Psaume 124 - Cantique des degrés; Si le Seigneur n'avait été avec nous
1. Je l'ai dit bien souvent, je le dis encore aujourd'hui et je ne cesserai de le répéter, les avantages de la captivité sont innombrables, et elle est de nature à ramener dans les voies de la sagesse tout esprit tant soit peu attentif. Voyez les Juifs qui couraient offrir leur encens aux idoles, méprisaient le vrai Dieu, et se livraient à tous les excès de l'impiété; entendez leur langage après la captivité, et en quels termes ils reconnaissent que Dieu seul est l'auteur de leur salut. Que dis-je ? le prophète comme un excellent conducteur les engage à proclamer souvent cette vérité. Il leur en donne le premier l'exemple, et il leur commande ensuite, comme un maître à ses disciples, de redire après lui : "Qu'Israël dise maintenant : Si le Seigneur n'avait été avec nous lorsque les hommes s'élevaient contre nous, ils nous auraient dévorés tout vivants." (Ibid., 2). Ils étaient, en effet, sans armes, sans ressources, misérables victimes de la captivité et de l'esclavage, à peine délivrés de leurs épreuves. Leur ville n'avait point de murailles, ou plutôt ce n'était pas une ville, et après leur retour ils étaient en proie à tous leurs ennemis; mais Dieu leur tint lieu de remparts et de forteresse. Disons donc aussi nous-mêmes : "Si le Seigneur n'avait été avec nous, ils nous auraient dévorés tout vivants." Car que n'aurait pas fait le démon, notre ennemi acharné, si Dieu n'eût été avec nous ? Écoutez ce que Jésus Christ dit à Pierre : "Simon, Simon, voilà que Satan a désiré vous passer au crible comme le froment, et moi, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas." (Luc. 22,31). En effet, le démon est une bête cruelle et insatiable, et si on ne le reprenait continuellement, il répandrait partout la confusion et le désordre. Dieu abandonna tant soit peu à sa fureur le saint homme Job, et le démon renversa sa maison de fond en comble, mit sa chair en lambeaux, et, spectacle épouvantable, lui enleva toutes ses richesses, tua ses enfants, fit de son corps une fourmilière de vers, souleva contre lui sa femme, ses amis, ses ennemis, ses serviteurs, qui l'accablèrent d'outrages; dites-moi, ne détruirait-il pas tous les hommes, si Dieu par mille moyens ne mettait un frein à sa fureur ? Voilà ce qui fait dire ici au psalmiste : "Si le Seigneur n'était avec nous." Les Juifs, en effet, étaient en très petit nombre à leur retour, en butte au mépris et aux attaques de leurs ennemis. Dieu donnait ici une preuve de sa Sagesse; ce n'était pas tout d'un coup, mais peu à peu et par degrés qu'Il voulait leur donner la paix et la sécurité. Il agissait ainsi pour les maintenir dans la connaissance de son saint Nom, et les empêcher d'oublier les enseignements de la captivité. Les hommes, une fois délivrés de leurs épreuves, tombent facilement dans la négligence, que fait donc Dieu ? Il entremêle constamment les tentations avec les biens qu'Il leur accorde, pour leur faire trouver dans ces tentations un exercice continuel de sagesse.
Ainsi, Il ne laisse pas toujours les hommes dans l'affliction à laquelle ils finiraient par succomber, mais il ne veut pas non plus qu'ils jouissent d'une paix sans interruption qui les porterait au relâchement, il les sauve donc par un heureux mélange de ces deux éléments.
"Ils nous auraient dévorés tout vivants." Voyez sous quels traits il dépeint la cruauté de ses ennemis. Que d'hommes, en effet, aussi cruels, plus cruels même que les bêtes féroces à l'égard de leurs semblables ! Dès que la bête sauvage est tombée sur sa proie, sa fureur se calme et elle se retire, ou si elle est repoussée, elle ne revient plus à la charge. Les hommes, au contraire, lorsqu'ils ont échoué dans leurs desseins, redoublent leurs attaques, et vont jusqu'à désirer se nourrir de la chair de leurs semblables. Tel est le caractère de la colère, elle na raisonne pas, c'est une passion qui enflamme notre âme d'une ardeur impétueuse. Comment guérir cette maladie ? Réfléchissons sur ce que nous sommes, méditons sur la mort et sur ceux qu'elle frappe tous les jours à nos côtés, considérons notre nature qui n'est que cendre et poussière. Si la beauté de votre visage nous trompe encore et vous séduit, allez visiter les tombeaux et les cercueils de vos ancêtres, considérer le triste état de leurs restes mortels réduits en terre et en poussière; ce spectacle sera pour vous une grande leçon d'humilité. Ne dites pas que ce langage est trop sévère. Lorsque ceux 'qui ont été atteints de la fièvre entrent en convalescence, ils ont besoin de respirer un air pur; ainsi, ceux dont les passions troublent si souvent la raison, trouvent près des tombeaux, comme dans une campagne salutaire, un remède à tous leurs maux. La vue seule d'un cercueil suffit pour rabattre l'orgueil le plus insolent. Transportez-vous ensuite par la pensée à ce jour terrible du jugement à venir, songez à l'interrogatoire que vous subirez, au compte qu'il vous faudra rendre, aux supplices qui ne seront' jamais allégés. Ces considérations seront comme autant de chants qui apaiseront les passions de votre âme. Songez encore à ceux qui parmi les hommes tombent dès la vie présente, du faîte des richesses dans l'extrême pauvreté, de la gloire dans l'ignominie. Si donc vous voulez encore céder à la colère, que ce ne soit point contre votre semblable, mais contre l'esprit mauvais, c'est sur lui qu'il faut décharger votre colère, ne vous réconciliez jamais avec le démon, tournez, épuisez contre lui toute votre fureur, tendez-lui vos pièges, et ne cessez de lui faire une guerre acharnée. "Lorsque leur fureur était allumée contre nous, bientôt les eaux nous eussent engloutis." (Ibid., 3). "Notre âme a traversé le torrent, peu s'en est fallu que notre âme n'ait traversé une eau d'où elle n'aurait pu se tirer." (Ibid., 4). Ce torrent, cette eau, c'est la grande colère de leurs ennemis. L'eau, en effet, se précipite sans mesure 'avec une force et une impétuosité qui entraînent tout ce qu'elle rencontre sur son chemin. Remarquez que ces expressions métaphoriques ne figurent pas seulement la violente irruption, mais la courte durée de ces épreuves.
2. Gardons-nous donc de nous décourager lorsque le malheur vient fondre sur nous. Quel qu'il soit, c'est un torrent qui passe, c'est une nuée qui se dissipe. Oui, quelle que soit votre infortune, elle aura une fin; quelqu'amer que soit votre chagrin, il ne durera pas toujours. S'il devait toujours durer, la nature n'y suffirait pas. Mais un grand nombre, me direz-vous, sont entraînés par ce torrent ? La cause n'en est point dans la violence du mal, mais dans la faiblesse de ceux qui se laissent si facilement abattre. Voulons-nous n'être pas entraînés nous-mêmes ? descendons dans les profondeurs de ce torrent, considérons-en tous les endroits, et saisissons-nous de l'ancre divine pour n'avoir à redouter aucun naufrage. Un torrent n'est terrible que pour un temps, et il s'apaise ensuite au point de ne plus laisser aucune trace. "Encore un peu, l'eau nous aurait engloutis." Suivant une autre version : "Alors les eaux nous auraient inondés en passant sur notre âme comme un torrent, et notre âme aurait traversé une eau dont elle n'aurait pu se tirer." Suivant une autre : "Alors les superbes auraient passé sur notre âme comme un torrent." Voyez-vous la puissance du secours de Dieu qui n'a point permis qu'ils fussent submergés au milieu de ce déluge de maux ? Si donc il laisse ce torrent grossir, ce n'est point pour nous accabler, mais pour nous éprouver davantage et donner des preuves plus éclatantes de sa puissance. Les superbes dont parle ici le psalmiste sont les ennemis du peuple de Dieu qui se sont précipités sur lui avec la violence d'un torrent impétueux sans pouvoir lui faire aucun mal. Pourquoi ? parce qu'il avait pour lui la Protection de Dieu, une assistance toute céleste, un secours invincible.
Aussi, après avoir chanté sa délivrance, il proclame le nom du libérateur et célèbre ses louanges : "Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas livrés en proie à leurs dents. (Ibid., 5). Notre âme s'est échappée telle que l'oiseau du filet de l'oiseleur." (lbid., 6). Voyez-vous d'un côté la faiblesse des Juifs, et de l'autre la puissance de leurs ennemis ? Ces derniers, semblables à des bêtes féroces, à des lions furieux, se jettent avec autant de force que de colère sur leur proie, tout prêts à la mettre en pièces et à la dévorer; les Juifs, au contraire, sont plus faibles que le passereau. Mais la Puissance de Dieu ne paraît jamais avec plus d'éclat que lorsqu'elle fait triompher la faiblesse de la force. Ce qui rendait les entreprises de ces ennemis plus dangereuses, ce n'est pas seulement leur puissance, la terreur qu'ils inspiraient, la fureur qui les animait, leur soif de sang et de carnage, et d'un autre côté la faiblesse des Juifs, leur petit nombre qui les exposait sans défense à toutes les attaques; mais les Juifs étaient surpris au milieu des plus grands malheurs, environnés de difficultés de toute espèce, et ne voyaient partout que des ennemis à combattre. Cependant celui qui a la souveraine puissance en partage, et qui peut sauver du milieu, même des plus affreux dangers, nous a délivrés avec une étonnante facilité. C'est le sens de ces paroles : "Notre âme a été délivrée comme un passereau du filet des chasseurs. Le filet a été rompu et nous avons été sauvés." De quelle manière, il nous l'apprend dans les paroles suivantes : "Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre." (Ibid., 8). Admirez la force et la puissance de celui qui est venu à leur secours. Il a fait disparaître tout ce qui pouvait servir d'appui aux embûches de leurs ennemis. On peut également entendre ces paroles dans le sens anagogique et les appliquer tant au démon qu'au genre humain. Le psalmiste nous montre comment il nous a délivrés de ses filets, comment il les a brisés et anéantis du jour où il a dit à ses disciples : "Marchez sur les serpents et les scorpions et sur toute la force de l'ennemi." (Luc. 10,19). Ce n'est donc plus une guerre ouverte qu'il vous fait, vous ne combattez plus à armes égales. Le démon est renversé et couché honteusement à terre, tandis que vous êtes debout, que vous le dominez et le frappez de haut. Il est épuisé, sans force, tandis que vous êtes plein de vigueur.
Comment donc expliquer ses fréquentes victoires ? Par notre lâcheté, par la négligence de ceux qui restent plongés dans un honteux sommeil. Essayez au contraire de lui résister, il n'osera vous attaquer de front. Si vous êtes vaincu pendant que vous dormez, n'en accusez pas sa puissance, mais votre négligence. Quel est celui, fût-il le plus faible de tous les hommes, qui ne pourrait vaincre un homme endormi ? Le fort a été enchaîné, toutes ses armes lui ont été enlevées, sa puissance a été brisée, sa demeure renversée, et ses glaives ont perdu toute leur force. Que voulez-vous davantage ? Pourquoi cette crainte, pourquoi cette appréhension ? On vous commande de fouler aux pieds un ennemi dont les forces sont épuisées, encore une fois, pourquoi cette frayeur, pourquoi cette anxiété ? Avez-vous donc oublié quel est celui qui nous prête son appui ? Considérez non seulement la faiblesse de votre ennemi, mais la grandeur du secours qui vous est donné. Les révoltes de la chair ont été comprimées, vous êtes déchargé du poids du péché, vous avez reçu la grâce de l'Esprit saint comme une onction fortifiante. "Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu l'a fait en envoyant son propre Fils revêtu d'une chair semblable à la chair du péché, et à cause du péché, Il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi fût accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair." (Rom 8,3-4). Dieu vous a rendu maître de votre chair, Il vous a donné pour armes la cuirasse de la justice, la ceinture de la vérité, le casque du salut, le bouclier de la foi, le glaive de l'esprit. Il vous a donné des arrhes de la victoire, Il vous a nourri de sa Chair, abreuvé de son Sang; Il vous a remis entre les mains sa croix comme une lance qui ne plie jamais; enfin il a enchaîné notre ennemi, Il l'a terrassé. Vous n'avez donc plus d'excuse si vous êtes vaincu, et si vous laissez au démon la gloire du triomphe, vous n'avez plus de pardon à espérer, car vous avez mille moyens de remporter la victoire. "Le filet a été brisé et nous avons été délivrés. Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre." Vous le voyez, vous avez pour chef et pour roi le Créateur de l'univers, Celui qui par sa seule parole a tiré du néant tous ces corps que nous voyons, cette masse prodigieuse de la terre, cette grandeur presqu'infinie de l'univers. Ne vous laissez donc point abattre, mais combattez vaillamment, rien ne peut vous empêcher de remporter un triomphe éclatant. Convaincus de ces vérités, mes frères bien-aimés, soyons sobres et tempérants, combattons généreusement, ne nous laissons point aller au sommeil, mais préparons nos amies, affermissons notre courage et alors frappons notre ennemi sans relâche, afin qu'après avoir gagné sur lui une brillante victoire nous obtenions la glorieuse récompense du royaume des cieux. Puissions-nous l'obtenir par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.
- Jean Chrysostome
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