Et c'est pourquoi je n'entreprendrai pas ici de prouver
par des raisons naturelles, ou l'existence de Dieu, ou la Trinité,
ou l'immortalité de l'âme, ni aucune des choses de cette nature;
non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver
dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore
parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et
stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions
des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles,
et dépendantes d'une première vérité en qui
elles subsistent, et qu'on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup
avancé pour son salut.
Le Dieu des Chrétiens ne consiste pas en un Dieu
simplement auteur des vérités géométriques
et de l'ordre des éléments; c'est la part des païens
et des épicuriens.
Il ne consiste pas seulement en un Dieu qui exerce sa
providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse
suite d'années à ceux qui l'adorent; c'est la portion des
juifs.
Mais le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob,
le Dieu des Chrétiens, est un Dieu d'amour et de consolation, c'est
un Dieu qui remplit l'âme et le coeur de ceux qu'il possède,
c'est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère,
et sa miséricorde infinie, qui s'unit au fond de leur âme;
qui la remplit d'humilité, de joie, de confiance, d'amour.
Pascal, Blaise, 557
Il est vrai que Dieu se cache à ceux qui le tentent,
et qu'il se découvre à ceux qui le cherche.
Brunschvicg: Il est facile de tirer de cette pensée
le sens précis de la distinction que Pascal établit entre
tenter Dieu et chercher Dieu. Le tenter, c'est vouloir que Dieu se révèle
à nous, en vertu de notre propre mérite, parce que la connaissance
nous serait naturellement due; le chercher, c'est demander à la
prière plutôt qu'à la raison la connaissance de Dieu,
c'est se faire petit enfant et croire avec humilité. tenter, c'est
réclamer de la justice divine ce que la grâce seule peut donner
à ceux qui cherchent.
Pascal, Blaise, 560
Nous ne concevons ni l'état glorieux d'Adam, ni
la nature de son péché, ni la transmission qui s'en est faite en nous, Ce sont des
choses qui se sont passées dans l'état d'une nature toute
différente de la nôtre, et qui passent l'état de notre
capacité présente.
Brunschvicg: Ces choses font l'objet propre de l'Augustinus
de Jansénius.
Pascal, Blaise, 560
Tout cela nous est inutile à savoir pour s'en sortir;
et tout ce qu'il nous importe de connaître est que nous sommes misérables,
corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par Jésus-Christ.
Pascal, Blaise, 564
Les prophéties, les miracles mêmes et les
preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu'on puisse dire
qu'ils sont absolument convaincants. Mais ils le sont aussi de telle sorte
qu'on ne peut pas dire que ce soit être sans raison que de les croire.
Ainsi il y a de l'évidence et de l'obscurité, pour éclairer
les uns et obscurcir les autres. Mais l'évidence est telle, qu'elle
surpasse, ou égale, pour le moins, l'évidence du contraire;
de sorte que ce n'est pas la raison qui puisse déterminer à
ne pas la suivre; et ainsi ce ne peut être que la concupiscence et
la malice du coeur.
Pascal, Blaise, 566
On n'entend rien aux ouvrages de Dieu, si on ne prend
pour principe qu'il a voulu aveugler les uns, et éclairer les autres.
Le webmestre: les uns; les orgueilleux, les autres: les
humbles, Lu.10:21, Ja.4:6 et les orgueilleux, Dieu les aveugle seulement
quand ceux-ci refusent de se laisser humilier comme les humbles qui sont
de anciens orgueilleux humiliés. Ps.107:10-22, Ps.119:67, La.3:33,
Pr.16:4, Ec.7:14, Ja.4:8-10
Pascal, Blaise, 568
Les prophéties citées dans l'Évangile,
vous croyez qu'elles sont rapportées pour vous faire croire? Non,
c'est pour vous éloigner de croire.
Brunschvicg: C'est l'argument suprême que Pascal
oppose aux objections des incrédules opiniâtres: Dieu veut
vous aveugler; l'Écriture doit être telle que, claire pour
les élus, elle rebute les réprouvés par son obscurité.
Pascal, Blaise, 571
Quand les biens sont promis en abondance, qui les empêchait
d'entendre les véritables biens, sinon leur cupidité,
qui déterminait ce sens aux biens de la terre? Mais ceux qui n'avaient
de bien qu'en Dieu les rapportaient uniquement à Dieu.
La cupidité use de Dieu et jouit du monde; et la
charité, au contraire.
Les créatures, quoique bonnes, sont ennemies des
justes, quand elles les détournent de Dieu.
Pascal, Blaise, 575
Tout tourne en bien pour les élus, jusqu'aux obscurités
de l'Écriture; car ils les honorent, à cause des clartés
divines. Et tout tourne au mal pour les autres; car ils les blasphèment,
à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas.
Pascal, Blaise, 578
Il y a assez de clarté pour éclairer les
élus et assez d'obscurité pour les humilier. il y a assez
d'obscurité pour aveuglés les réprouvés et
assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables. Cp.
Augustin, chez Montaigne, apologie de Raymond Sebond.
Pascal, Blaise, 579
Dieu (et les apôtres), prévoyant que les
semences d'orgueil feraient naître les hérésies, et
ne voulant pas leur donner occasion de naître par des termes propres,
a mis dans l'Écriture et les prières de l'Église des
mots et des sentences contraires pour produire leurs fruits dans le temps.
Brunschvicg: Pascal attribue l'hérésie à
la considération d'une seule vérité, à l'exclusion
de la vérité opposée.
Pascal, Blaise, 580
La nature a des perfections pour montrer qu'elle est l'image
de Dieu, et des défauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image.
Pascal, Blaise, 581
Dieu veut plus disposer la volonté que l'esprit.
La clarté parfaite servirait à l'esprit et nuirait à
la volonté.
Pascal, Blaise, 582
On se fait une idole de la vérité même;
car la vérité hors de la charité n'est pas Dieu, et
est son image et une idole, qu'il ne faut point aimer, ni adorer, et encore
moins faut-il aimer ou adorer son contraire, qui est le mensonge.
Pascal, Blaise, 583
Les malins sont des gens qui connaissent la vérité,
mais qui ne la soutiennent qu'autant que leur intérêt s'y rencontre;
mais, hors de là, ils l'abandonnent.
Pascal, Blaise, 584
Le monde subsiste pour exercer miséricorde et jugement,
non pas comme si les hommes y étaient sortant des mains de Dieu,
mais comme ennemis de Dieu, auxquels il donne, par grâce, assez de
lumière pour revenir, s'ils veulent le chercher et le suivre, mais
(aussi assez de lumière) pour les punir, s'ils refusent de le chercher
ou de le suivre.
Brunschvicg: C'est là le dogme fondamental du jansénisme,
opposé aux théories pélagiennes. L'homme n'est pas
dans l'état de nature, indifférent au bien ou au mal; il
est naturellement coupable; la grâce est un miracle de la miséricorde
divine, et le salut une exception au cours ordinaire des choses.
Pascal, Blaise, 586
S'il n'y avait point d'obscurité, l'homme ne sentirait
point sa corruption: s'il n'y avait point de lumière, l'homme n'espérerait
point de remède. Ainsi, il est non seulement juste, mais utile pour
nous, que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie,
puisqu'il est également dangereux à l'homme de connaître
Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère
sans connaître Dieu.
Pascal, Blaise, 588
Notre religion est sage et folle. Sage, parce qu'elle
est la plus savante, et la plus fondée en miracles, prophéties,
etc. Folle, parce que ce n'est point tout cela qui fait qu'on en est; cela
fait bien condamner ceux qui n'en sont pas, mais non pas croire ceux qui
en sont. Ce qui les fait croire, c'est la croix, ne evacuata sit crux 1Co.1:17.
Et ainsi, saint Paul, qui est venu en sagesse et en signes, dit qu'il n'est
venu ni en sagesse ni en signes: car il venait pour convertir. Mais ceux
qui ne viennent que pour convaincre peuvent dire qu'ils viennent en sagesse
et signes. 1Co.1:22.