"Louez le nom du Seigneur; louez le Seigneur, vous qui
étés ses serviteurs. v. 1. Vous qui demeurez dans la maison du Seigneur, dans
les parvis de la maison de notre Dieu, v. 2. Louez le Seigneur, parce qu'Il est
bon. v. 3.
1.Le prophète invite de nouveau les Juifs à offrir à Dieu le
sacrifice de louange; c'est là le sacrifice et l'offrande qui lui sont
agréables. C'est ce qui fait dire ailleurs au psalmiste : "Je célébrerai le
Seigneur dans mes cantiques; je Le glorifierai dans mes louanges. Ce sacrifice
sera plus agréable au Seigneur que l'immolation d'un jeune taureau aux cornes
naissantes et aux ongles forts." (Ps 68, 35-36). Il leur remet sans cesse devant
les yeux le temple et ses parvis sacrés polir les attacher au lieu saint, sans,
leur permettre de s'en éloigner. Lorsque Dieu leur donna dès le commencement
l'ordre de Lui élever un sanctuaire, Il se proposa de détruire parmi eux
l'impiété et l'idolâtrie, en les réunissant tous dans un seul lieu, on ne les
verrait plus alors errer en liberté, au gré de leurs désirs. aveugles, chercher
dans les bois, dans les fontaines, dans les montagnes, dans les collines, antan
d'occasions de se livrer à leur impiété, en offrant dés sacrifices et en faisant
des libations sur les hauts lieux. Aussi Dieu condamnait-Il à mort celui qui
offrait un sacrifice en dehors du temple : "Celui qui n'aura point offert la
victime à la porte du tabernacle pour être sacrifiée, le sang lui sera imputé."
(Lev 17,4). Il les convoque donc de toutes les parties de la Judée, dans un même
lieu, afin qu'ils puissent recevoir les leçons de la sagesse et se préserver de
toute erreur. Il leur fait un devoir de louer Dieu, de chanter, de célébrer ses
louanges, parce que les louanges de Dieu étaient l'aliment de leur piété. Ces
louanges leur rappelaient le souvenir des anciens événements qui s'étaient
accomplis dans l'Égypte, dans le désert, dans la terre promise, la promulgation
de la loi, les scènes du mont Sinaï, les guerres qu'ils avaient soutenues. En
même temps donc qu'ils célébraient les louanges de Dieu, ils trouvaient dans ces
chants de précieux enseignements qui tout à la fois devenaient la règle de leur
vie et leur donnaient une connaissance exacte de la vérité. "Louez le Seigneur,
parce qu'Il est bon." Suivant une autre version : "Parce qu'Il est bienveillant.
"Le psalmiste revient sans cesse sur les attributs que les hommes ont le plus à
coeur, la bonté, la miséricorde, la bénignité : "Chantez à la gloire de son Nom
parce qu'Il est plein de douceur." Vous le voyez, l'utilité se trouve ici jointe
an plaisir. Le fruit le plus précieux que nous recueillons de ce saint exercice
est de chanter les louanges de Dieu, de purifier notre âme, d'élever nos
pensées, d'avoir une connaissance parfaite des vérités divines, et une idée
juste du présent et de l'avenir. La mélodie donne d'ailleurs à ces chants un
charme ineffable, qui console, repose l'âme et rend digne de vénération celui
qui aime à chanter les hymnes sacrés. Un autre interprète fait ressortir plus
clairement ces effets en traduisant : "Parce que cela est convenable." Un autre
: "Parce que c'est une chose pleine de douceur." Tous deux sont dans la vérité.
Supposez un homme livré aux plus-honteux excès, s'il chante les psaumes avec
respect, il assoupit la tyrannie de ses passions; et fût-il accablé sous le
poids de maux innombrables et en proie à une profonde tristesse, la douceur de
ces chants allège sa douleur, élève ses pensées et enlève son âme jusqu'aux
cieux.
"Le Seigneur a choisi Jacob pour être à lui, Israël pour être
sa possession." (Ibid., 4). Le psalmiste ne rappelle point ici aux Israélites
les bienfaits qui leur sont communs avec les autres hommes, il s'arrête à celui
qui leur est personnel et qui surpasse tous les autres. Quel est-il ? C'est que
Dieu a choisi Israël pour son peuple, qu'Il Se l'est consacré, et qu'Il lui a
témoigné une bienveillance toute particulière. Les prophètes ne cessent
d'évoquer les mêmes souvenirs, et leurs oracles ne sont qu'une longue
émumération des Bienfaits de Dieu. Que signifient ces paroles : "Pour être sa
possession ?" Pour en faire ses richesses, sa fortune. Ce peuple était bien peu
considérable, il est vrai; cependant Dieu l'a choisi pour être sa richesse. Il
ne considéra point son peu d'importance, mais la vertu à laquelle Il voulait
élever cette nation choisie. C'est ainsi qu'Israël offrait à Dieu des ressources
plus abondantes que les autres nations, grâce à la bonté de celui qui l'avait
choisi, et qui voulait par ce peuple instruire les autres hommes. Saint Paul
lui-même compare souvent aux richesses le salut des hommes, comme dans ces
paroles : "Tous n'ont qu'un même Seigneur qui répand ses Richesses sur tous ceux
qui L'invoquent." (Rom 10,12). Et dans ces autres : "S'il tombe ou s'il demeure
ferme, c'est pour son maître." (Rom 14,4). Voilà comme en les appelant la
possession de Dieu, il proclame l'Amour, la Providence, la Sollicitude de Dieu à
leur égard. Cette providence toute particulière se révèle donc par ces deux
faits que Dieu les a choisis et qu'Il en a fait sa possession. Avez-vous
remarqué comme il fait ressortir la Bonté de Dieu dans les premières paroles de
ce psaume : "Louez le Seigneur, parce qu'Il est bon. J'ai reconnu que le
Seigneur est grand ?" (Ibid., 5). Voici un nouveau motif de louer Dieu : Quel
est-il, dites-le moi, ô prophète ? Vous le connaissez. Est-ce que les autres
l'ignorent ? Non, répond-il, ils le savent, mais ils ne le savent pas comme je
le sais. C'est le privilège des saints et de ceux qui sont plus élevés en
perfection, d'avoir une connaissance plus parfaite de la Majesté divine.Ils ne
connaissent pas sa Nature tout entière (cela est impossible, mais ils en ont une
connaissance plus claire que les autres hommes. "Et que notre Dieu est élevé
au-dessus de tous les dieux." Mais quoi, me direz-vous, le prophète qui vient de
proclamer la Grandeur de Dieu et d'affirmer qu'il la connaissait, affaiblit
cette déclaration; il compare Dieu avec d'autres dieux, et ne lui accorde qu'une
excellence relative. Non, mais il tient compte des dispositions de ceux qui
l'écoutaient, et ce n'est que pas à pas qu'il les conduit à la vérité. Ce ne
serait pas en effet une preuve bien forte de la Grandeur de Dieu que de Le
déclarer supérieur à tous les autres dieux. Aussi, je le répète, le psalmiste
proportionne son langage à la faiblesse de ses auditeurs. Car il leur était
alors utile et avantageux qu'il leur fit entendre et comprendre cette
vérité.
2. Dieu est donc sans comparaison au-dessus de tous les autres
dieux, le prophète le démontre dans la suite du psaume, où il apporte la preuve
la plus frappante de la Puissance divine, et nous fait voir ainsi que ce qu'il a
dit précédemment, était un langage proportionné à la faiblesse de ses auditeurs.
Ainsi, quand il ne fait qu'énoncer cette vérité, ses expressions paraissent
faibles, mais quand il s'agit de l'expliquer, de la démontrer, de donner des
preuves de la Majesté divine, son langage prend lui-même un caractère de
grandeur et d'élévation. Quelle est donc cette grandeur. vraiment digne de Dieu,
et qui ne convient qu'à Lui seul ? Écoutez la suite : "Le Seigneur a fait tout
ce qu'Il a voulu, dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les
abîmes." (Ibid., 6). Voyez-vous cette puissance à laquelle rien absolument ne
fait défaut ? voyez-vous cette source de vie ? Voyez-vous cette foi ce
invincible ? voyez-vous cette supériorité incomparable ? Voyez-vous ce pouvoir
qui ne connait point d'obstacles ? Comme tout lui est aisé, comme tout lui est
facile ! "Il a fait tout ce qu'il a voulu." Dites-moi quel a été le théâtre de
sa Puissance souveraine ? "Le ciel et la terre." C'est-à-dire non seulement la
terre, mais le ciel, et avec le ciel, la terre et la mer et tous les abîmes. Les
abîmes signifient les parties qui sont au-dessous de la terre, comme le ciel
comprend tout ce qui est au-dessus des cieux. Ces régions immenses n'offrent
aucun obstacle à sa Volonté, elle franchit tous ces espaces; et ce qu'il y a de
plus admirable, tant de merveilles n'ont coûté à leur auteur ni travail, ni
peine, ni commandement, elles sont l'oeuvre de sa Volonté seule, il n'a eu qu'à
vouloir, et tout a été fait. Ainsi fait-il ressortir la facilité, la richesse
des oeuvres de Dieu, et la grandeur de cette puissance à laquelle rien ne peut
résister. Laissant ensuite de côté le ciel et la terre, il parle de quelques.
uns des phénomènes qui s'y rapportent; il passe sur les merveilles admirables
dont le ciel est le théâtre, pour s'arrêter à celles qui l'environnent. Pour
quel motif ? Parce que les merveilles des cieux, si grandes qu'elles fussent,
étaient inconnues du plus grand nombre, tandis que les autres phénomènes, bien
que d'un ordre inférieur, étaient visibles, frappaient tous les regards. Il
s'adressait à des hommes qui se laissaient beaucoup moins conduire par la foi à
la pensée des choses invisibles que par le spectacle extérieur de la création.
Il prend donc d'abord les choses visibles pour matière de son discours et de ses
enseignements, et met ainsi lui-même en pratique le conseil qu'il donne aux
autres. Quel est ce conseil ? C'est que celui qui connaît en détail les oeuvres
de Dieu, doit en faire le sujet de ses louanges, et lui rendre gloire pour
chacune d'elles. Il ne cesse de nous exhorter à louer Dieu; en répétant sans
cesse : "Louez le Nom du Seigneur, louez le Seigneur, vous qui êtes ses
serviteurs." Et il nous apprend en même temps comment nous devons remplir ce
devoir, en parcourant la création tout entière, pour exalter dans un sentiment
d'admiration mêlé d'effroi la Sagesse de Dieu, sa Providence, sa Puissance, sa
Sollicitude. Le psalmiste nous apprend encore qu'indépendamment de la mer que
nous voyons, il en est beaucoup d'autres dont l'étendue est immense : "Dans les
mers, et dans tous les abîmes." En effet la mer Caspienne, la mer des Indes, la
mer Rouge sont différentes de celle qui est sous nos yeux, aussi bien que
l'Océan sont la terre est environnée. "Il fait venir les nues des extrémités de
la terre." (Ibid., 7. Une autre version porte : "Il élève;" une autre : "Il
attire les extrémités de la terre. "Une autre : "Des limites." Job proclame la
même vérité : "Il enchaîne les eaux dans les nuées;" (Job 26,8); ainsi que
Salomon, lorsqu'il dit : "Qui rassemble les eaux comme dans un vêtement." (Pro
30,4). Le psalmiste nous représente un autre prodige non moins admirable. Quel
est-il ? C'est que l'air devenu plus lourd s'élève néanmoins et traverse les
régions supérieures, et qu'un corps pesant suit une marche contraire aux lois de
la nature. C'est une chose merveilleuse que l'air contienne de l'eau, mais il
est bien plus étonnant que cette eau soit renfermée dans un élément plus léger,
et ce qui est bien plus digne encore d'admiration, c'est que l'eau que contient
cet air, une fois échappée du reste des nuées, n'est point arrêtée par la couche
d'air qui suit, mais se répand partout et tombe sur la terre. Si cette eau était
naturellement contenue dans les nues, elle devrait également être contenue dans
l'air. Supposons qu'on laisse s'élever dans les airs une outre pleine d'eau, et
que cette outre soit portée dans l'air; si cette eau vient à s'échapper de
l'outre, l'air la portera nécessairement. Le même phénomène devrait se
reproduire ici. Mais toutes les oeuvres de Dieu sont admirables et supérieures
aux lois de la nature, il n'est donc pas étonnant qu'elles s'accomplissent
contrairement à ces lois et aux prévisions de l'esprit humain. Ainsi, ce qui est
contenu dans l'air au nuage, n'est point arrêté par la couche d'air qui est
au-dessous du nuage. N'est-ce pas là un phénomène vraiment admirable, bien qu'il
paraisse avoir à nos yeux une moindre importance ? Voici encore un autre prodige
: "C'est des extrémités de la terre;" on si l'on veut des points des plus élevés
de la terre qu'il fait venir les nuées. Non seulement ces nuées s'élèvent, mais
elles traversent les airs, elles ne répandent pas la pluie dans les lieux où
elles se sont formées, elles franchissent souvent de très grandes distances pour
verser leurs eaux dans des contrées situées au delà des villes et des peuples.
Et ce qu'il y a ici d'étonnant, c'est que, non seulement ces nuées s'élèvent
dans les airs, mais qu'elles les traversent comme une surface solide, chargées
qu'elles sont d'une masse d'eau si considérable.
3. "Il change les foudres en pluie." Nouveau prodige, deux
natures contraires se réunissent. Quoi de plus brûlant que la foudre, quoi de
plus froid que l'eau ? Cependant ces deux éléments s'unissent sans se confondre,
sans se mêler et en conservant chacun ses propriétés naturelles. Le feu demeure
dans l'eau et l'eau dans le feu, sans que le feu absorbe l'eau, sans que l'eau
éteigne le feu. Cependant l'éclair est plus vif, plus éclatant, plus pénétrant
que la lumière du soleil. J'en appelle au témoignage de nos yeux qui supportent
tous les jours les rayons du soleil, mais qui ne peuvent endurer, ne fût-ce
qu'un seul instant, la vivacité de l'éclair. Ajoutez qu'il faut un jour entier
au soleil pour parcourir toute l'étendue du ciel, tandis que l'éclair traverse
en un instant l'univers tout entier, suivant ces paroles de Jésus Christ :
"Comme l'éclair qui part de l'orient et apparaît en occident." (Mt 14,27). "Il
fait sortir les vents de ses trésors." Voici un autre phénomène naturel qui est
pour nous d'une grande utilité, et renferme une multitude d'avantages; Il
délasse et rafraichit nos corps fatigués et donne à l'air plus de légèreté. En
effet, la propriété des vents est d'agiter en tous sens l'air qui se corromprait
en restant immobile, de mûrir les fruits et de nourrir les corps. Comment
énumérer les services qu'ils. rendent à la navigation, les époques périodiques
où on les voit s'élever, se remplacer les uns les autres, et s'agiter comme en
choeur sur la surface des mers, et transporter ainsi les matelots ? Tel vent
pousse un vaisseau et le transmet à un autre vent qui le reçoit, tout en suivant
des routes contraires. Ils sont à nos ordres, et la guerre qu'ils se livrent
nous est utile. Les vents nous procurent encore beaucoup d'autres avantages, le
prophète ne s'y arrête point, il laisse à l'auditeur le soin de les recueillir
et se borne à nous faire voir la facilité avec laquelle ils sont produits. Cette
expression : "De ses trésors" ne signifie pas; en effet, qu'il existe des
réservoirs où les vents soient amassés, mais la facilité avec laquelle Dieu les
produit et la prompte obéissance que les créatures apportent à ses ordres. En
effet, celui qui possède un trésor, en tire à son gré tout ce qu'il veut et au
moment qu'il veut. Ainsi le Créateur de l'univers, sans aucune peine, tire du
néant tous les êtres, pour former ce que nous appelons la nature.
Vous voyez du reste dans l'air, autant de différences que le
feu et l'eau nous offrent de variétés. Il y a les eaux des fontaines, les eaux
de la mer, les eaux de l'air, les eaux des nuages, les eaux du ciel, celles des
régions supérieures au ciel, et les eaux qui coulent des entrailles de la terre.
De même, il y a le feu dont le soleil est le foyer, celui qui se trouve dans la
lune, dans les étoiles, dans les éclairs, dans l'air; le feu qui vient du bois,
celui qui nous environne; celui des lumières qui nous éclairent, celui de la
terre. Il est un feu en effet qui jaillit de la terre, comme des sources d'eaux
vives. Il y a encore un feu qui sort des cailloux par le frottement, un autre
que l'on voit jaillir également des branches des arbres qui s'entrechoquent,
enfin le feu produit par la foudre. Or, l'air nous offre les mêmes variétés :
l'un, celui qui nous environne, est plus épais; l'autre, celui qui est au-dessus
de nous, est plus subtil et contient plus de feu. Ces mêmes différences se
remarquent aussi dans le vent, l'un est plus léger, l'autre plus épais; l'un est
plus froid, l'autre plus chaud; celui-ci est plus humide, celui-là plus sec.
Voyez encore l'air et les nuages, tantôt ils s'avancent lentement, tantôt ils
volent comme un coursier rapide. Il en est de même des nuages et des vents, les
uns ressemblent à de grandes urnes tantôt pleines d'eau, tantôt vides, les
autres ressemblent à un éventail. À la vue de ce spectacle si varié, pouvez-vous
ne pas admirer le Créateur de ces merveilles ?
Il a frappé les premiers-nés d'Égypte. (Ibid., 8). Après ces
prodiges que j'appellerai généraux, et qui montrent que la Providence de Dieu
s'étend à tout l'univers, les éclairs, les vents, l'air, les nuées, les pluies;
après avoir confondu les raisonnements insensés de ceux qui prétendent que la
Providence de Dieu ne s'étend pas plus loin que la lune, le prophète en vient
aux prodiges particuliers que Dieu a opérés dans l'intérêt des Juifs. Il a
prouvé suffisamment par tout ce qu'il vient de dire, que la Bonté de Dieu se
fait sentir à la terre, au ciel, à toutes les créatures visibles; mais il veut
réveiller dans le coeur des Juifs le sentiment de la reconnaissance et il leur
rappelle les faits qui leur sont personnels, en leur montrant que le Dieu de
l'univers, dont la Providence embrasse tous les êtres créés, les a comblés de
bienfaits tout particuliers. Il est vrai de dire, que ces bienfaits personnels
tournaient au profit du monde entier. Ainsi, les Juifs étaient choisis de
préférence aux autres nations, mais c'était pour ces peuples un motif de sainte
émulation, comme saint Paul le fait entendre lorsqu'il dit : "Leur chute est
devenue le salut des Gentils, afin que l'exemple des Gentils leur donnât de
l'émulation pour les suivre." (Rom 11,11). Lorsqu'un père voit ses enfants
s'éloigner de lui, il prend l'un d'eux pour le faire asseoir sur ses genoux, non
point par un sentiment d'affection plus particulière pour cet enfant, mais bien
plutôt dans l'intérêt des autres, afin que cette préférence les excite à revenir
au plus tôt vers leur père, pour recevoir les mêmes marques de tendresse; c'est
ce que Dieu a fait à l'égard des Juifs, ce n'est point sur ses Genoux, mais sur
ses Bras, comme dit le prophète, (cf Os 11,3), et sur ses Épaules que Dieu les a
portés. Il leur a prodigué toutes les faveurs qu'ils pouvaient envier, un
temple, des sacrifices, ( cf Dt 32,11), et ce qui était l'objet de leurs désirs
les plus ardents, la protection. dans les combats, les victoires, les triomphes,
l'abondance des biens de la terre, la fertilité de leurs champs. C'est ainsi
qu'il les comblait de bienfaits, et qu'il excitait l'émulation des autres
peuples. Mais comme les Juifs seraient devenus mauvais, si Dieu n'avait jamais
interrompu le cours de ses Faveurs, il les rappelait aussi par les châtiments au
sentiment du devoir, tant la Sagesse de Dieu est grande, et sait ménager une
issue favorable au milieu des plus grandes difficultés.
4. Considérez ici la prudence du prophète, qui des
considérations générales, descend à des faits particuliers. Il va au devant de
cette opinion ridicule qui voudrait restreindre l'action de la Providence dans
le cercle des choses individuelles. Aussi, ce n'est qu'après avoir retracé son
action sur l'ensemble de la création, qu'il en vient au détail : "Qui a frappé
les premiers-nés d'Égypte ?" Ne vous semble-t-il pas que c'est surtout pour les
Juifs que Dieu a exercé cette juste vengeance ? Si donc je vous prouve qu'il a
eu aussi en vue les autres peuples, que diront ceux qui osent avancer que la
Providence de Dieu ne s'étend pas au monde tout entier ? Comment le démontrer ?
Il suffit pour cela de rappeler la parole de Dieu qui exprime clairement cette
vérité : "C'est pour faire connaître en toi ma Puissance, et afin que mon Nom
soit publié par toute la terre." (Ex 9,16; Rom 9,17). Voyez-vous comment cette
mort des premiers-nés a été une véritable prédication, et cette plaie envoyée du
ciel, une parole éloquente qui s'est répandue par toute la terre pour y publier
la Puissance de Dieu ? La Providence divine s'étend donc à l'univers tout
entier, lors même qu'elle pourrait ne s'occuper que des intérêts des Juifs. Dieu
avait déjà donné des preuves de sa Puissance aux temps anciens, dans la personne
de Joseph et d'Abraham, mais Il l'a manifestée ici par des faits plus éclatants.
Comment cela ? C'était alors par des bienfaits, maintenant c'est par des
châtiments; car, comme je l'ai souvent répété, Dieu ne laisse passer aucune
génération sans Se faire connaître, sans se manifester par ses oeuvres. Il ne
fait pas toujours de la même manière, ses moyens sont variés jusqu'à l'infini.
Tantôt c'est l'épouse d'Abraham qu'il frappe de stérilité, puis la famine, puis
l'abondance, puis les fléaux qui se succèdent sans interruption. Les Égyptiens
accusaient Dieu d'impuissance, ils furent ainsi cause de la mort de leurs
premiers-nés et ensanglantèrent les eaux de leur fleuve. Dans ce même temps,
Dieu leur manifesta encore sa Puissance quoique d'une manière moins éclatante.
Les sages-femmes des Égyptiens, pour avoir refusé d'obéir aux ordres cruels du
roi, et éludé ses décrets inhumains furent magnifiquement récompensées. Nous
voyons ici un double effet de la Providence de Dieu, et dans ces femmes qui
firent preuve d'une vertu beaucoup plus grande que ceux qui étaient couronnés du
diadème, et dans la récompense que Dieu leur accorda en leur donnant une
nombreuse famille; c'est ce que signifient ces paroles : "Dieu récompensa les
sages-femmes." (Ex 1,20). C'est-à-dire, leur famille s'accrut, et Dieu leur
donna une récompense en rapport avec les services qu'elles avaient rendus aux
Juifs. Elles avaient refusé de mettre à mort leurs enfants; Dieu les en
récompensa en leur donnant une nombreuse postérité. Cependant, comme les sujets
de Pharaon persévéraient dans leur aveuglement insensé, Dieu les frappa d'un
fléau plus terrible qui servit tout à la fois d'enseignement pour tous les
autres peuples et pour les Égyptiens en particulier, pour les uns par ce qu'ils
en apprirent, pour les autres par les calamités dont ils furent témoins et
victimes, et par là triste expérience qu'ils firent de la Puissance de Dieu. Car
Dieu prit soin de leur faire prédire ce châtiment, afin qu'ils ne fussent point
tentés de n'y voir qu'un de ces coups que la mort frappe d'ordinaire, ou un
accident fortuit. Nous pouvons donc appliquer ici les paroles que le
Roi-prophète dit dans un autre endroit du Sauveur : "Domine au milieu de tes
ennemis." (Ps 109,2), En effet, ce n'est point après les avoir fait sortir dans
la solitude, ce n'est pas dans un lieu étranger, c'est au milieu même de leur
ville que Dieu les frappa de ce coup terrible. Mais considérez la Bonté de Dieu
jusque dans l'exercice de sa Vengeance; elle s'appesantit d'abord sur les
animaux, avant de s'étendre sur les hommes. Qui n'admirerait ici la Bonté de
Dieu, qui dans un même moment, dans une même action, sait concilier les droits
de sa Bonté et ceux de son ineffable Sagesse ? Cette plaie, en effet, ne fut pas
la première, elle fut précédée de beaucoup d'autres qui avaient pour but de les
ramener à de meilleurs sentiments; comme aussi Dieu les avertit avant de les
frapper de ce dernier fléau. Dans quelle intention ? Pour les fléchir par ces
simples menaces et leur en épargner la triste expérience. Mais comme ils
restèrent insensibles, Dieu voulut qu'il n'y eût aucun doute sur la nature du
châtiment. Voyez que de circonstances réunies qui s'opposent à toute idée de
maladie ou de peste fortuite. Premièrement, la mort les frappe dans une seule
nuit; secondement, elle frappe les premiers-nés. Si c'eût été une peste, elle ne
se serait pas contentée d'atteindre les premiers-nés en épargnant les autres;
elle eût frappé indistinctement; troisièmement, la peste n'eût pas entièrement
épargné les Juifs, en ne choisissant ses victimes que parmi les Égyptiens. Au
contraire elle eût frappé de préférence des corps accablés par la fatigue, la
misère et par une longue suite de maux de tout genre, épuisés depuis longtemps
par la pauvreté, par la faim, et elle ne fût point tombée sur les rois, les
princes, sur ceux qui étaient assurés contre ses coups, et vivaient entourés de
soins multipliés. La peste encore ne se fût pas déclarée tout d'un coup, mais
avant de foudre sur l'Égypte, elle eût été précédée de signes précurseurs de son
arrivée. Que voyous-nous au contraire ? Le fléau éclate soudain, pour confondre
l'endurcissement des Égyptiens qui, après une plaie où ils devaient reconnaître
clairement les caractères d'un châtiment divin, se mirent à la poursuite des
Juifs qui étaient partis; se peut-il une preuve plus forte de leur délire, et
une justification plus éclatante de la Conduite de Dieu ? Dieu allait cesser
d'opérer des miracles sous les yeux des Égyptiens, Il les couronne par un
prodige qui à Lui seul était pour un esprit attentif une apologie de tous ceux
qui l'avaient précédé. On aurait pu demander pourquoi tous les Égyptiens
sont-ils punis, puisque le roi seul est coupable en retenant les Juifs ? Ce
dernier fléau répond à cette difficulté. Comment cela ? Parce qu'après la mort
de leurs premiers-nés, les Égyptiens pressaient les Juifs de partir malgré le
roi lui-même. Si donc ils l'eussent voulu tout d'abord, leur volonté eût prévalu
sur la sienne. Donc, s'ils n'ont point triomphé de ses résistances, ce n'est
point un effet de leur impuissance, mais de leur mauvaise volonté. Ajoutez que
leur acharnement à poursuivre les Juifs mit le comble à leurs crimes.
5. C'est ce qui arriva aussi du temps de Saül; lorsqu'il fut
question d'arracher son fils à la mort, tout le peuple dans un sentiment de
flatterie, s'empressa de demander sa grâce, bien qu'il eût transgressé la loi;
(cf I Roi 14,45); mais lorsque Saül voulut mettre à mort un si grand nombre de
prêtres, personne n'éleva la voix, personne ne prit leur défense. Dira-t-on
qu'ils invoquaient, dans le premier cas, les lois de la nature ? mais ne
devaient-ils pas invoquer dans le second, les lois de la justice ? Les victimes
étaient des prêtres, leur meurtre était un crime, et la colère du roi n'avait
aucun motif légitime. Mais la vraie cause de leur inaction était leur
indifférence et leur insensibilité pour le sort de ces malheureux prêtres. Or,
réfléchissez sur les calamités qui vinrent fondre sur eux, et sur le juste
châtiment de leur négligence, lors donc qu'un crime se commet sous vos yeux,
gardez-vous de rester indifférent, soyez plus ardent que le feu, ressentez
l'injure aussi vivement que ceux qui en sont victimes, vous préviendrez ainsi
bien des maux. "Depuis l'homme jusqu'à la bête," Pourquoi frapper aussi les
animaux ? Ils ont été créés pour le service de l'homme, et en les frappant,
c'est l'homme que Dieu veut atteindre pour lui inspirer plus de crainte, pour
ajouter à l'intensité du châtiment, et faire voir que le fléau vient de Dieu et
que c'est du haut du ciel que la guerre est déclarée.
"Il a fait éclater des signes et des prodiges au milieu du toi,
ô Égypte !" (Ibid., 9). Que signifient ces paroles : "Au milieu de toi ?" Elles
indiquent un lieu déterminé, où elles ont le même sens que le mot ouvertement.
En effet, l'expression : "Au milieu" a partout le même sens que publiquement,
comme dans ces paroles : "Il a opéré le salut au milieu de la terre." (Ps
78,12). Car le milieu est visible pour tout le monde. "Il a fait éclater des
signes et des prodiges au milieu de toi, ô Égypte;" justement certes, car ces
prodiges avaient pour objet de rendre les hommes meilleurs, et de mettre en
évidence ceux qui devaient en profiter. Ces prodiges en effet, n'étaient pas
l'oeuvre du hasard, le Doigt de Dieu y était visiblement empreint, et ce double
caractère de châtiment et d'opération divine en faisait aussi ressortir la
double utilité. "Contre Pharaon et contre tous ses serviteurs." Quelle puissance
vraiment ineffable ! Ses sujets ne formaient tous qu'un même corps, le châtiment
les atteignait donc tous indistinctement, avec cette différence que les uns n'en
recueillaient que de la souffrance et que les autres le faisaient servir à leur
profit. Mais pourquoi dire : "Et contre tous ses sujets," puisque tous n'avaient
pas de premiers-nés ? Le psalmiste veut parler ici des autres prodiges opérés
dans l'Égypte, et qui étaient un châtiment pour les Égyptiens et une leçon
salutaire pour les Juifs; de même que dans le désert, ceux qui suivaient les
Juifs participaient également aux bienfaits dont Dieu comblait sou peuple. Dieu
châtiait les ennemis des Juifs, Il répandait ses bienfaits sur ces derniers et
les châtiments comme les bienfaits étaient utiles aux uns comme aux
autres.
Mais pourquoi Dieu n'a-t-Il pas étendu ses bienfaits jusque sur
les Égyptiens ? Parce que la plupart des hommes sont bien plus facilement amenés
à la connaissance de Dieu par les châtiments que sous l'impression de ses
bienfaits. Or une preuve qu'il ne voulait pas les punir, c'est que nous le
voyons différer autant qu'il peut de les frapper, et montrer ainsi par cette
lenteur, et ensuite par les châtiments eux-mêmes, sa Puissance et sa Bonté. Il
eût pu certes, après la première, la seconde, la troisième plaie, les regarder
comme atteints d'une maladie incurable et les perdre sans retour; Il ne l'a
point voulu, l'avenir Lui était connu, Il savait bien que ni la cinquième, ni la
sixième, ni la dixième plaie ne les rendrait meilleurs, Il ne se départit point
de la conduite qu'Il avait résolu de suivre à leur égard. N'est-ce point là une
des plus fortes raisons pour nous, d'admirer sa Puissance, sa Providence, sa
Sagesse, sa Bonté ? sa Puissance qui les a frappés, sa Providence qui a retardé
le châtiment, sa Sagesse, qui malgré la connaissance qu'Il avait de l'avenir,
Lui a fait suivre les inspirations de sa Nature, enfin son extrême Bonté qui Lui
fait décharger d'abord ses Coups sur les êtres moins importants, sur les animaux
privés de raison ? Le châtiment monta ensuite jusqu'au roi, parce que Dieu
voulait lui donner ainsi un caractère plus évident de publicité. Les malheurs
qui frappent un particulier, ont naturellement peu de retentissement, mais
lorsqu'ils atteignent un grand de la terre, ils arrivent bientôt et sans
difficulté à la connaissance du monde entier.
Le prophète nous a indiqué la cause de ces châtiments, il va
maintenant nous les faire connaître. Toutefois son dessein n'est pas de les
énumérer longuement et en détail, il les comprend tous dans cette seule
proposition : "Il a envoyé des signes et des prodiges au milieu de toi, ô
Égypte." Puis il va plus loin, et nous montre Dieu faisant sortir le peuple de
l'Égypte pour le conduire dans le désert; il déclare ainsi qu'il n'est pas le
Dieu d'une seule partie de la terre, et que son règne n'est pas restreint à une
seule contrée, mais s'étend à l'univers tout entier. C'est pour cela qu'il
ajoute : "Il a frappé plusieurs nations, Il a tué des rois puissants;" (Ibid.,
10); c'est-à-dire, qu'Il n'a cessé de leur donner des gages variés de sa
Puissance, et de les instruire par les faits qui s'accomplissaient sous leurs
yeux. Ainsi les premières guerres leur avaient appris que ce n'était ni la
nature de l'air, ni la puissance des éléments, ni aucune autre cause naturelle,
qui combattait pour eux, mais la Main souveraine qui les gardait au milieu des
dangers. Ces prodiges se rendaient ainsi mutuellement témoignage, les miracles
de l'Égypte à ceux du désert, et les prodiges du désert à ceux dont l'Égypte
avait été le théâtre. En effet, lorsque les Israélites mettaient leurs ennemis
en fuite, sans armes, sans troupes rangées en bataille, sans combat, Dieu leur
faisait voir clairement que s'il avait employé les éléments comme des
instruments contre les Égyptiens, ce n'était pas qu'Il en eût besoin, mais parce
qu'Il voulait diversifier les opérations de sa Puissance en faisant servir les
créatures à la manifester, "Sehon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan." Le
psalmiste n'énumère point les villes conquises, il n'entre pas dans le détail de
chaque combat, mais il franchit avec grandeur d'âme une foule innombrable de
miracles. Il aurait pu s'y arrêter, dépeindre sous de vives couleurs ces
événements tragiques; il ne fait que toucher comme en courant, cette multitude
de prodiges opérés par la Main de Dieu. Les peuples ennemis étaient armés, ils
habitaient des villes fortifiées, ils étaient habiles dans l'art de la guerre;
les Juifs au contraire, étaient comme des exilés, étrangers à la science des
combats, délivrés à peine d'une longue servitude et d'une tyrannie de plusieurs
siècles, épuisés par les privations et les souffrances, en butte à tous les
outrages, mais la main qui les conduisait, les revêtait d'une puissance
invincible à tous leurs ennemis.
6. D'ailleurs la guerre était juste. Les Israélites n'auraient
point attaqué ces peuples, s'ils n'avaient donné des motifs de leur déclarer la
guerre en interceptant le passage au peuple de Dieu, ce qui était de la dernière
cruauté. Quant aux Iduméens, Dieu ne voulut point leur laisser prendre part à la
lutte. Les Israélites auraient pu s'autoriser du Silence de Dieu pour
entreprendre de nouvelles guerres, il leur fit donc connaître dans le désert les
peuples qu'ils devaient combattre et ceux qu'ils devaient épargner, et c'est par
les faits eux-mêmes qu'il leur prescrivit la conduite qu'ils devaient tenir à
l'égard de ceux qu'ils rencontreraient sur leur passage. "Et tous les royaumes
de Chanaan." Voyez-vous comme l'enseignement s'adresse ici à l'univers tout
entier? Les Israélites tonnèrent sur tous ces peuples comme le feu tombe sur les
épines, et aucun d'eux ne pouvait leur résister. Écoutez ici le témoignage de
Balaam instruit non par les prophètes, ni par Moïse, mais par les événements
eux-mêmes. "Ce peuple, dit-il, lèche la terre tout entière." (Num 22,4),
Remarquez la justesse de cette métaphore. Le psalmiste ne dit point; cette
nation fait la guerre, elle renverse, elle détruit, mais "elle lèche."
Pouvait-il exprimer plus énergiquement avec quelle facilité ils remportaient la
victoire, érigeaient des trophées sans verser de sang, et comment il leur
suffisait de tomber sur leurs ennemis pour les mettre en déroute ? Ils n'ont
besoin, dit-il, ni d'années rangées en bataille, ni d'en venir aux mains, il
leur suffit de faire irruption dans un royaume pour que tout cède à leur
approche. Dieu ne voulut pas que leurs victoires fussent seulement le résultat
des lois de la guerre et de leur bon ordre de bataille, ils auraient pu s'en
attribuer la gloire. Voilà pourquoi il soulevait les éléments contre leurs
ennemis pour jeter l'épouvante dans leur esprit. La grêle en tombant sur eux en
écrasa un grand nombre, le soleil suspendit sa course pour prolonger le combat,
on vit mille autres prodiges du même genre, et le son des trompettes, plus
violent que le feu, renverser les murailles. Cette Conduite de Dieu était utile
aux uns comme aux autres; elle apprenait aux peuples ennemis que ce n'étaient
point les hommes qui leur faisaient la guerre; elle enseignait aux Israélites à
lever les yeux vers Dieu, à ne jamais se vanter ou s'enorgueillir de leurs
exploits, mais à se conduire en tout avec modestie et humilité. De semblables
victoires étaient plus glorieuses pour eux que s'ils les avaient remportées par
les moyens ordinaires, elles les rendaient dignes de vénération aux yeux des
autres peuples, et leur inspiraient en même temps des sentiments plus modestes.
En effet, rien de plus propre à leur attirer la vénération que d'avoir lieu pour
chef, et à étouffer en eux toute présomption que d'être dans l'impossibilité de
s'enorgueillir de leurs triomphes ?
"Et il a donné terre en héritage, et pour être l'héritage
d'Israël, son peuple," (Ibid., 12). Voici encore un des prodiges les plus
surprenants : non seulement ils chassaient les peuples devant eux, mais ils
s'emparaient de leurs pays, et se distribuaient leurs villes entre eux, ce qui
leur donnait à la fois une grande joie, de la considération et une gloire
éclatante. Ils en étaient encore redevables à la Puissance de Dieu. Ce n'était
pas en effet une petite entreprise de s'emparer d'un pays ennemi, et il fallait
pour cela un secours extraordinaire de Dieu. "Seigneur, ton Nom subsistera
éternellement, et le souvenir de ta Gloire s'étendra de génération en
génération." (Ibid.,13). Une autre version porte : "Ton souvenir." Le prophète
interrompt la suite de son récit pour louer Dieu selon la coutume des saints. À
peine ont-ils commencé à parler des merveilles de la Main de Dieu, que l'amour
qui les embrase les force de s'interrompre pour bénir et louer l'auteur de ces
prodiges et satisfaire ainsi le désir de leur coeur. C'est ce que saint Paul ne
cesse de faire, surtout au commencement de ses épîtres, comme lorsqu'il écrit
aux Églises de Galatie : "Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu
notre Père, et par Jésus Christ notre Seigneur, qui S'est livré Lui-même pour
nos péchés, selon la Volonté de Dieu notre Père, à qui appartient la gloire dans
les siècles des siècles. Amen." (Gal 1,3-5). Et dans l'Épître aux Romains : "Eux
à qui appartiennent l'adoption des enfants, la gloire, le culte, les promesses;
qui ont pour pères les patriarches, et de qui est sorti, selon la chair, Jésus
Christ même le Dieu au-dessus de toutes choses, et béni dans tous les siècles.
Amen." (Rom 9,4). Et dans un autre endroit : "Au roi des siècles, immortel,
invisible, au seul Dieu sage, honneur et gloire dans les siècles des siècles.
Amen." (I Tim 1,17). De même ici le prophète, qui vient de méditer sur la
Providence universelle de Dieu, et de repasser dans son esprit les plaies de
l'Égypte, les miracles du désert, les grâces si variées que Dieu n'a cessé de
répandre sur les Israélites, les fléaux qu'il a fait tomber sur leurs ennemis,
sent son coeur s'enflammer au souvenir d'une si grande bonté, et laisse échapper
ce cri de louange : "Seigneur, ton Nom subsistera éternellement et ton Souvenir
s'étendra de génération en génération." C'est-à-dire ta Gloire est éternelle.
Elle ne peut souffrir aucun amoindrissement, aucune interruption, elle est
toujours la même, toujours immuable, à l'abri de tout changement, toujours dans
sa fleur et dans sa force. Que signifient ces paroles; "ton Souvenir s'étendra
de génération en génération ?" Ton Souvenir est également éternel, et n'aura
jamais de fin. "Car le Seigneur jugera son peuple et Se laissera fléchir aux
prières de ses serviteurs:" (Ibid., 14. On peut appliquer au peuple de Dieu les
deux parties de la proposition en ce sens que Dieu commencera par le châtier; et
qu'à l'action de sa Justice succédera la consolation, on peut aussi la diviser,
c'est-à-dire appliquer au peuple de Dieu l'exercice de la bonté, et restreindre
à ses ennemis l'action de la Justice divine. Tel serait donc le sens de ce
verset : "Il fera sentir sa Bonté aux uns," ce que signifie l'expression : "Il
se laissera fléchir," et Il jugera les ennemis de son peuple, c'est-à-dire qu'Il
à éprouveront les effets de sa justice.
7. Le prophète ne pouvait s'appuyer sur les bonnes oeuvres des
Israélites, le seul titre qu'il invoque en leur faveur est donc qu'ils sont le
peuple de Dieu et ses serviteurs. L'expression "Il Se laissera fléchir," nous
montre que le principe de la réconciliation est dans la Bonté de Dieu, et non
dans les mérites du peuple. La prière, la supplication, supposent qu'on a besoin
du portion, et la nécessité du pardon exclut le mérite des bonnes oeuvres et ne
laisse place qu'à la miséricorde. Il avait dit précédemment : "Ton Souvenir
s'étendra de génération en génération." Or, les Israélites étaient alors les
seuls parmi tous les peuples qui reconnaissaient le vrai Dieu, et tel est le
sens de ces paroles : "Le salut de ton peuple fera éclater ta Gloire parmi
toutes les nations." Il est en Dieu une gloire essentielle, indépendante de tout
culte, de tout hommage, elle n'est sujette à aucune division, à aucune
altération, à aucun changement. Mais la gloire qui lui vient des hommes recevra
un nouvel éclat de l'action qui nous sauve, lorsque nous aurons recouvré notre
ville, les édifices sacrés et le temple, et que nous serons rentrés en
possession de nos anciennes institutions. "Les idoles des nations sont de
l'argent et de l'or, et les ouvrages des mains des hommes." (Ibid., 15). Il
avait, en commençant, proclamé cette vérité : "Notre Dieu est au-dessus de tous
les dieux;" et il semblait ne reconnaître en Lui qu'une supériorité relative à
cause du peu d'intelligence de ceux à qui il s'adressait; il développe ici la
même pensée,. Il décrit tout d'abord la Puissance de Dieu, les merveilles qu'Il
a opérées dans le ciel, sur la terre, dans les abîmes, en faveur des Juifs, dans
leur pays, comme dans les régions étrangères, au milieu de leurs ennemis et
parmi toutes les nations de la terre. Puis il a fait le tableau de sa Bonté, de
sa Miséricorde, de sa Sollicitude, de sa Sagesse, de sa Puissance, et montré
qu'il était le Dieu de l'univers tout entier et que sa Providence s'étendait à
tout ce qui existe. Il se rit maintenant de la faiblesse des idoles, tourne en
ridicule leur nature, et fait de leur nom le premier chef d'accusation.
Qu'est-ce qu'une idole, en effet ? Ce qu'il y a de plus impuissant, de plus vil,
et son nom seul est synonyme de faiblesse extrême. Voilà ce qui lui fait dire :
"Les idoles des nations sont de l'or et de l'argent." Premièrement, ce sont des
idoles; secondement, une matière inanimée; troisièmement, par là même que ce
sont des idoles, non seulement ce sont des êtres vils, faibles et impuissants,
mais ils sont l'ouvrage des hommes, comme l'ajoute le prophète : "Et les
ouvrages de la main des hommes." Pouvait-il condamner plus fortement ceux qui
les adorent ? Ces idoles sont l'oeuvre de leurs mains, et ils placent en elles
l'espérance de leur salut !
"Elles ont une bouche et ne parleront point; elles ont des yeux
et ne verront point; elles ont des oreilles et n'entendront point, car il n'y a
point d'esprit de vie dans leur bouche. Que ceux qui les font leur deviennent
semblables, et tous ceux aussi qui se confient en elles." (Ibid., 16-18), "Elles
ont une bouche et ne parleront point." Voyez-vous comme il les poursuit de ses
railleries, et comme il met à jour la fraude dont elles étaient les instruments.
Comme les démons leur imprimaient quelquefois une apparence de vie, il dévoile
le drame hypocrite qu'ils leur faisaient jouer en montrant que l'esprit de vie
n'est pas dans leur bouche. Et comment se fait-il que le démon ne fait, ne dit
rien que par elles ? Les statues de ces idoles sont les colonnes et le symbole
de la fornication, de l'adultère, de tous les vices réunis; le démon se sert
donc de la vue de ces idoles comme d'un moyen de séduction pour enseigner les
vices qu'elles représentent, et c'est pour cela qu'il se tient près d'elles pour
leur imprimer le mouvement et arriver ainsi à ses fins. Le psalmiste achève
d'accabler ces idoles sous le ridicule en ajoutant : "Que ceux qui les font leur
deviennent semblables." Jugez quels doivent être ces dieux, à qui l'on ne peut
souhaiter de ressembler que par imprécation. Il n'en est pas ainsi parmi nous.
La perfection de la vertu, ce qui nous élève au comble de tous les biens, c'est
de devenir semblables à Dieu, autant que cela nous est possible. Pour eux, au
contraire, leur culte et leurs dieux sont tels, que leur ressembler est le
dernier des malheurs qu'on puisse souhaiter. Faire voir que ces idoles sont une
matière inanimée, qu'elles sont l'oeuvre de ceux qui les adorent, et des
monuments d'infamie, qu'elles n'ont aucun sentiment, et qu'on ne peut souhaiter
de plus grand malheur que de leur ressembler, n'est-ce pas démontrer l'erreur
souveraine des idolâtres ? Or, après avoir dévoilé la faiblesse des idoles, les
fraudes dont elles sont l'instrument, la méchanceté des démons et la folie de
ceux qui fabriquent ces statues, le prophète s'empresse de sortir de ces erreurs
et termine son discours par les louanges de Dieu. Il ne continue pas le récit
des merveilles que Dieu a opérées, il les a suffisamment exposées, il demande à
tous ceux qui ont eu part à ses bienfaits, le tribut d'éloges que réclament ces
prodiges que tous s'accordent à reconnaître. Voilà pourquoi tous, sans
exception, sont appelés à célébrer la gloire de Dieu : "Maison d'Israël,
bénissez le Seigneur. Maison d'Aaron, bénissez le Seigneur. Maison de Lévi,
bénissez le Seigneur. Vous qui craignez le Seigneur, bénissez-le. Que le
Seigneur soit béni de Sion, lui qui habite dans Jérusalem." (Ibid,,
19-21).
Mais pourquoi, au lieu de cette invitation distincte faite à
chaque partie du peuple, ne pas inviter collectivement tous les Israélites ?
Pour vous faire comprendre qu'il y a ici une différence dans la manière de bénir
Dieu. Le prêtre ne le bénit pas comme le lévite, et le simple fidèle ne le bénit
pas comme tout le peuple assemblé. Cette invitation : "Bénissez le Seigneur," a
pour but de leur faire comprendre cette nature bienheureuse qui ne soufre aucun
mélange. Bénissez Dieu, leur dit-il, de ce que vous êtes délivrés de vos
ennemis, de ce que vous êtes dignes d'adorer un Dieu si grand, de ce que vous
avez connu la vérité. Ah ! sans doute, il est béni parce qu'Il possède en sa
Nature toute bénédiction, et qu'Il n'a point besoin des louanges des hommes;
cependant ne laissez pas de Le louer, non pour ajouter quelque chose à sa
Gloire, mais pour recueillir les fruits précieux que vous promet cette
bénédiction. Oui, il est essentiellement béni de sa Nature, et cependant il veut
encore que nous Le bénissions. Le psalmiste évoque de nouveau le souvenir de
Sion et de Jérusalem. C'est là qu'était le siège de leur gouvernement et de leur
religion, c'est là qu'ils venaient puiser les enseignements divins et les règles
de la sagesse. Il veut donc leur inspirer pour ces lieux une vénération profonde
en les couvrant du nom même de Dieu, afin que cette vénération accroisse leur
désir et leur zèle pour ces saints lieux, que ce désir les y attire en plus
grand nombre, et que profondément attachés par là au culte du vrai Dieu, ils
puissent s'élever à une vertu plus parfaite, ce qui était la fin de tous les
prodiges que Dieu avait opérés. Les Israélites avaient alors Jérusalem et Sion,
nous avons aujourd'hui les cieux et les biens qu'ils renferment. Attachons-nous
à ce bienheureux séjour, pour obtenir les biens éternels par la Grâce et la
Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire dans les
siècles des siècles. Amen.