Le sacrifice de leur existence a-t-il quelque signification
et quelque utilité pour les générations suivantes,
ou est-ce en vain qu’ils ont souffert et laissé leur vie ? S’ils
ont voulu témoigner d’une vérité essentielle, il faut
admettre qu’ils nous laissent un héritage. Quel est-il? Voici en
quelques lignes récapitulatives les éléments déjà
mentionnés d’une façon éparse dans les pages ci-dessus.
Il faut convenir tout d’abord que, si l’on considère l’apport
religieux, ils n’ont rien innové ils n’ont pas proclamé une
vérité doctrinale oubliée, comme l’ont fait les réveils
des XlXème et XXème siècles. Ils s’en sont tenus
à la doctrine des réformateurs. Mais par leur attitude, ils
ont mis en évidence une vérité contre laquelle viendront
se briser, dans tous les temps et dans tous les lieux, tous les pouvoirs
et toutes les prétentions des hommes : la souveraineté suprême
de Dieu sur la Création tout entière et sur tous les pouvoirs
qui s’exercent dans le monde. Ils ont affirmé d’autre part la liberté
de l’homme de s’approcher de Dieu personnellement, sans autre médiation
que celle de Jésus-Christ, laquelle n’est pas la médiation
d’une créature mais la présence même de Dieu. En effet,
leur attitude est fondée sur la Bible, reconnue comme la Parole
de Dieu, revêtue de son autorité sans conteste et reçue
sans autre lumière que celle que donne le Saint-Esprit. Considérée
ainsi, la Bible crée une relation personnelle avec Dieu et, prise
au sérieux, suscite de fortes personnalités qui osent affronter
tout ce qui est contraire à l’autorité divine. Forts de
cette conviction, ils osent contester au roi ses prétentions à
déterminer les modes religieux et au clergé son omnipotence
en matière de foi. Dans le domaine religieux, ils prennent une liberté
entière, réclament le droit de prier Dieu selon les lumières
de la conscience. C’est tellement évident pour eux que Pierre Durand
déclara lors de son interrogatoire qu’il était persuadé
que le roi ne s’y opposait pas.
Quant au clergé, il avait pour but de voir tous les Français
rentrer dans le giron de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, Il
approuvait les déclarations royales qui visaient à anéantir
la Réforme. Aussi pour les huguenots, l’institution ecclésiastique,
qui exigeait la soumission aux ordres de l’Eglise sans tenir compte des
exigences de la conscience, ne pouvait être reconnue comme une autorité
valable en matière de foi. Cependant, ce refus d’avoir affaire à
I’Eglise catholique était moins une défense contre un impérialisme
persécuteur qu’une question de principe. Aucune institution terrestre,
fût-elle religieuse, n’a autorité sur la conscience ; sur
ce point, l’homme n’a de comptes à rendre qu’à Dieu seul
; il ne reçoit ses lumières et ses directives que de la Bible
éclairée par le Saint-Esprit.
Par contre, en tout ce qui concerne l’administration du royaume,
les huguenots reconnaissaient tous les pouvoirs du roi et voulaient être
de loyaux sujets. Les Synodes de la restauration des Eglises décrétèrent
que les pasteurs devaient « jurer par la foi qu’ils ont en Jésus-Christ
d’être fidèles au roi de France en toutes choses, sauf aux
ordonnances qui pourraient être préjudiciables à la
foi et à l’Eglise » (Actes du Synode du Désert de 1
722). Ainsi la liberté qu’ils prenaient au point de vue religieux,
loin d’être un mouvement de révolte, était bien plutôt
un facteur d’ordre dans la cité, et le roi, s’il eût été
bien informé et eût considéré la situation sans
préjugés ni prétentions, aurait au contraire reconnu
la valeur civique et morale de ceux qu’il pourchassait. La liberté
revendiquée n’était pas une velléité d’émancipation
permettant tous les désordres, mais le souci d’être fidèle
à Dieu et à sa Parole, laquelle exige le respect de l’ordre
social et civique. Cette liberté fait partie intégrante
de la dignité de l’homme. Partout où elle est contestée
et réprimée, l’homme se sent frustré dans le plus
profond de lui-même et réagit pour affirmer ce droit à
la liberté. Cette réaction peut se manifester de diverses
manières, soit par la violence, soit par l’exaltation désordonnée,
qui est une évasion ; elle peut couver longtemps sous la cendre
avec l’apparence de la résignation ou de la passivité rarement
elle se fait par la recherche d’une solution pacifique, mais elle finit
toujours par s’exprimer et s’imposer.
Les huguenots vivarois du XVllle siècle, à la suite
d’Antoine Court et de Pierre Durand, en voulant rester fidèles à
Dieu et au roi, ont reconnu à celui-ci le pouvoir de les frapper
même injustement. Bien avant la Révolution française,
ils ont revendiqué la liberté de conscience, mais sans effusion
de sang, sinon de leur propre sang. Or l’intégrité de la
vie et la souffrance librement acceptée, sont une accusation plus
incisive et pénétrante que toute rébellion ; elle
ne peut être supportée par les puissants qui veulent imposer
leurs propres volontés. Ceux-ci peuvent sévir, mais l’accusation
subsiste et domine les siècles, car il s’agit d’une valeur humaine
éternelle.
L'absolutisme et l’arbitraire des rois de France depuis Louis XIV
vont finir par exaspérer la nation et provoquer la Révolution.
Par la suite, la liberté de conscience sera inscrite dans «
La Déclaration des Droits de l’Homme ». Mais la liberté,
sans la compensation de la soumission au Créateur, peut engendrer
toutes les injustices et les cruautés que l’on connaît. Les
Droits de l’Homme ne seront pas toujours respectés pour chacun ;
de nouvelles injustices et de nouvelles oppressions apparaîtront.
On ne peut s’appuyer sur la résistance des huguenots pour revendiquer
n’importe quelle liberté. Si l’on veut se référer
à eux pour exiger le droit à la liberté de conscience,
il faut premièrement prendre exemple sur leur fidélité
à Dieu et leur volonté de vivre pour sa gloire, car cette
préoccupation est le fondement et le caractère de toute leur
attitude.
Leur lutte et leur résistance sont la confrontation de deux
mondes opposés et inconciliables: le monde des hommes et le monde
de Dieu. Lun est matériel, visible et temporaire, dominé
par les pouvoirs des hommes, ce qui échappe à la raison lui
est étranger. Il a droit à l’existence, certes, et doit
être respecté, mais ses pouvoirs sont limités. Vautre
est un règne à venir, c’est le Règne du Dieu Créateur,
du Tout-Puissant, dont le pouvoir est sans limite. Il est reconnu par ta
foi et il crée dans l’âme du croyant des certitudes et des
convictions plus puissantes que tout ce qui est visible. L'affrontement
de ces deux mondes est un combat à mort ; la victoire sera remportée
par celui qui est éternel. C’est pourquoi la foi fondée
sur l’Ecriture Sainte donne la certitude de la victoire définitive
de Dieu sur tous ses adversaires et permet aux croyants de supporter toutes
les épreuves de la vie terrestre. La persévérance
et la résistance des « confesseurs de la foi » (c’est
ainsi qu’on appelait les galériens et les prisonniers pour cause
de religion) sont le signe de cette espérance et le témoignage
de la venue de ce monde attendu. C’est parce qu’animées de cette
conviction que Marie Durand et les autres prisonnières refusèrent
d’être délivrées de la Tour de Constance autrement
que reconnues justes, et que Pierre accepta non seulement tous les dépouillements
et tous les dangers de la vie errante pour maintenir la foi de ses coreligionnaires,
mais encore engagea dans sa destinée celle de toute sa famille.
Pour lui, le Règne de Dieu, qui doit subsister éternellement,
est digne du sacrifice des réalités passagères. La
possession des biens terrestres n’est pas la possession des biens éternels,
et leur perte ne compromet en rien la jouissance de ceux-ci même
la mort ne peut compromettre l’appartenance au monde nouveau. C’est pourquoi,
lors de l’arrestation de son père, il a pu écrire au commandant
La Devèze ces paroles qui surprennent ceux qui n’ont pas cette espérance
: ". . . quand il serait conduit à la mort pour soutenir la sainte
religion, je n’aurais pas lieu de le prendre à honte au contraire,
je croirais devoir m’en glorifier".
Qui comprit l’héroïsme de ces vies sacrifiées
à la cause des Eglises Réformées de France et au témoignage
de la souveraineté de Dieu sur les consciences 7 A côté
des « petits prophètes » qui maintenaient dans le protestantisme
d’alors l’espérance du Règne de Dieu d’une façon souvent
maladroite, ces hommes et ces femmes ont été des prophètes
pleins de sagesse et d’abnégation, proclamant par leurs paroles,
leurs lettres et toute leur attitude, les exigences du Dieu souverain.
Pierre Durand, par sa sérénité, fit grande impression
sur tous ceux qui assistèrent à son martyre. Marie, elle,
vécut dans l’obscurité et mourut comme une humble enfant
de la campagne. Rien ne semblait la destiner à une mémoire
aussi glorieuse. Son souvenir s’effaça pendant de nombreuses années
jusqu’au moment où l’on rechercha la valeur du témoignage
des ancêtres. Certains voudraient l’assimiler à une sainte.
C’est fausser la valeur et la portée de sa vie. Certes, elle et
son frère restent pour nous des exemples, mais ce n’est pas suffisant.
L'un et l’autre ont été les témoins d’une vérité
éternelle, Ils nous ont transmis un héritage qu’il nous faut
recevoir, faire valoir et transmettre à notre tour. Leur souvenir
nous oblige. Alors leurs sacrifices n’auront pas été inutiles.
Je terminerai en citant Paul exhortant Timothée :
1 Timothée 3:14-16 "Je t'écris ces choses, avec
l'espérance d'aller bientôt vers toi, mais afin que tu saches,
si je tarde, comment il faut se conduire dans la maison de Dieu, qui est
l'Eglise du Dieu vivant, la colonne et l'appui de la vérité.
Et, sans contredit, le mystère de la piété est grand
:
Celui qui a été manifesté en chair, justifié
par l'Esprit, vu des anges, prêché aux Gentils, cru dans le
monde, élevé dans la gloire."
- Pierre-Antoine Eldin
Les huguenotes dans la tour de Constance, privés de besoins
essentiels auraient pu les satisfaire en compromettant leur foi, certaines
l'ont fait.
Ne faisons-nous pas aussi face à ce choix parfois?
Comment composons-nous avec la frustration de nos besoins non rencontrés?
- On peut s'apitoyer sur notre propre sort et être de tristes
chrétiens, - exit la joie de l'Esprit de Dieu
- On peut s'impatienter et tempêter contre le Seigneur, - on
ne pourra goûter alors à la patience de l'Esprit
- Ou on peut se compromettre et vivre avec la culpabalité
- oublions alors la paix de l'Esprit de Dieu
- On peut aussi demander au Seigneur de venir nous combler de son
amour et expérimenter sa grâce qui n'est pas de ce monde -
le fruit de l'Esprit murira alors en nous, Ga.5:22
O Seigneur, quand ces choix se présentent à nous, rappelle-nous
ce qui est le plus précieux; ta grâce qui seule peut délecter
notre âme et la contenter par le fruit de l'Esprit