Pour peu qu'on examine l'usage du verbe en grec on s'aperçoit
que le temps ne suit pas l'usage en français; on se retrouve avec
des présents qu'on doit aussi parfois traduire par le temps passé
ou futur, des aoristes qui font souvent référence au passé
mais régulièrement aussi au présent et même
au futur! Cela demande des explications...
Voici comment l'explique Stanley Porter dans son livre
Idioms of the Greek Net Testament:
1. Définition de l'aspect verbal
La fonction originelle des radicaux de temps
(tense stems) du verbe dans les langues indo-européennes dont fait
partie le grec n'est pas sur le plan temporel (passé, présent,
futur), comme plusieurs le supposent, mais sur le plan aspectuel (c'est-à-dire
comment l'action verbale était perçue pour se produire).
En grec, l'aspect verbal est défini comme une catégorie sémantique
par laquelle un orateur ou un écrivain grammaticalise (c'est-à-dire
exprime un sens en choisissant une forme nominale) une perspective sur
une action en sélectionnant une perspective au sujet d'une
action en sélectionnant une forme particulière de temps dans
un système verbal. Les caractéristiques sémantiques
(les significations) des différents aspects vebaux sont attachés
aux formes de temps (tense). Les aspects verbaux sont donc basés
morphologiquement (c'est-à-dire que la forme et le fonction correspondent).
D'autres valeurs - comme le temps (time) - sont établies à
un niveau d'unités grammaticales ou conceptuelles plus larges, tels
des phrases, des paragraphes, des propositions ou même des discours.
Le choix d'un aspect verbal particulier (exprimé dans la forme de
temps (tense) du verbe réside avec le langage de l'utilisateur,
et c'est de cette perspective que l'interprétation grammaticale
du verbe doit commencer.
1.1 Les trois aspects verbaux
Il y a 3 aspects verbaux dans le grec, liés
aux 3 formes de temps majeurs.
a) L'aspect perfectif est le sens du temps aoriste: l'action
est conçue par l'utilisateur comme un processus complet et indifférencié.
Ceci est sans égard à la manière que l'action se produit,
c'est-à-dire, si elle est momentanée ou si elle dure une
longueur de temps significative.
Ex. h astraph hstraqe Lu.17:24
l'éclair resplendit
Ex. ebasileusen o yanatov apo Adam
mecri Mwusewv Ro.5:14
la mort a regné d'Adam
jusqu'à Moïse
b) L'aspect imperfectif est le sens du temps présent,
incluant la forme imparfait (la forme du présent augmenté
avec des terminaisons secondaires) : l'action est conçue par l'utilisateur
comme étant en progrès, En d'autres mots, sa structure interne
est perçue comme se déroulant.
c) L'aspect statique est le sens du temps parfait, incluant
la forme plus-que-parfait (pas toujours augmentée mais avec des
terminaisons secondaires) : l'action est conçue par l'utilisateur
comme reflétant un état de choses souvent complexe. Ceci
est sans égard si l'état de choses est venu à un résultat
d'une quelconque action antécédente ou si une action qui
se continue est impliquée.
Il y a plusieurs manières par lesquelles l'aspect
verbal peut être illustré, mais le concept significatif est
que les aspects sont arrangés en relation les uns avec les autres.
Plusieurs analogies peuvent être utiles pour la compréhension.
1.1.1. L'opposition verbale
Les linguistes modernes ont fait prendre conscience que
la production du langage peut être utilement discutée en termes
de choix opposés, pour que cela soit perçu en termes d'un
système coordonné. Ceci implique que quand un élément
est sélectionné, d'autres éléments similaires
dans le langage ne sont pas sélectionnés. L'aspect perfectif
(aoriste) est celui qui a le moins de poids dans les aspects verbaux du
grec, et par conséquent il comporte le sens le moins significatif
attaché à l'emploi de la forme. En grec l'aoriste est appelé
par certains le temps par défaut; c'est-à-dire que c'est
le temps qu'on choisit quand il n'y a pas d'autres raisons d'en choisir
un autre. L'aspect imperfectif (présent/imparfait) a plus de poids,
et quand on l'emploie en opposition avec l'aspect perfectif (aoriste) il
implique une plus grande signification sémantique. L'aspect statique
(parfait/plus-que-parfait) est celui qui a le plus de poids. Dans Ro.6:7-10
l'aoriste, le présent et le parfait sont employés en coordination:
Car celui qui est mort (apoyanon) est libre
(dedikaiwtai) du péché (une affirmation
emphatique d'entrée); mais si nous mourrons (apeyanomen)
avec Christ, nous croyons (pisteuomen) que nous
vivrons aussi avec lui, sachant (eidotev) que
Christ, étant ressuscité (egeryeiv)
des morts, ne meurt (apoynhskei) plus; la mort
ne domine (kurieuei) plus sur lui. Car il est
mort (apeyanen), et c'est pour le péché
qu'il est mort (apeyanen) une fois pour toutes;
il est revenu à la vie (zh) et c'est
pour Dieu qu'il vit (zh). La répétition
des aoristes est employé pour mettre en place les événements
fondationnels sur lequel dépend le statut du chrétien. Le
temps présent plus emphatique décrit les événements.
1.1.2. Les plans de discours
Il y a trois plans de discours: arrière-plan, premier-plan,
avant-plan. L'aoriste est le temps de l'arrière-plan, le présent
est le temps du premier-plan qui introduit des items significatifs ou qui
fait des références appropriées à des situations
concrètes.; et le parfait est le temps de l'avant-plan qui introduit
des éléments d'une manière encore plus définie
et complexe. Dans Ac.16:1-5, les aoristes sont employés pour les
événements narratifs, les présents sont employés
pour sélectionner ou souligner des événements, et
le temps parfait est réservé pour quelque sitems très
significatifs, incluant les «choses cachées» (ta
kekrimena). Le contexte et les formes de temps trvaillent ensemble
pour créer cette vision du monde. Une analyse aspectuelle verbale
de l'emploi du temps s'applique non seulement à la narration mais
à l'exposition aussi. Dans Ro.5:1-2 Paul commence avec l'assomption
que, puisque ses lecteurs sont justifiés (aoriste), ils jouissent
(présent) de la paix avec Dieu. Cette jouissance de la paix ressort
de l'arrière-plan de la justification. Au verset 2 Paul fait ressortir
encore plus fort le statut dont jouit son audience: ils ont accès
et demeurent dans cette grâce ; deux affirmations ayant la forme
parfaite du temps.
1.1.3 Visualisation. Si chaque aspect représente
la perspective grammaticalisée de l'auteur concernant un événement,
il est logique de se demander comment cette perspective peut être
visualisé. L'analogie de la parade s'avère utile. Si je suis
un reporter de télévision survolant en hélicoptère
une parade, je vois cette parade dans son caractère immédiat
d'un point de vue avantageux, en dehors de l'action, comme "perfectif";
c'est-à-dire dans sa totalité comme un tout, simple et complet.
Si je suis un spectateur se tenant debout avec d'autres le long de la rue,
regardant passer la
parade en face de moi, je vois l'action de l'intérieur,
étant plongé dedans, comme "imperfectif"; c'est-à-dire
comme un événement en progrès. Et si je suis le directeur
de la parade considérant, dans les quartiers généraux
de la corporation, toutes les conditions présentes à cette
parade, incluant non seulement tous les arrangements qui sont en train
de se produire mais aussi tous les événements concomitants
qui permettent à la parade d'avoir lieu, je vois ce processus non
pas dans ses particularités ou dans son
caractère immédiat, mais comme "statique",
c'est-à-dire une condition complexe ou un état de choses
en existence. Par exemple, dans Ro.8;11 avec egeirantov
(aoriste), 2Co.1:9 avec egeironti (présent),
2Ti.2:8 eghgermenon (parfait): chaque verset
emploie une forme de temps différente pour se référer
au même événement, la résurrection de Christ.
L'utilisation de chacun dépend l'emphase contextuel désiré
par l'auteur. Plusieurs catégories supplémentaires pourraient
être discutées à ce point.
(Dans 2Co.1:9 il ne s'agit pas de la résurrection de Christ mais
plutôt du fait que Dieu a la capacité de réssusciter
ceux qui meurent à cause de leur foi.
La forme futur dans le grec ne constitue ni une
forme de temps (tense) basée sur le temps (time) ni un aspect verbal
dans son plein sens comme énoncé ci-dessus. Morphologiquement
ce qui le distingue, le sigma (s : lusw -luw) reflète
ses origines dans le subjonctif. Les grammairiens sont divisés à
propos de la valeur sémantique exacte à donner à la
forme futur quoique plusieurs sont prêts à concéder
que la valeur temporel n'est pas suprême.
L'effet des préfixes (prépositions) sur
les temps des verbes a souvent été compris comme rendant
l'action perfective, c'est-à-dire
rendant toutes les formes de temps équivalentes à un aoriste.
Ce jugement doit être abandonné, reconnaissant que l'aspect
verbal n'est pas affecté par l'attachement d'un préfixe,
même si le sens lexicale peut être altéré, ex.
efagen
(manger) katefagen (dévorer).
Un très petit nombre de verbes en grec (tous les
verbes se terminant par -mi)
n'ont jamais developpé un assortiment complet de formes de temps
et par conséquent ne participe pas au système aspectuel (ce
n'est pas le cas des verbes défectifs, qui peuvent avoir seulement
un nombre limité des trois paradigmes verbaux). Le résultat
est que ces verbes en -mi n'offrent aucun choix
significatif entre un aspect et un autre. Ces verbes, dont eimi
est l'exemple premier, sont aspectuellement vague.
1.2 Le temps (time) et les formes de temps (tense)
Les valeurs temporelles (passé, présent,
futur) ne sont pas étalies dans le grec seulement par l'usage
des aspects verbaux (formes de temps). Ceci peut sembler surprenant pour
la plupart des étudiants du grec ayant été enseignés
que certaines formes de temps se réfèrent automatiquement
à certains temps où l'action se produit.
L'équation habituelle, appelée "temps absolu",
affirme que les temps aoriste, imparfait et plus-que-parfait communiquent
le concept du passé temporel; les temps présent et parfait
celui du présent temporel; le temps futur celui du futur temporel.
Cette équation sera réfutée dans les discussions subséquentes.
Toutefois, je ne veux pas dire par là que les grecs ne possédaient
pas de moyen pour indiquer quand un événement s'était
produit dans le temps. Une catégorie plus viable est celle du "temps
relatif". Ceci présuppose qu'en grec, l'ordre temporel des événements
n'est pas mesuré en fonction d'un point fixe (temps absolu), mais
plutôt par les relations établies parmi les événements
impliqués entre eux et d'après le contexte. Cette relation
est accomplie par une variété d'indicateurs disponibles dans
le langage; par l'usage des adverbes, tels nun, tote.
En
d'autres mots, des éléments autres que l'aspect verbal sont
les principaux communicateurs d'information temporelle. Ceci s'applique
non seulement dans le cas des modes autres que l'indicatif mais aussi dans
le cas du mode indicatif.
Une variété de traits contextuels (souvent
appelés indicateurs déictiques) doivent être analysés
pour établir des valeurs temporelles: références à
une personne, l'endroit et le temps, et les traits du discours. Le dernier
de ces traits apparaît comme le plus significatif, eux-mêmes
communiquant l'information même la plus souvent attribuée
aux formes de temps des verbes. Pour les grecs, l'aspect perfectif (exprimé
par l'aoriste) était apparemment ressenti comme le plus compatible
pour parler d'actions perçues comme achevées, d'où
son usage fréquent dans la narration. L'aspect imperfectif (exprimé
par le présent) avec sa perspective de voir le développement
progressif de l'action, était apparemment ressenti comme le plus
compatible pour l'examen continu; d'où son usage fréquent
dans la description ou dans l'exposition. Par conséquent, l'aoriste
est le temps qui forme l'épine dorsale de la narration, pendant
que le présent se retrouve fréquemment dans des contextes
non narratifs. Bien entendu il s'agit d'une généralisation
puisque chaque aspect verbal peut se rencontrer dans n'importe quel contexte
temporel. La tâche de l'interprète est, avant de décider
quand un événement a eu lieu, de considérer toutes
les informations pertinentes, incluant le temps de verbes, le type de discours
et ainsi de suite.
1.3 Histoire de la discussion des verbes grecs
La compréhension du fonctionnement des formes
de temps dans la langue grecque est passée par plusieurs transformations
au cours des derniers siècles. Il est généralement
reconnu que les anciens grammairiens grecs eux-mêmes n'ont pas été
capables de formuler clairement les relations exactes des formes de temps
(même s'ils ont fait un bel effort), mais le fait qu'ils aient commencé
à en discuter nous procure un point de départ utile pour
continuer la recherche.
1.3.1. La période rationaliste. (17ème au
19ème siècle). Cette période significative a été
caractérisée par la croyance que les formes de temps en grec
devait se conformer à quelque système logique préconçu
dérivé de langues européennes utilisées pour
l'analyse (habituellement l'anglais ou l'allemand, ou possiblement le latin).
Le résultat a été un système basé très
fortement sur la notion temporelle, dans lequel une corrélation
une à une a été tirée entre la forme du temps
et le temps de l'action (le temps absolu), ce qui a donné que le
temps grammatical présent = le temps chronologique présent.
Par conséquent, ces grammairiens conçurent des moyens pour
expliquer les déviations rencontrées qui s'écartaient
de leur perspective de temps absolu.
Par exemple, le supposé aoriste gnomique (un aoriste
qui ne se réfère pas au passé dans le temps, mais
qui est employé pour des événements naturels qui se
répètent périodiquement) et le supposé présent
historique (un présent utilisé dans la narration). Si ces
grammairiens ont eu leur plus grande influence d'un point de vue académique
au 19ème siècle et avant, leur héritage demeure, en
particulier dans les grammaires grecques élémentaires où
leur influence est restée virtuellement inchangée.
1.3.1. Aktionsart. La seconde période significative
est caractérisée par la dépendance sur le concept
de l'Aktionsart (un mot allemand inventée vers 1885 apparemment
par Brugmann et introduit dans le monde anglophone par Moulton dans son
Prolegomena). Ce concept est peut-être le mieux décrit et
défendu par la grammaire classique de Brugmann, quoique plusieurs
grammaires de niveau utilisent cette approche. Cet encadrement a été
développé dans l'ivresse de la découverte au 19ème
siècle des relations génétiques parmi les langues
indo-européennes. La théorie de l'Aktionsart est la supposition
que les temps de verbes en grec sont employés pour communiquer comment
une action se produit objectivement. Le résultat est un système
complexe où certaines valeurs sont attachées aux formes de
temps, tel ponctuel pour l'aoriste, duratif ou linéaire pour le
présent. Par conséquent certains ont pu trouver une référence
à l'action inceptive (l'action à son point de départ),
perfective (l'action amenée à terme), ou itérative
(l'action qui se répète), et ainsi de suite; le système
variant selon l'auteur. Un défaut identifiable de cette perspective
est son ambivalence entre les formes de temps et ses capacités de
caractériser l'action objectivement. Par exemple, le grec n'a pas
de forme de temps itérative, et souvent l'action aoriste n'est pas
ponctuelle. Ce qui en résulte, ce sont des altérations fréquentes
et majeures au système pour accommoder les déviations, souvent
expliquées en termes non de forme de temps mais de la racine sous-jacente
du verbe qui serait soit ponctuelle ou durative. (La forme de temps parfait
a toujours été problématique). Cette analyse a de
la difficulté à expliquer la description du même événement
utilisant, par exemple, l'aoriste et le présent, puisque que la
mesure objective de la sorte d'action ne peut être définie
seulement en termes d'usage verbal. De plus, il est arbitraire de caractériser
toute action entrant dans seulement trois catégories objectives.
Cette façon de voir a été grandement mise de l'avant
par les grammaires grecques avancées de Robertson, BDF et Moulton,
la plupart de ces outils ayant été écrits il y a au
moins cinquante ans.
1.3.3. L'aspect verbal. A la lumière de la linguistique
moderne qui insiste sur l'aspect synchronique dans le traitement d'une
langue, de plus en plus de grammairiens reconnaissent que l'aspect verbal
en grec se concentre sur l'utilisation de trois formes de temps majeures
et quelques traits sémantiques consistants qui leur sont attachés.
Le choix de l'aspect verbal est perçu comme étant à
la discrétion de l'auteur, à l'intérieur de certains
modèles d'usage bien établis.
2. L'aspect verbal et la portée de ses fonctions
La discussion qui va suivre est divisée en cinq
catégories temporelles, dans lesquelles chaque forme de temps de
verbe peut être utilisée -passé, présent, futur
(qui s'expliquent par eux-mêmes), omnitemporel et éternel
(qui seront expliqués plus en détail dans la suite). Quelques
grammairiens, quoique reconnaissant l'usage intemporel des formes de temps
dans les modes autres que l'indicatif, insistent que les formes de temps
ont une base temporelle dans le mode indicatif. Ce qui va suivre montre
que cette position ne peut être soutenue. Il y a eu une tendance
parmi certains érudits de simplement passer à côté
les utilisations qui ne se conformaient pas au système temporel
préétabli, tandis que d'autres reconnaissaient que les supposées
exceptions puissent en fait faire partie d'un champ légitime d'usage,
quoique qu'infréquent.
Fin de la citation de Porter. Pour la suite allez voir les
sections: présent, imparfait,
aoriste,
parfait,
plus-que-parfait,
futur.
|