dieu. Car je sais que Dieu est infini, mais je
ne sais ni ce qu'Il est, ni où Il est. Vous parlez de sa Sagesse, de sa Bonté,
de ses autres Perfections infinies, vous n'avez rien dit qui approche de la
majesté de sa Nature, et il faut toujours donner à vos paroles une signification
convenable. Mais si ces expressions, toutes sublimes qu'elle sont, restent bien
au-dessous de cette majesté suprême, comment excuser ceux qui cherchent encore à
les affaiblir ? Fuyons donc tout commerce avec eux; et puisque nous savons que
le Fils unique existait avant tous les siècles et que nous sommes convaincus de
sa Puissance créatrice, de son Autorité souveraine, de son Égalité parfaite avec
son Père, des humiliations de son Incarnation, des soins multipliés de sa
Providence paternelle (car le trésor qui est caché dans ce psaume renferme
toutes ces richesses et de plus grandes encore), gardons ces vérités dans toute
leur pureté, conformons-y toute notre vie pour mériter d'obtenir les biens de la
vie future. Que Dieu nous en rende dignes par la Grâce et la Miséricorde de
notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit avec le Père et le saint Esprit, honneur
et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
- Jean Chrysostome