«Pour la fin, pour celle qui obtient l'héritage.» (v. 1.)
Voyons d'abord quel est cet héritage, si nous y avons des droits, et le temps
où nous devons en prendre possession. En effet, n'est-il pas contraire à toute
raison, lorsqu'une succession nous est dévolue par un testament qui nous en
assure la possession certaine, de nous voir faire mille démarches, nous donner
mille peines, rechercher soigneusement les titres, consigner des sommes,
recourir aux pièces, en transcrire la teneur, en un mot, déployer une activité
sans bornes; tandis que nous restons froids et insensibles devant ce testament
spirituel qui nous est présenté, devant ces lettres ouvertes sous nos yeux, et
alors qu'il s'agit d'un héritage qui n'a rien de matériel ? Approchons-nous
donc, ouvrons les titres, examinons avec soin les termes du testament, voyons
pour quelles raisons cet héritage nous est dévolu, et quelle en est la nature.
Car il ne nous est pas laissé purement et simplement, mais à des conditions
expresses. Quelles sont ces conditions ? «Celui qui m'aime, nous dit notre
Seigneur Jésus Christ, gardera mes commandements.» (Jn 14,23). Et encore :
« Celui qui ne porte point sa croix et ne me suit pas » (Mt 10,38); et plusieurs
autres conditions qui sont mentionnées dans ce testament. Apprenons aussi le
temps où nous devons entrer en possession de cet héritage : ce n'est point
dans le temps présent, mais dans l'autre vie; ou plutôt c'est à la fois dans
cette vie et dans l'autre : «Cherchez avant tout le royaume de Dieu et sa
justice, nous dit-Il et le reste vous sera donné comme par surcroît;» (Lc
12,31); mais la pleine et entière possession de cet héritage ne nous sera donnée
que dans la vie future.
Comme la vie présente est fragile et périssable et que d'ailleurs nous sommes
encore loin de la perfection, Dieu fait à notre égard ce que font les
législateurs de la terre, qui ne délivrent l'héritage paternel qu'à ceux qui ont
atteint l'âge de leur majorité. Ainsi Dieu nous délivrera notre héritage lorsque
nous serons parvenus à l'état de l'homme parfait, à la mesure de l'âge voulu, et
que nous serons entrés dans cette vie sur laquelle la mort a perdu son empire.
En attendant, Il a fait son testament, Il nous a laissé les Écritures où Il nous
prescrit ce que nous devons faire pour entrer en possession de cet héritage, ne
point perdre les titres qu'Il nous donne, et n'être point exclus de toute espèce
de droit à cette glorieuse succession. Si quelques-uns, à la pensée de leur
imperfections venaient à concevoir de l'inquiétude et de la défiance à l'égard
des Promesses divines, qu'ils écoutent ce que leur dit l'apôtre saint Paul,
parlant à la fois de la vie présente et de la vie future : «Quand j'étais
enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant;
mais, lorsque je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de
l'enfant.» (I Cor 13,11). Et, dans un autre endroit : «Jusqu'à ce que nous
arrivions à l'état de l'homme parfait, à la mesure de l'âge de la plénitude du
Christ.» (Ep 4,13). Dans la vie présente, nous dit saint Paul, les choses créées
sont pour nous comme une nourrice qui soutient notre enfance; mais, lorsque nous
entrerons dans la maison du Seigneur, nous dépouillerons les vêtements de la
corruption pour revêtir l'incorruptibilité, et nous passerons à une vie d'un
genre tout différent. Ce testament déshérite donc par avance un grand nombre
d'hommes, ceux qui ne remplissent pas les conditions qu'Il impose aux héritiers.
Considérons maintenant la nature de l'héritage «C'est ce que l'oeil n'a point
vu, l'oreille n'a point entendu, et ce que le coeur de l'homme n'a jamais
conçu.» (1 Cor 2,9). Comment donc pourrions-nous jouir dans la vie présente de
ce magnifique héritage dont la connaissance seule surpasse toutes nos
pensées ? C'est pour cela que Dieu en a réservé la jouissance pour la vie
future. Mais voyez jusqu'où s'étend sa tendre Sollicitude pour nous : Il
circonscrit les travaux et les épreuves dans la vie présente, pour que les
souffrances ne dépassent pas la durée de cette vie si courte; et Il réserve les
véritables biens pour la vie future, pour que les récompenses soient égales en
durée à celle même de l'éternité. Dieu donne aussi à cet héritage le nom de
royaume. Ces biens qui nous attendent sont au-dessus de toute parole; cependant
Dieu S'est servi d'images et de figures pour nous en donner quelqu'idée, autant
qu'il nous est possible de l'avoir. Tantôt c'est un royaume, tantôt ce sont des
noces, tantôt un empire; Il emprunte, ce semble, à la terre les noms les plus
éclatants pour nous faciliter l'intelligence de ces biens immortels, de cette
gloire éternelle, de cette béatitude sans fin, de cette vie qui nous sera
commune avec Jésus Christ, et à laquelle rien ne peut être comparé.
Or, quelles sont les conditions que nous impose l'Église, ou plutôt cet
héritage lui-même ? Elles sont on ne peut plus faciles à remplir. «Tout ce
que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le vous-même pour eux.» (Mt
7,12). Vous voyez qu'il n'exige de vous rien d'extraordinaire; ce sont les lois
que la nature elle-même avait prescrites. Faites à votre prochain, vous dit-il,
ce que vous voudriez qu'il vous fît à vous-mêmes. Vous aimez qu'il vous
loue ? Louez-le le premier. Vous ne voulez pas qu'il vous dérobe ce qui
vous appartient ? Respectez vous-même le bien des autres. Vous désirez être
honoré ? Honorez les autres. Vous voulez qu'on soit miséricordieux à votre
égard ? Soyez miséricordieux pour vos frères. Vous voulez qu'on vous aime ?
Commencez par aimer. Vous craignez d'entendre parler mal de vous ? Ne
parlez jamais mal de personne. Remarquez la justesse du langage de notre
Sauveur. Il n'a point dit : Ne faites pas aux autres ce que vous ne
voudriez pas qu'on vous fît; mais : «Faites ce que vous voulez qu'on vous
fasse.» Deux voies nous conduisent à la vertu : l'une, la fuite du mal;
l'autre, la pratique des bonnes oeuvres. Le Sauveur nous propose cette dernière
voie dans laquelle se trouve comprise en quelque sorte la première. Déjà notre
Seigneur avait commencé à le faire entendre lorsqu'Il disait : «Ne faites
point à un autre ce que vous seriez fâché qu'on vous fît.» (Tob 4,16). Mais ici
Il s'exprime en termes clairs et exprès : «Tout ce que vous voulez que les
hommes vous fassent, faites-le-leur vous-mêmes.»
2. Il y a encore une autre condition. Quelle est-elle ? Aimer son
prochain comme soi-même. Quoi de plus facile ? Ce qui est difficile et
pénible, c'est la haine, source de trouble et de dissension; mais pour aimer
c'est une chose facile et douce. S'il nous avait dit à nous autres hommes :
Vous aimerez les animaux, ce commandement eût offert quelque difficulté; mais
c'est à des hommes qu'il ordonne d'aimer des hommes, qui sont de même substance,
qui descendent d'une même famille, et que la voix de la nature, par mille
raisons, nous conseille d'aimer. Où sont donc les difficultés ? Les lions
comme les loups nous donnent ici l'exemple; car la conformité de nature établit
entre eux une certaine liaison. Quelle sera donc notre excuse, à nous qui
apprivoisons les lions, qui habitons avec eux dans nos demeures, et qui ne
faisons rien pour attirer nos semblables ? N'en voyez-vous pas un grand
nombre qui, pour obtenir un héritage, assiègent et obsèdent les
vieillards : jeunes encore, pleins de force et de santé, ils supportent
toutes les incommodités de la vieillesse, la goutte, les infirmités de l'âge,
les suites des affections catarrhales, sans quitter ces vieillards d'un seul
instant. Et pourquoi ? Pour des richesses, pour une espérance incertaine;
tandis que pour nous, c'est le ciel, et, avant le ciel, le bonheur de plaire à
Dieu.
Mais quelle est donc celle qui obtient ici l'héritage, car le titre de ce
psaume porte : «Pour celle qui obtient l'héritage ?» C'est l'Église et
tous les membres dont elle est composée, c'est elle dont saint Paul dit :
«Je vous ai fiancés à cet unique Époux qui est Jésus Christ, pour vous présenter
à Lui comme une vierge toute pure» (2 Cor 11,2); et saint Jean : «Celui qui
a une épouse est époux.» (Jn 3,9). L'époux, les premiers jours passés, sent
diminuer la vivacité de son amour; mais notre époux nous aime continuellement et
d'un amour qui s'accroît de jour en jour; c'est ce que saint Jean veut nous
faire entendre en lui donnant le nom d'époux nouvellement fiancé, alors que sa
tendresse est dans toute sa force. Et ce n'est pas la seule raison pour laquelle
il donne à l'Église le nom d'épouse, il veut encore que tous nous ne formions
qu'un corps et qu'une âme, par les sentiments d'une même vertu et d'un même
amour; et que pendant tout le cours de notre vie nous imitions l'épouse qui n'a
d'autre objet que de plaire à son époux. Telle que l'épouse assise le jour de
son union dans sa chambre nuptiale n'a qu'une préoccupation, celle de se rendre
agréable à son époux, ainsi nous-mêmes, pendant tout le cours de notre vie,
n'ayons qu'une pensée, celle de plaire à notre époux et de garder fidèlement la
conduite modeste et digne de l'épouse. C'est de cette épouse que David disait
longtemps à l'avance : «La reine s'est tenue à ta droite, ornée d'un habit
enrichi d'or, couverte de vêtements de diverses couleurs.» (Ps 44,10).
Voulez-vous connaître sa chaussure ? Écoutez saint Paul qui est chargé de
conduire l'épouse et qui vous dit : «Que vos pieds aient une chaussure qui
vous dispose à suivre l'évangile de la paix.» (Ep 5,15). Voulez-vous voir aussi
sa ceinture, et comme elle est tissée de la vérité : «Que la vérité, vous
dit-il, soit la ceinture de vos reins. (Ibid., 5,27). Voulez-vous encore
contempler sa beauté, le même apôtre vous en fait la description : «Elle n'a ni
tache, ni ride.» (Ibid., 5,27). Écoutez encore l'éloge qu'en fait l'auteur du
Livre des Cantiques : «Tu es toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a aucune
tache en toi.» (Can 4,7), Voulez-vous voir enfin ses pieds, saint Paul vous
dit : «Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent l'évangile de
paix, de ceux qui annoncent les biens !» (Rm 10,15). Et ce qui doit nous
remplir d'admiration et d'étonnement, c'est qu'après avoir ainsi prodigué les
ornements pour son épouse, Il n'est point venu dans tout l'éclat de sa gloire,
dans la crainte de l'effrayer et de la mettre hors d'elle-même par la splendeur
de sa beauté; Il est venu revêtu du même vêtement que son épouse, et Il a voulu
prendre comme elle une nature composée de chair et de sang.
Il ne l'appelle pas non plus du haut du ciel, Il vient la chercher sur la
terre, fidèle en cela à la coutume qui veut que l'époux vienne chercher l'épouse
dans sa demeure. C'est la loi proclamée autrefois par Moïse : «C'est
pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à son épouse» (Gn
2,24), et saint Paul lui-même a dit : «Ce sacrement est grand, je le dis,
en Jésus Christ et en l'Église.» (Ep 5,32). Lors donc qu'il est entré dans sa
demeure, et qu'il l'a trouvée couverte de mille souillures, sans vêtement et
étendue dans l'impureté de son sang, (Éz 16,5-6), Il l'a purifiée, Il a répandu
sur elle une huile parfumée, Il l'a nourrie de mets exquis, l'a revêtue d'habits
d'une richesse incomparable. Après qu'Il S'est rendu Lui-même son vêtement, Il
l'a prise et conduite dans les cieux. C'est pour elle que l'héritage est
préparé. Mais que dit de cette héritière le roi-prophète ? Une multitude de
choses; car il est son avocat et il a prédit et annonce d'avance un grand nombre
d'événements dont elle devait être l'objet; par exemple : celui qui serait
son époux, son union avec Lui, les biens dont Il devait la combler. C'est pour
cela qu'il parle ici en son nom, et qu'à l'exemple des orateurs et des avocats
qui avant de plaider devant les tribunaux disent le nom du client dont ils
prennent la défense, il nous avertit qu'il va parler «pour celle qui reçoit
l'héritage.» Mais écoutons ce que demande à Dieu celle pour qui l'héritage est
destiné. «Seigneur, prête l'oreille à mes paroles.» Elle donne le nom de
seigneur à son époux, c'est le langage d'une épouse prudente. Si l'usage suivi
par ceux qui ont une même nature, est que l'épouse appelle son mari son
seigneur; cet usage a bien plus sa raison d'être dans les rapports de Jésus
Christ avec son Église, puisqu'Il est par nature son Seigneur et son Dieu. Elle
L'appelle donc son Seigneur non seulement parce qu'Il est son époux, mais parce
qu'Il est vraiment son Seigneur; elle Le prépare ainsi à écouter sa prière.
L'héritage lui est destiné; mais le testament n'aura son plein effet qu'à la
condition qu'elle aura parfaitement accompli les commandements qui lui sont
proposés. Elle s'adresse donc à Dieu et Le prie de venir à son secours, afin
qu'elle puisse observer les commandements et ne pas perdre ses droits à
l'héritage céleste : «Seigneur, dit-elle, prête l'oreille à mes paroles.»
Sa prière est pleine de confiance, parce qu'elle demande ce que Dieu même a le
plus grand désir de lui accorder; tandis que celui qui demande à Dieu des choses
indignes de Lui, ne peut espérer d'être exaucé. Ainsi, prier contre ses ennemis,
contre ceux qui nous ont causé quelque peine, ce n'est pas le langage d'un
homme, c'est le langage du démon. Si, en effet, le jurement vient du démon,
«car, dit notre Seigneur, ce qui se dit de plus que : Cela est, cela n'est
pas, vient du malin.» (Mt 5,37); il est évident que la prière contre les ennemis
vient de la même source. Si donc vous dites à Dieu : «Seigneur, prête
l'oreille à mes paroles,» dites-le dans les sentiments d'un homme plein de
douceur et de charité, et qui n'a rien de commun avec le démon.
«Comprends mes cris.» Ces cris, ce n'est pas l'élévation de la voix, mais le
sentiment du coeur. Dieu ne dit-Il pas à Moïse qui Le priait en silence :
«Pourquoi cries-tu vers Moi ?» (Ex 14,15). Il ne lui dit pas :
Pourquoi me pries-tu ? mais : «Pourquoi cries-tu vers Moi ? »
parce que la prière de Moïse lui était inspirée par un ardent amour pour son
peuple. Or, pour mieux vous convaincre qu'il ne s'agit pas ici d'un cri
extérieur, mais de la disposition de l'âme, et d'un redoublement de désirs, le
roi-prophète ne dit pas : Prête l'oreille à mes cris; mais :
«Comprends» ou bien : Apprends quel est l'objet de mes cris. Car, bien qu'il se
soit servi d'un langage humain, ce langage a une signification plus haute. «Sois
attentif à la voix de ma supplication.» Cette voix c'est encore une voix
intérieure. C'est ainsi qu'Anne criait vers le Seigneur. (1 Rois 1,13).
Remarquez encore qu'il ne dit pas simplement : «Prête l'oreille à la voix
de ma prière;» mais : «Prête l'oreille à la voix de ma supplication.» Celui qui
prie doit, en effet, prendre l'extérieur et les sentiments d'un véritable
suppliant. Un suppliant se garde bien de tenir le langage d'un accusateur; or,
celui qui prie contre ses ennemis est un accusateur plutôt qu'un suppliant. Vous
voyez donc qu'il ne présente sa prière que lorsqu'il l'a rendue digne d'être
entendue. Ainsi lorsque nous voulons assurer le succès de notre prière,
commençons par la préparer, qu'elle soit une véritable prière et non une
accusation, et alors nous pourrons l'adresser à Dieu conformément aux lois qu'Il
a Lui-même prescrites. «Ô mon roi et mon Dieu.» C'est le nom que le prophète
donne souvent à Dieu et qui était encore plus familier au patriarche Abraham.
Aussi, dit saint Paul, «Dieu ne rougit pas de S'appeler leur Dieu.» (Hé 11,16).
L'Église donne elle-même à Dieu ce nom, et le justifie par l'ardeur de ses
désirs; elle ne se contente pas de dire : «Ô roi,» mais, «Ô mon roi et mon Dieu
!» témoignant ainsi de l'amour qui l'anime.
Elle expose ensuite les raisons qui rendent sa prière digne d'être exaucée.
Quelles sont ces raisons ? - «Car je T'adresserai ma prière, ô mon Dieu.» Qui
donc, me direz-vous, n'adresse pas ses prières à Dieu ? Il en est beaucoup qui
paraissent prier Dieu, mais qui le font uniquement pour être vus des hommes. Ce
n'est point ainsi que prie l'Église, elle s'adresse à Dieu seul, en laissant de
côté toute considération humaine. «Tu entends ma voix dès le matin.» Vous voyez
une âme pleine d'ardeur et profondément pénétrée. C'est aux premiers rayons du
jour, dit-elle, que je me livre à ce saint exercice. - Écoutez cette leçon, vous
qui ne vous mettez en prière qu'après mille occupations étrangères. L'Église
agit bien différemment, elle donne à Dieu les prémices de la journée. «Il faut,
dit l'auteur du livre de la Sagesse, prévenir le lever du soleil pour Te bénir,
et T'adorer avant le lever du jour.» (Sag 16,28). Vous ne souffrez point qu'un
de vos inférieurs présente avant vous ses hommages à l'empereur. Et cependant le
soleil adore depuis longtemps son Créateur, et vous dormez encore; vous cédez
ici la première place à la créature, et vous ne prévenez pas toute cette nature
créée pour vous, et vous ne rendez pas à Dieu vos actions de grâces. Aussitôt
que vous êtes sortis du lit, vous vous lavez les mains et la figure sans songer
à donner à votre âme aucun des soins qu'elle exige. Ne savez-vous donc pas que
la prière purifie l'âme, comme l'eau purifie le corps ? Purifiez donc votre
âme avant votre corps. Le péché a couvert notre âme d'une multitude innombrable
de taches, effaçons-les par la prière. Nos lèvres étant ainsi protégées, les
actions de la journée reposeront sur un fondement solide et durable...
«Dès le matin, je me présenterai devant Toi et je Te contemplerai.» Je me
présenterai devant Toi, non en changeant de lieu, mais par mes oeuvres. C'est le
seul moyen de nous approcher de Dieu. Ce n'est, en effet, que par les oeuvres
qu'on s'approche ou qu'on s'éloigne de Dieu; car Dieu remplit tous les lieux de
sa Présence. «Je me présenterai devant Toi et je verrai que Tu n'es pas un Dieu
Ami de l'iniquité.»
«Et le méchant n'habitera pas avec Toi.» Le roi-prophète veut parler du culte
des idoles, dans lequel les hommes se complaisaient, comme aussi dans toute
sorte d'iniquités et d'actions criminelles. Ces méchants, dit-il, ne seront ni
vos amis ni vos voisins. «Les insensés ne soutiendront point tes Regards.» Il
nous montre ici l'horreur que Dieu a pour les méchants, et il enseigne à ceux
qui veulent s'approcher de Lui à se rendre d'abord semblables à Lui; car c'est à
ce titre seul qu'ils peuvent s'approcher de Lui. Un homme vertueux ne peut se
lier avec un homme vicieux : à combien plus forte raison Dieu repousse-t-Il le
méchant de sa présence ? Voulez-vous vous convaincre que les méchants ne peuvent
avoir de liaison avec les hommes vertueux, écoutez la manière dont il parle de
l'homme juste :«Sa vue seule nous est insupportable.» (Sag 2,15). C'est ainsi
que Jean le Baptiste, alors même qu'il était dans les fers, loin de tous les
regards, était à charge à Hérodiade, bien qu'elle en fût elle-même si éloignée.
C'est ainsi qu'après sa mort il était encore un sujet d'effroi pour la
conscience du roi Hérode. Qu'aucun donc de ceux qui pratiquent la vertu ne
regarde comme un malheur d'être en butte aux complots des méchants. Les vrais
malheureux sont ceux qui commettent le mal.
«Tu haïs tous ceux qui commettent l'iniquité, Tu perds tous ceux qui
profèrent le mensonge. Le Seigneur abhorre l'homme sanguinaire et trompeur.» Ces
paroles, dans l'intention du prophète, sont pour nous une leçon continuelle qui
nous enseigne la nécessité de conformer notre vie à celle de l'Époux, pour nous
rendre dignes de nous approcher de lui. Sans cela nous serons privés du secours
d'en-haut, et c'est le plus grand malheur qui puisse nous arriver.
«Tu hais tous ceux qui commettent l'iniquité. » Tous, esclaves, hommes
libres, rois, ou tout autre, quel qu'il soit. Ce n'est point la dignité, mais la
vertu que Dieu pèse quand il veut choisir ses amis. Comme certains esprits
ignorants estiment que cette Haine de Dieu est peu de chose, écoutez comme il
leur inspire la crainte du châtiment. «Tu perds tous ceux qui profèrent le
mensonge.» Il s'adresse ici à la partie sensible et matérielle dans les
pécheurs. Le châtiment, leur dit-il, ne s'arrêtera pas à cette Haine de Dieu,
bien que ce fût déjà un supplice indicible; Il détruira tous ceux qui profèrent
le mensonge. Un supplice insupportable et plus cruel mille fois que l'enfer,
c'est d'être l'objet de la Haine de Dieu; mais il n'en parle que pour ceux qui
sont capables de comprendre ce châtiment; pour les esprits plus grossiers il
ajoute : «Tu perds ceux qui profèrent le mensonge.» Ne vous laissez donc
aller ni au trouble, ni à l'inquiétude, lorsque vous voyez les artisans de
mensonge, les voleurs, ceux qui s'emparent des biens d'autrui, n'éprouver
cependant aucun mal. Le châtiment ne peut manquer de les atteindre; car telle
est la Nature de Dieu, Il détourne ses Regards de l'iniquité, elle est pour Lui
un objet de haine et d'horreur. Ceux qui profèrent le mensonge, sont ici ceux
qui vivent dans le crime, ceux qui poursuivent des choses vaines et mensongères
et qui sont plongés dans la volupté, dans les plaisirs de la table, dans l'amour
des richesses, toutes choses que le roi-prophète a coutume de désigner sous le
nom de mensonge. «Dieu abhorre l'homme sanguinaire et trompeur», c'est-à-dire
l'homme qui se plaît dans le meurtre, qui ourdit en secret des trames perfides,
qui parle autrement qu'il ne pense, qui, sous les dehors de la douceur, cache
les instincts et la férocité des loups. Se peut-il rien de plus dangereux ?
On peut se mettre en garde contre un ennemi déclaré; mais on ne peut se
défendre contre celui qui cache sa méchanceté sous le voile d'une profonde
dissimulation, et qui produit ainsi des maux innombrables. Aussi notre Seigneur
nous recommande-t-Il une grande vigilance quand les hommes s'approchent de nous.
«Ils viennent à vous, nous dit-Il, sous des vêtements de brebis, et ils sont au
dedans des loups ravissants.» (Mt 8,15).
«Pour moi, grâce à ta Miséricorde, j'entrerai dans ta demeure. » C'était au
milieu de tels hommes que l'Église avait été choisie, parmi les gentils, les
magiciens, les homicides, les auteurs de sortilèges, les artisans de mensonge et
les imposteurs, et c'est d'eux qu'elle avait dit : Ils sont pour Toi, ô mon
Dieu, un objet de haine et d'horreur; elle nous apprend ici que ce n'est ni à sa
justice ni à ses bonnes oeuvres, mais à la Miséricorde divine, qu'elle doit
d'avoir été délivrée du milieu de ces hommes de crime, et introduite dans le
sanctuaire de Dieu. «Pour moi, grâce à ton infinie Miséricorde, j'entrerai dans
ta demeure.» Elle prévient l'objection qu'on pouvait lui faire : Comment
après vous être vous-même rendue coupable de pareils crimes, avez-vous pu être
sauvée ? Et elle nous apprend à qui elle est redevable de son salut. C'est grâce
à sa grande Miséricorde nous dit-elle, et à sa Bonté ineffable que j'ai été
sauvée. Mais il en est qui, atteints, comme les Juifs, d'une maladie incurable,
ne veulent pas entendre parler de miséricorde. Cependant la grâce et la
miséricorde, bien que comme telles, soient des dons purement gratuits, ne
peuvent sauver que ceux qui le veulent et qui consentent à recevoir en eux la
grâce, et non ceux qui résistent audacieusement, et rejettent le don qui leur
est offert. C'est ce qu'ont fait les Juifs, dont saint Paul a dit : «Ne
connaissant pas la Justice de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre
justice, ils ne sont point soumis à la Justice de Dieu.» (Rm 10,3). Après avoir
dit ce que Dieu a fait pour elle, elle nous apprend ce qu'elle a fait elle-même.
«Je T'adorerai avec crainte dans ton saint temple.» Après la grâce que j'ai
reçue, dit-elle, je Te présenterai l'expression de ma reconnaissance, je
T'offrirai ce sacrifice : «Je T'adorerai avec crainte dans ton saint
temple.» Je n'imiterai pas la conduite d'un grand nombre qui dans la prière
affectent des manières inconvenantes, donnent des signes d'ennui, et sont comme
atteints d'engourdissement; pour moi, je Te prierai avec crainte et avec
tremblement. Celui qui prie de la sorte, se dépouille de tous les vices, s'élève
à la pratique de toutes les vertus, et se rend digne de la Miséricorde de
Dieu.
«Seigneur, conduis-moi dans ta Justice, à cause de tes ennemis.» L'Église a
chanté les Louanges de Dieu, proclamé sa Haine pour les méchants, sa Bonté, sa
Miséricorde, le salut dont elle a été l'objet, la manière dont Dieu l'a sauvée.
Elle nous a fait connaître ensuite comment elle a répondu à cette grâce :
elle s'est détournée du mal, elle s'est efforcée de porter les hommes à la
vertu, elle a donné à ceux qui vivent dans le crime la double espérance de
pouvoir obtenir miséricorde, s'ils veulent se convertir; elle termine en
adressant à Dieu cette prière : «Seigneur, conduis-moi dans ta Justice.»
C'est ainsi qu'elle nous enseigne à offrir d'abord nos louanges à Dieu, à Lui
rendre grâces pour ses Bienfaits, à Lui adresser ensuite nos prières, et à Le
remercier de nouveau de ses Bienfaits. Mais considérons l'objet de sa
prière : Demande-t-elle les choses de cette vie, des biens fragiles,
périssables et inutiles ? Sollicite-t-elle des richesses, de la gloire, de la
puissance ? Demande-t-elle vengeance contre ses ennemis ? Non, aucune de ces
choses. Que demande-t-elle donc ? «Seigneur, conduis-moi dans ta Justice, à
cause de tes ennemis.» Voyez comme elle se garde de demander aucune faveur
passagère et comme elle implore le secours d'en-haut, secours nécessaire surtout
à ceux qui entrent dans la voie de la justice. La justice doit s'entendre ici de
la réunion de toutes les vertus. Ce n'est pas sans dessein qu'elle dit :
«Dans ta Justice. » Car il y a la justice des hommes, qui consiste dans
l'observation des lois humaines. Mais que cette justice est peu de chose !
Elle est pleine d'imperfections et de défectuosités, et n'est déterminée que par
la pensée même des hommes. Pour moi, je demande ta Justice, celle que Tu as
apportée sur la terre, et qui nous conduit au ciel, et je demande le secours qui
m'est nécessaire pour obtenir cette justice.
Remarquez encore le choix admirable de cette expression : «Conduis-moi.» La
vie présente, en effet, est comme le chemin où il faut que Dieu nous conduise
par la main. Si, lorsque nous entrons dans une ville, nous avons besoin d'un
guide pour nous conduire, combien plus, dans le voyage que nous entreprenons
pour arriver au ciel, le secours d'en-haut nous est-il nécessaire pour nous
montrer la voie, affermir nos pas, et nous conduire comme par la main. Il y a
tant de sentiers qui s'écartent de la voie; tenons donc fermement la Main de
Dieu. «À cause de tes ennemis.» Bien des ennemis, dit-elle, conspirent contre
moi, ils veulent égarer mes pas, me tromper et me détourner de la véritable
voie. Puisque je suis exposée à tant de pièges, à tant d'attaques imprévues,
conduis-moi Toi-même, ton Secours m'est nécessaire. - C'est à Dieu, en
effet, qu'il appartient de nous montrer la voie; mais c'est à nous de nous
rendre dignes d'être conduits par la Main divine. Si votre âme n'est pas pure,
si elle est esclave de l'avarice ou de quelqu'autre vice qui est pour elle une
souillure, la Main de Dieu ne peut vous conduire. «Rends droite ma voie devant
tes Yeux», c'est-à-dire, fais qu'elle soit pour moi une voie claire, sans
détours, bien connue, fais qu'elle soit pour moi une voie droite. Un autre
interprète traduit ainsi : «Aplanis devant moi ta voie;» c'est-à-dire
rends-la facile et parfaitement aplanie devant moi.
«Car la vérité n'est point sur leurs lèvres, leur coeur est rempli de
vanité.» Le roi-prophète veut parler ici, ce me semble, de ceux qui sont plongés
dans l'erreur et dont la bouche et le coeur sont également coupables, de ceux
qui passent leur vie dans le crime.
«Leur bouche est un sépulcre ouvert.» Il désigne ici les hommes de sang ou
ceux qui répandent des opinions qui portent avec elles la corruption et la mort.
On ne se trompera point en disant que la bouche de ceux qui profèrent des
paroles obscènes est comme un sépulcre ouvert; car l'odeur qui s'exhale d'une
âme corrompue est bien plus funeste que les émanations d'un sépulcre ouvert.
Telle est encore la bouche des avares, qui ne parlent jamais que de meurtres et
de rapines.
Que votre bouche ne soit donc jamais un sépulcre, mais bien plutôt un trésor.
Les trésors sont bien différents des sépulcres : les sépulcres corrompent,
les trésors conservent le dépôt qui leur est confie. Ayez donc dans votre
trésor, non pas un foyer de mauvaise odeur et d'infection, mais les richesses
vraies et durables de l'amour de la sagesse. Et il ne se borne pas à dire :
«Leur bouche est un sépulcre» mais : «Un sépulcre ouvert» pour nous faire
comprendre l'infection bien plus grande qui s'en échappe. Ils auraient dû bien
plutôt cacher ces paroles, au lieu de les produire au dehors et de dévoiler tout
le mal qui les ronge. À l'égard des cadavres, nous faisons tout le contraire,
nous nous empressons de les confier à la terre; mais pour eux, au lieu de cacher
et d'étouffer au fond de leur coeur de semblables paroles, ils les profèrent en
public, ils les étalent aux yeux de tous, sans crainte de choquer les regards.
Chassons donc loin de nous, je vous en prie, les auteurs de ces discours. Nous
prenons soin d'ensevelir les cadavres hors de l'enceinte des villes; combien
plus devons-nous éloigner soigneusement de nous ceux qui osent proférer des
paroles de mort, sans vouloir ni les couvrir ni les dissimuler, car de telles
bouches sont la perte commune de toute une ville. «Ils se sont servis de leur
langue pour tromper avec adresse.» Vous voyez un autre genre d'iniquité :
les uns cachent et dissimulent au fond de leur coeur leurs projets artificieux,
et n'ont à la bouche que de douces paroles; d'autres sont tellement habiles que
leurs paroles mêmes servent souvent de voile à leur méchanceté, et que c'est à
l'abri de leurs discours qu'ils ourdissent leurs trames pernicieuses. «Juge-les,
ô mon Dieu, fais échouer leurs desseins.» Voyez quelle douceur respire cette
prière. Il ne dit pas à Dieu : Punis-les; mais : «Juge-les», mets un terme
à leur iniquité et anéantis leurs desseins. Cette prière est faite même dans
leur intérêt et pour les empêcher d'enfoncer plus avant dans la voie du crime.
«Pour prix de leurs nombreuses prévarications, rejette-les, parce qu'ils T'ont
irrité, Seigneur.» C'est-à-dire : Je ne suis point sensible au mal qu'ils
m'ont fait, mais je m'afflige des coups qu'ils dirigent contre Toi. Voici, en
effet, un des premiers caractères d'une âme véritablement sage, c'est de ne
point chercher à tirer vengeance de ses propres injures et de se montrer pleine
de zèle pour les outrages dirigés contre Dieu. Telle est, au contraire, la
conduite d'un grand nombre : ils sont insensibles aux intérêts de la Gloire
de Dieu outragée, mais ils poursuivent avec une ardeur sans égale la réparation
des injures qui leur sont faites. Ce n'est point ainsi qu'agissaient les saints;
ils prenaient en main avec un zèle ardent la cause de Dieu contre ses ennemis,
et ne songeaient même pas à venger leurs propres injures.
«Mais qu'ils se réjouissent, tous ceux qui espèrent en Toi.» Voilà le fruit
de la prière : ceux-ci deviendront meilleurs et s'abstiendront désormais du
mal; ceux-là éprouveront une joie indicible en voyant cet admirable changement,
cette conversion du mal au bien; d'autres puiseront dans cet exemple le principe
d'une perfection plus grande. «Ils seront éternellement remplis de joie, et Tu
habiteras en eux. Le roi-prophète veut parler des joies de l'éternité; car les
autres joies n'ont pas plus de stabilité que les eaux courantes des fleuves, qui
s'écoulent au moment même où elles passent sous nos yeux. Pour la joie dont Dieu
est l'auteur, elle est durable, elle a de profondes racines, elle comble les
désirs de notre coeur, elle est invariable, elle est à l'abri de toutes les
vicissitudes de la terre, et les difficultés et les obstacles mêmes lui donnent
un nouveau degré de perfection. Ainsi voyons-nous les apôtres se réjouir d'avoir
été frappés de verges, Paul tressaillir d'allégresse au milieu de ses
tribulations, et, sur le point de mourir, dire à ceux qui partageaient sa
joie : «Quand même je serais immolé sur le sacrifice et l'oblation de votre
foi, je m'en réjouirais et m'en féliciterais avec vous tous. Réjouissez-vous
donc vous-mêmes et félicitez-moi.» (Phi 2,17-18). Dieu habite avec ceux dont le
coeur est plein de cette joie sainte. C'est pour cela que l'Église par la bouche
du prophète dit : «Ils seront éternellement remplis de joie, et Tu
habiteras en eux.» Jésus Christ nous confirme Lui-même cette vérité, en nous
apprenant que cette joie n'aura point de fin : «Je vous verrai de nouveau,
et personne ne vous ravira votre joie.» (Jn 16,22). Et saint Paul nous dit
de son côté : «Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse.» (I
Th 5,16-17). «Et tous ceux qui aiment ton Nom se glorifieront en Toi.»
Voilà les seules choses dans lesquelles nous pouvons mettre notre joie, notre
gloire, notre allégresse. Mais, pour celui qui se glorifie dans les choses de la
terre, il est semblable en tout à ceux qui goûtent la joie fugitive d'un vain
songe.
Dites-moi, en effet, qu'y a-t-il dans les choses humaines dont on puisse
légitimement se glorifier. La force du corps ? Mais cette force ne dépend pas de
notre choix, et nous n'avons aucun motif d'en tirer gloire. D'ailleurs, nous la
voyons s'affaiblir et se perdre bien vite, souvent même elle tourne à la ruine
de celui qui la possède, s'il n'en fait pas un bon usage. Nous pouvons dire la
même chose de la jeunesse, de la beauté, de la puissance, des plaisirs, en un
mot de tous les biens de la vie présente. Mais se glorifier en Dieu et dans
l'amour qu'on a pour lui, voilà un couronnement incomparable, une gloire qui
surpasse l'éclat des plus riches diadèmes, quand même celui qui se glorifie de
la sorte serait dans les fers. Cette gloire ne craint ni la maladie, ni la
vieillesse, ni la vicissitude des choses humaines, ni les changements de temps;
elle est à l'épreuve même de la mort, et c'est alors qu'elle brille d'un plus
vif éclat.
13. «Parce que Tu répands ta Bénédiction sur le juste.» Comme des
dispositions si parfaites exposent aux railleries et à la dérision du monde,
ceux surtout qui pratiquent la vertu, le roi-prophète prévient le découragement
qui pourrait naître dans des âmes encore faibles et inexpérimentées, en relevant
et en justifiant leurs sentiments. «Tu répands, dit-il, ta Bénédiction sur le
juste. » Quel mal, en effet, peut faire le mépris des hommes et de la terre tout
entière, à celui qui est jugé digne des applaudissements et des éloges du Maître
des anges ? Et quel fruit, au contraire, lui reviendrait des applaudissements de
tous ceux qui habitent la terre et les mers, si Dieu refuse d'y joindre ses
propres Louanges? Faisons donc tous nos efforts pour mériter d'être loués de la
bouche même de notre Dieu, d'être couronnés de sa Main. Si nous avons ce
bonheur, nous dominerons tous les hommes, fussions-nous d'ailleurs pauvres,
malades, plongés dans un abîme de maux. Voyez le saint homme Job assis sur un
fumier, épuisé par le sang corrompu qui coulait de ses ulcères, par la quantité
innombrable de vers qui fourmillaient dans ses plaies. Joignez à cela des
épreuves non moins cruelles, le mépris et l'horreur qu'il inspirait à ses
serviteurs, à ses amis, à ses ennemis, les pièges que lui tend sa femme, la
pauvreté, la misère, cette maladie affreuse et incurable dont il est frappé; et
cependant il est le plus heureux des hommes.
Pourquoi ? Parce qu'il était béni de Dieu, qui avait dit de lui : «C'est
un homme irréprochable, juste, vrai, craignant Dieu, et fuyant le mal.»
(Job 1,8). « Seigneur, Tu nous as couverts de ta Bienveillance comme d'un
bouclier. » Le roi-prophète termine sa prière par l'action de grâces, en offrant
à Dieu l'hymne de la reconnaissance. Or qu'est-ce que le bouclier de la
Bienveillance divine ? C'est un bouclier à toute épreuve, un bouclier selon la
Volonté de Dieu, une armure à laquelle rien n'est comparable; expression figurée
qui veut dire : Tu nous as couverts de ton invincible Protection. Selon un
autre interprète, il faut lire : «Tu le couronneras», indubitablement le
juste, auquel il applique ces paroles. «Tu couronneras le juste; » c'est-à-dire
que ta Bienveillance, ton Amour, seront pour lui des armes qui le rendront
invulnérable. Ou bien encore : Tu entoures le juste d'un secours si
puissant que sa gloire est pleine d'assurance, comme sa sécurité est toute
brillante de gloire. Car que peut-on concevoir de plus fort et en même temps de
plus glorieux qu'un homme qui est protégé par la Main du Très-Haut ? Cette
couronne est tressée par la miséricorde, comme David le dit ailleurs : «C'est
Lui qui vous couronne de miséricorde et d'amour.» (Ps 102,4). Elle est
aussi préparée par la justice, comme le dit saint Paul : «Il ne me reste
qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée.» (2 Tm 4,8). C'est
encore une couronne de grâce : «Il vous couvrira d'une couronne de grâces»,
dit l'auteur des Proverbes. (Pro 4,9). C'est aussi une couronne de gloire, selon
ces paroles d'Isaïe : «En ce jour-là, le Seigneur des armées sera une
couronne d'espérance et de gloire pour son peuple.» (Is 28,4). Cette
couronne est donc un admirable composé de bonté, de justice, de grâce, de gloire
et de beauté; car elle est un Don de Dieu qui produit toutes ces grâces si
variées. C'est enfin une couronne incorruptible, au témoignage de saint Paul :
«Ils ne se proposent de gagner qu'une couronne corruptible, au lieu que nous en
attendons une incorruptible.» (I Cor 9,25). Tel est donc le sens de ces
paroles : «Tu nous as couronnés d'une gloire» certaine et assurée; car le
caractère des Dons de Dieu, ce qui distingue ses couronnes, c'est la force,
c'est la gloire.
Il n'en est pas ainsi parmi les hommes : celui-ci est environné de
gloire, mais sans jouir d'une entière assurance; celui-là vit en pleine
sécurité, mais sans beaucoup de gloire : ces deux choses se trouvent
difficilement réunies, et, si parfois on les voit ensemble dans un même sujet,
cette union est de courte durée. Ainsi ceux qui sont au faîte des honneurs et de
la puissance sont environnés de gloire et d'éclat; mais ils sont loin d'être en
sûreté, et le terrain sur lequel ils marchent est d'autant plus glissant et
dangereux que leur gloire est plus éclatante. Au contraire, les hommes d'une
condition obscure et méprisée doivent à leur obscurité même la sécurité et le
calme dont ils jouissent; mais leur vie est sans gloire, et c'est justement
cette vie sans éclat qui fait leur sécurité. En Dieu, c'est tout l'opposé que
vous voyez : Il sait réunir au suprême degré dans une même personne la gloire et
la sécurité. Considérant donc la grandeur des biens qui nous sont proposés, et
par-dessus tout le précieux avantage pour nous d'être agréables à Dieu, puisque
c'est à la fois une armure invincible, la gloire, la sécurité, la réunion de
tous les biens, courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte,
ne perdons jamais courage et ne nous laissons point dépouiller de nos armes. Ce
genre de combat ne souffre point que le soldat soit désarmé, on ne lui permet de
quitter son armure que lorsque le combat est terminé, et le combat ne se termine
qu'à la séparation de l'âme avec le corps. Il nous faut donc combattre pendant
toute la durée de cette vie, dans l'intérieur de nos maisons, lorsque nous nous
rendons aux assemblées, pendant nos repas, dans la maladie comme dans la
santé.
Le temps de la maladie est surtout le temps favorable pour ce combat, lorsque
les douleurs répandent le trouble dans notre âme, qu'elle est assiégée par la
tristesse, et que le démon est là qui nous excite à dire quelque parole
d'amertume. C'est alors surtout qu'il faut nous mettre en garde, nous couvrir de
la cuirasse du bouclier, du casque et de toutes les autres armes, et rendre à
Dieu de continuelles actions de grâces. C'est alors que nous lancerons contre le
démon des traits perçants, que nous lui porterons des coups mortels, et que nous
obtiendrons de brillantes couronnes. En effet, ce qui a environné le saint homme
Job d'une gloire aussi éclatante (car pourquoi ne pas invoquer de nouveau son
exemple ?), ce qui l'a rendu digne des plus grands éloges, ce qui lui a
mérité une si belle couronne, c'est qu'au milieu des épreuves successives de la
tentation, de la maladie, de la pauvreté, son âme demeura ferme et immuable, son
esprit inébranlable, et qu'il offrit à Dieu des paroles de reconnaissance et
d'actions de grâces qui furent à ses yeux un véritable sacrifice spirituel : «Le
Seigneur m'a tout donné, le Seigneur m'a tout ôté, il n'est arrivé que ce qu'il
Lui a plu; que le Nom du Seigneur soit béni.» (Job 1,21). Imitons nous-mêmes cet
exemple : dans les tentations, dans les épreuves, dans les persécutions,
rendons gloire à Dieu et ne cessons de Le bénir, parce que la gloire Lui est due
dans les siècles des siècles. Amen.
- Jean Chrysostome