Psaume 137 - Sur le bord des fleuves de Babylone
"Nous nous sommes assis sur le bord des fleuves de Babylone, et là nous avons pleuré au souvenir de Sion." v.1.
1. Quels vifs regrets de la cité qu'ils ont perdue, et quel ardent désir d'y rentrer ! Tant qu'ils furent heureux, on ne voyait en eux que dédain et insolence, mais lorsqu'ils furent dépouillés de tous leurs biens, ils se prirent à les désirer. C'était, du reste, pour réveiller ce désir, que Dieu les avait bannis de leur patrie. C'est la conduite qu'il tient ordinairement. Lorsque nous vivons dans l'abondance des biens qu'Il nous donne, nous y sommes comme insensibles. Que fait Dieu ? Il nous les retire, pour que cette privation nous rende plus sages, et nous les fasse rechercher de nouveau. Mais pourquoi les Israélites étaient-ils assis sur les bords des fleuves ? Parce qu'ils étaient captifs, renfermés dans un pays étranger, et qu'ils habitaient hors des murs des villes. "Aux saules de leur rivage, nous avons suspendu nos instruments." (Ibid., 2). Une autre version porte : "Nos harpes;" une autre : "Nos lyres." Pour quelle raison, en partant pour la captivité, emportèrent-ils avec eux ces instruments, dont ils ne devaient plus se servir ? C'était par un dessein providentiel de Dieu qui voulait, jusque dans ces contrées étrangères, leur mettre devant les yeux les souvenirs de leurs premières institutions, et réveiller leurs regrets par la vue de ces instruments, symboles de leurs cérémonies religieuses. "Là, ceux qui nous ont emmenés captifs, nous dirent de chanter, et ceux qui nous avaient arrachés de la patrie, nous ont dit : Chantez-nous des cantiques de Sion." (Ibid., 3). Ces instances des barbares qui désiraient entendre leurs cantiques avaient pour eux un immense avantage. Jugez de là, combien la captivité leur fut utile. Ils s'étaient joués de leurs rites sacrés, ils avaient renié leur religion, foulé aux pieds leur loi en mille manières. Et voici que dans une terre étrangère, ils portent la fidélité jusqu'à résister aux instances, aux menaces mêmes des barbares qui les entourent et qui désiraient les entendre. Ils refusent d'accéder à leurs désirs et préfèrent observer exactement leur loi. Au lieu de "ceux qui nous ont emmenés," un autre interprète traduit : "ceux qui nous traitaient insolemment." Tel serait donc le sens de ces paroles : Ceux qui s'emportaient contre nous, et qui nous opprimaient, sont devenus avec le temps si bons, si doux, si faciles, qu'ils désirent entendre nos cantiques. Et cependant les Israélites résistèrent. Voyez-vous quelle force leur donne l'affliction, quelle componction elle leur inspire, comme elle brise leur âme par le repentir ? Ils pleuraient et ils restaient fidèles à leur loi. Ils se riaient autrefois, ils se jouaient des larmes des prophètes, ils insultaient à leur douleur; et maintenant sans que personne les y excite, ils se livrent aux pleurs et aux gémissements. Ce spectacle avait pour leurs ennemis eux-mêmes de précieux avantages. Ils pouvaient se convaincre que ce n'était ni le joug de la captivité ni le poids de la servitude, ni le séjour dans une terre étrangère qui faisait couler leurs larmes, mais la privation du culte qu'ils rendaient à Dieu. Voilà pourquoi le prophète ajoute : "Au souvenir de Sion." Leurs gémissements ne sont pas sans motif, leur plus fréquente occupation était de verser des larmes. Voilà pourquoi ces expressions du prophète : "Nous nous sommes assis et nous avons pleuré;" c'est-à-dire qu'ils s'étaient assis pour se livrer aux gémissements et aux pleurs. Mais pourquoi leur était-il défendu de chanter dans une terre étrangère ? parce que des oreilles profanes n'étaient pas dignes d'entendre ces chants mystérieux. "Comment, hélas, chanterions-nous les cantiques de l'Éternel dans une terre étrangère ?" (Ibid., 4). Ce qui veut dire : il ne nous est pas permis de chanter. Nous avons, il est vrai, perdu notre patrie, mais nous restons inviolablement fidèles à notre loi, et nous l'observons avec une exactitude scrupuleuse. Aussi, bien que vous soyez les maîtres de nos corps, vous ne triompherez jamais des résolutions de notre âme. Voilà quelle sagesse l'affliction leur inspire, et comme leur âme est devenue supérieure à toutes les épreuves."
"Si je t'oublie, ô Jérusalem, que ma droite soit elle-même oubliée. (Ibid., 5). Que ma langue s'attache à mon palais." Quel admirable changement s'est encore opéré en eux ! Chaque jour ils entendaient avec une profonde indifférence les prophéties qui leur prédisaient qu'ils seraient chassés de leur cité; et aujourd'hui ils se dévouent aux plus grands malheurs, s'ils viennent à en perdre le souvenir. Or, que signifient ces paroles : "Que ma droite soit oubliée ?" Que ma force et ma puissance m'échappent, et que je demeure sans voix devant l'excès de mes maux. "Si j'oublie ton souvenir, si je ne mets Jérusalem la première dans mes cantiques de joie." (Ibid., 6). Qu'est-ce à dire, "Si je ne mets Jérusalem la première ?" Ce n'est pas seulement dans d'autres circonstances ordinaires, mais dans mes hymnes et dans mes cantiques que je me souviendrai de toi. Ces paroles : "Si je ne mets Jérusalem la première," signifient : "Si elle n'est pas le premier objet de mes cantiques," et c'est là l'expression d'une âme qui désire vivement, ou plutôt qui est embrasée d'un amour ardent. Soyons ici attentifs et instruisons-nous. Les Israélites se sentirent enflammés de vifs désirs pour Jérusalem, lorsqu'ils en furent bannis. Plusieurs d'entre nous éprouveront un jour les mêmes sentiments lorsqu'ils se verront exclus de la Jérusalem céleste. Mais les Israélites avaient du moins l'espérance de retourner dans leur patrie; pour nous, au contraire, quel espoir de rentrer dans la céleste patrie que nous aurons perdue ? "Le ver qui les ronge ne mourra pas, et le feu qui les brûle ne s'éteindra pas." (Mc 9,43). Veillons donc avec le plus grand soin sur toutes nos actions, et réglons ici-bas toute notre vie de manière à éviter la captivité, et à ne pas être exclus comme des étrangers de cette cité céleste. "Souviens-Toi, Seigneur, des enfants d'Edom au jour de Jérusalem, lorsqu'ils s'écriaient : "Détruisez, détruisez jusqu'à ses fondements." Une autre version porte : "Pour les enfants d'Edom." On reconnaît encore à ce langage le désir brûlant de leur patrie. Or voici le sens de ces paroles : Appesantissez votre bras sur ceux qui non contents de s'être emparés de la ville sainte, et de l'avoir renversée, poussaient plus loin leur fureur et disaient : "Creusez, détruisez-la jusque dans ses fondations." Ils voulaient détruire jusqu'aux appuis de la cité et arracher jusqu'à ses fondements.
2. Ces fils d'Édom étaient des Arabes qui s'étaient réunis aux Babyloniens pour attaquer les Juifs, et il en est souvent question dans les psaumes. Le prophète leur fait ici de violents reproches de ce que, malgré la parenté qui les unissait aux Israélites, ils ont été pour eux plus cruels que leurs ennemis. "Fille de Babylone, malheur à toi !" Une autre version porte : "Qui est dévastée; " une autre : "Qui sera dévastée." Nous voyons ici la Puissance de Dieu se manifester, non pas en délivrant son peuple de ses calamités, mais en exerçant sa juste Vengeance sur ses ennemis. Le prophète prédit donc les malheurs dont Babylone était menacée, et il la proclame misérable à cause des maux qui devaient fondre sur elle. C'est ainsi qu'il instruit les Juifs et montre que la Puissance de Dieu s'étend à toute la terre. "Heureux celui qui te rendra les maux que tu nous as fait souffrir." Suivant une autre version : "Ce que tu nous as fait." (Ibid., 8). "Heureux celui qui saisira tes enfants, et qui les brisera contre la pierre." (lbid., 9). Ces paroles sont pleines de colère, et font appel à des châtiments, à des supplices cruels. C'est un langage inspiré par la souffrance à ces malheureux captifs qui demandent à Dieu une vengeance rigoureuse, un supplice d'un genre nouveau et tout à fait extraordinaire. En effet, les prophètes n'expriment pas toujours leurs sentiments personnels, mais se rendent souvent les interprètes des impressions des autres. Si vous voulez connaître les véritables sentiments du psalmiste, écoutez-le vous dire : "Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en ont fait," (Ps 7,5), et aller ainsi bien au delà des prescriptions de la loi. Mais quand il exprime les sentiments des autres, il décrit leur colère, leur douleur; c'est ce qu'il fait ici en reproduisant l'esprit de vengeance qui animait les Juifs, et l'excès d'une colère qui n'épargnait même pas l'enfance. Tel n'est pas l'esprit de la nouvelle alliance, elle nous ordonne d'apaiser la soif de nos ennemis, de les nourrir et de prier pour ceux qui nous ont fait du mal. En agissant ainsi, nous obéissons à la loi qui nous est donnée. Quelle est cette loi ? "Si votre justice n'est pas plus parfaite que celle des Scribes et des Pharisiens, vous montrerez pas dans le royaume des cieux." (Mt 5,20). Appliquons-nous donc avec zèle à l'observation exacte de cette loi, nous deviendrons par là dès cette vie, habitants du ciel, nous ferons partie des choeurs des anges, et nous nous rendrons dignes des biens éternels.
Puissions-nous tous les obtenir par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartient la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.
- Jean Chrysostome
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