2. Tous nous déplorons la situation paradoxale à laquelle
l'histoire nous a conduits : le repas qui signifie l'union des frères
et sœurs de Jésus-Christ en un seul Corps, le sien, les divise. Le pain
de la communion s'est mué en pomme de discorde. 3. La tradition baptiste adopte le vocabulaire de la Cène ou de la Sainte Cène, ou encore de Repas du Seigneur de préférence au terme d'Eucharistie, tandis que la tradition catholique parle normalement d'Eucharistie (action de grâces)1
en référence aux textes d'institution. Le nom de Cène est réservé à la
célébration solennelle du jeudi - saint. Ce point n'est pas séparateur,
mais par égard mutuel nous emploierons, pour le texte qui suit, le
doublet Cène-Eucharistie.
I. L'institution de la Cène–Eucharistie.
4. Nous sommes tous d'accord pour confesser que « le Seigneur
Jésus, dans la nuit où Il fut livré, prit du pain, et après avoir rendu
grâce, le rompit et dit : 'Ceci est mon corps qui est pour vous, faites
cela en mémoire de moi'. Il fit de même pour la coupe, après le repas,
en disant : 'Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang , faites
cela toutes les fois que vous en boirez en mémoire de moi'. Car toutes
les fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez la
mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne » (l Co 11, 23-26). 5. Nous
reconnaissons tous que la Cène-Eucharistie a été instituée par
Jésus-Christ comme repas de la nouvelle alliance, comme signe de
communion actuelle entre les disciples et comme célébration des
prémices du Royaume. Ces disciples accomplissent ainsi ce que le
Seigneur leur a prescrit : ils rompent le pain et boivent la coupe
ensemble en mémoire de lui. Nous pouvons tous employer le terme de
sacrement à propos de cette célébration, même si nous n'avons pas la
même conception de la réalité sacramentelle2.
6. Les gestes de la célébration, qui ont valeur de signes, constituent une parole visible. Ils « proclament la mort du Seigneur » que les gestes de Jésus, lors de la dernière Cène, avaient annoncée à l’avance.
II. La Cène-Eucharistie, mémorial
7. Tous nous reconnaissons que la Cène-Eucharistie est un
mémorial, commémoration de la mort du Christ ; non pas tant du dernier
repas que de la croix, du corps « donné pour vous », du sang « versé
pour vous ». C'est le sacrifice de Jésus, par sa mort sur la croix,
qu'il est important de toujours garder présent dans sa mémoire. La
Pâque juive était aussi un mémorial, la commémoration de la sortie
d’Égypte.
8. Ceux qui participent au repas proclament par là-même la mort
du Christ comme la source de leur vie et de leur union en un seul
Corps. Ils confessent ainsi la vérité dont ils vivent. Cette confession
est à prendre en deux sens : doxologique : elle est louange et s'accompagne naturellement de l'action de grâces (eucharistia, eulogia
), de ce sacrifice auquel Dieu prend plaisir, « le fruit de lèvres qui
confessent son nom » (He 13,15). sacramentel (selon que sacramentum
évoque aussi le serment d'allégeance) : elle marque l'engagement du
fidèle qui renouvelle, la conscience purifiée par la grâce, celui de
son baptême. (1 Pi 3, 21). La manifestation corporelle de cette
démarche en fait une expression symbolique de l'offrande de notre corps
« en sacrifice vivant et saint, agréable à Dieu » (Rm 12, 1).
9. Les baptistes comprennent le mémorial comme le rappel
spirituel (anamnèse) que la communauté fait de l'événement de la croix,
par la célébration du Repas du Seigneur. En nous rappelant notre
rédemption en Jésus-Christ, la Cène recentre notre foi sur l'essentiel.
Le salut nous a été acquis par le sacrifice de Jésus, son corps livré,
son sang versé. La communauté rassemblée à la Cène confesse et
proclame, devant le monde visible et invisible, l’œuvre accomplie par
le Christ. C’est pourquoi la Cène doit être célébrée comme une fête.
Elle rend le croyant qui y participe plus conscient encore de la
présence réelle du Christ ressuscité au milieu des siens et de sa
propre participation aux fruits du sacrifice de la croix ; assurées par
l’Esprit, cette présence et cette participation ne sont pas toujours
perçues, mais sont effectives au long de l’existence.
10. Les catholiques reprendraient volontiers les expressions
précédentes, mais ils soulignent que le mystère pascal, de la croix et
de la résurrection du Christ, est rendu présent et actuel dans le
mémorial eucharistique. Le mémorial est l’actualisation sacramentelle
d’un événement du passé. Par cette actualisation de la Pâque dans la
puissance de l’Esprit, le Christ est réellement présent dans la
célébration. Cette même actualisation permet d’appeler l’eucharistie
sacrifice, parce qu’elle est la re-présentation sacramentelle (l’acte
de rendre présent) de l’unique sacrifice de la croix.
Comme le mystère pascal garde une dimension d’avenir et qu’il ne sera
totalement accompli qu’avec le retour du Christ venant établir son
Royaume, l’Eucharistie est aussi une anticipation de sa seconde venue
dans la gloire.
III. La Cène-Eucharistie, sacrifice du Christ
11. Nous confessons unanimement l'unique sacrifice du Christ
accompli sur la croix et conduisant à sa résurrection. C'est ce
sacrifice qui nous sauve de nos péchés et nous ouvre à la communion de
vie avec Dieu. La célébration de la Cène - Eucharistie signifie notre
participation aux fruits de l'offrande du Fils à son Père et nous donne
de faire de notre vie un sacrifice existentiel dans l’Esprit.
12. Dans la théologie de la rédemption, les catholiques
insistent, aujourd’hui, sur l'unité du mystère pascal et sur la
nouveauté radicale du sacrifice du Christ par rapport à ceux de
l’Ancienne Loi. Il s'agit d'un sacrifice existentiel, à la fois
spirituel et corporel, offert au Père en témoignage d'un amour pour les
hommes qui va jusqu'à la fin. Les baptistes, quant à eux, insistent
toujours sur le caractère substitutif et expiatoire de la mort du
Christ, inséparable de sa résurrection, et sur la satisfaction offerte
à la justice divine pour nos péchés. Mais ces différences d’approche ne
s’excluent pas et ne sont pas forcément des divergences dans la foi.
13. Du côté catholique, si l'on tient que l'eucharistie est un
sacrifice, on l'entend en ce sens très précis qu'elle est le sacrement
de l'unique sacrifice de la croix, achevé dans la résurrection. Par la
puissance de l’Esprit, elle rend présent, ici et maintenant, de manière
sacramentelle, sous les signes du pain et du vin partagés dans le
repas, le sacrifice accompli une fois pour toutes sur la croix. En
aucun cas le sacrifice du Christ n’est « renouvelé » lors de la
célébration de l'eucharistie, mais c’est lui qui nous renouvelle dans
notre adhésion de foi et de charité.
Le caractère sacrificiel de la Cène vécue par Jésus est manifesté par
les paroles mêmes de l'institution : « Ceci est mon corps donné pour
vous » et « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang versé pour
vous » (Lc 22,19-20). L'Eucharistie est donc un sacrifice, du fait que,
mémorial du sacrifice de la Croix, elle le rend présent et en applique
le fruit pour le salut du monde. L’Eucharistie est également le
sacrifice de l'Eglise qui apprend et reçoit du Christ la capacité de
s'offrir elle-même.
14. Du côté baptiste, on ne reconnaît comme dimension
sacrificielle de la Cène que le sacrifice de louange et d’offrande de
soi. Toute autre qualification sacrificielle est considérée comme
pouvant mettre en cause le « une fois pour toutes » de la croix. Mais
la participation au fruit de la mort de Jésus-Christ, la communion
vivifiante avec lui, le Médiateur crucifié et ressuscité pour nous,
dans sa divinité et son humanité toujours corporelle, constitue la
substance de la vie chrétienne. La foi en est le moyen et la condition
nécessaire et suffisante. Cette participation est opérée par l'Esprit ;
elle n'est pas liée à la célébration du repas. Toutefois, la
célébration de la Cène est le moment privilégié où s’éprouve et
s’exprime cette communion.
IV. La Cène–Eucharistie, présence du Christ
15. Tous, nous reconnaissons une forme de présence du Christ
dans la Cène – Eucharistie. Tous, nous parlons de présence dans un
signe. Néanmoins, la manière de comprendre cette présence est
différente chez les uns et les autres.
16. Les catholiques confessent la présence réelle du Christ
dans l'eucharistie. D'abord, parce que Jésus a dit : « Ceci est mon
corps », la tradition de l’Eglise a toujours cru que ce qu’il donnait
était réellement sa personne corporelle, exprimée par le don et le
partage du pain et du vin. Ensuite, si les oblats3 sont
vraiment ce que Jésus nous dit d'eux, ils ont subi un mystérieux «
changement » ou une « conversion » en eux-mêmes : ils ne sont plus ce
qu'ils étaient auparavant. Enfin, mais bien plus tard, l'Eglise
catholique a estimé que le terme de transsubstantiation4
était très apte à exprimer ce changement ou cette conversion. Mais ce
terme, historiquement et culturellement très marqué, doit être
aujourd'hui traduit pour être justement compris. Il n'est pas une
condition nécessaire de communion dans la foi. Le don de la présence du
Christ, Créateur, Ressuscité et Seigneur, a sa source dans la toute
puissance de sa Parole, capable de donner à son corps, qui a franchi
toute limite, un nouvel « être-là » sensible. La réalisation de ce don
au cours de la célébration est attribuée à l'Esprit invoqué sur les
oblats. Le mystère est total sur le comment : la foi l'affirme au même
titre que la création, l'incarnation et la résurrection. Cette présence
se fait par la médiation des signes sacramentels. Elle se réalise ici
au sens fort : d'une part, le signe est la réalité signifiée et d'autre
part, il renvoie à un pas–encore-manifesté ; car la présence est cachée
dans le signe et discernée par la foi seule. Elle est ordonnée à la
rencontre du Christ qui doit venir dans sa gloire.
17. Pour les baptistes, le Seigneur ressuscité et monté au ciel
est absent de corps lors de la célébration du repas, d'où la nécessité
même de signes pour représenter son corps. Selon cette approche, il n'y
a pas de place pour une transformation du pain et du vin en corps et
sang du Seigneur. Le « ceci est mon corps » de l'institution est à
comprendre au sens métaphorique selon lequel Jésus dit aussi qu'il est
la porte des brebis, ou la vigne. Le Christ est cependant présent par
son Esprit, en vertu de sa promesse d'être avec les siens tous les
jours jusqu'à la fin des temps et, spécialement, quand ils sont
assemblés en son nom. Il y a donc bien présence et rencontre réelles
qui se vivent dans la foi, à l’occasion de cette célébration. Le pain
et le vin sont les signes symboliques institués au service de cette
grâce.
18. Au terme de cette réflexion, nous pouvons faire un premier
bilan de ce qui nous unit et de ce qui nous sépare au sujet de la
Cène–Eucharistie.
Nous sommes d’accord pour célébrer la Cène–Eucharistie en obéissance au
commandement du Seigneur qui nous a dit de faire cela en mémoire de
lui. Sur ce plan, quoi qu’il en soit des différences liturgiques, notre
attitude est la même et nous reconnaissons les mêmes signes.
Nous divergeons dans la compréhension du mémorial et donc du rapport de
la célébration au sacrifice unique du Christ, comme au sujet du rapport
entre le pain et le vin et le corps et le sang du Christ. Les
catholiques affirment dans la foi la présence de l’événement dans la
célébration, ainsi que l’identité entre le pain et le vin et le corps
et le sang du Christ, tout en respectant la distinction évidente entre
ce que fut le corps historique de Jésus, ce qu’est aujourd’hui son
corps glorieux et cette présence mystérieuse et cachée, donnée dans des
signes. Les baptistes maintiennent la distance entre l’événement
accompli une fois pour toutes et l’application de ses effets
aujourd’hui, de même que la distance de la métaphore entre la réalité
du pain et du vin et le corps et le sang du Christ. Sur ce plan, nous
n’avons pas la même interprétation du sacrement dans son rapport au don
de la grâce.
Nous redevenons d’accord dans la compréhension du fruit ou de la
réalité ultime de la célébration de la Cène–Eucharistie, dans son rôle
d’édification du corps ecclésial du Christ dans le temps et dans
l’espace. Pour les catholiques, elle en est même la source et le sommet
; pour les baptistes, elle y contribue et l’exprime.
V. La liturgie de la Cène–Eucharistie
19. Il n’y a pas, pour les baptistes, de liturgie fixe et
contraignante pour la célébration de la Cène. Néanmoins, la célébration
qui s’inscrit dans la trame du culte, comprend normalement l’action de
grâces, le rappel de l’institution (anamnèse), assez souvent prolongé
par l’avertissement de saint Paul (cf. 1 Co 11, 23-29). Suivent
l’invocation de l’Esprit (épiclèse) sur les personnes et non sur les
éléments, l’intercession et les prières spontanées des participants. La
Cène est généralement, mais non exclusivement, présidée par le pasteur.
Sont invités à la communion, tous ceux qui confessent le Christ comme
Sauveur et Seigneur 1. Le pain et le vin sont distribués à
tous les participants au repas. Le pain et le vin non consommés ne sont
pas conservés après la célébration.
20. Chez les catholiques, la liturgie de l'Eucharistie obéit à
des normes précises. Elle est nécessairement présidée par un évêque ou
un prêtre. Elle comporte trois grands moments : d'abord la liturgie de
la Parole, dont les textes changent selon les différents jours de
l'année et suivent les temps liturgiques, ensuite la prière de
présentation du pain et du vin et la grande prière eucharistique - qui
comprend, aujourd'hui, plusieurs textes au choix - enfin, la liturgie
de communion qui commence avec la récitation du Notre Père. La
célébration se termine par des prières d'action de grâce, une
bénédiction et un envoi. Les hosties (pain consacré) non consommées
sont entourées du plus grand respect à cause de la foi en la permanence
de la présence sacramentelle ; une réserve eucharistique est gardée
pour les absents (malades, etc.).
VI. La question de l’hospitalité eucharistique
21. Pour les baptistes et les catholiques, la Cène-Eucharistie
est un repas de communion entre les croyants (cf. 1 Co 10, 17 et
11,29). Les catholiques insistent sur la nécessité de la pleine
communion à la même foi pour la participation au repas : la communion
eucharistique et la communion ecclésiale sont indissociables ; car
l’Eglise fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Eglise. Ils
insistent également sur l’exigence de la présidence de l’Eucharistie
par un prêtre validement ordonné dans la succession apostolique. Ainsi,
dans la situation actuelle, toute hospitalité eucharistique ne peut
être envisagée que pour des cas d’exception, et plusieurs conditions
sont à respecter2
. Du côté baptiste, on ne sous-estime pas les divergences profondes qui
séparent encore catholiques et baptistes ; on souligne que la pratique
de ce repas est une confession communautaire de la foi ; et on invite à
la Cène en renvoyant chacun à sa propre conscience.
Paris, le 12 juin 2001
Membres du Comité mixte :
Membres Baptistes :
Past. Louis SCHWEITZER (coprésident)
Past. Henry FRANTZ
Past. Etienne LHERMENAULT
Past. Alain NISUS
Prof. Henri BLOCHER (expert)
Past. Gill DAUDÉ (FPF, observateur) |
Membres Catholiques :
Mgr. Raymond BOUCHEX (coprésident)
P. Claude BRESSOLETTE
P. Edouard COTHENET
P. Christian FORSTER
P. Benoît de MASCAREL
P. Bernard SESBOÜÉ, sj |
1 Cf. en grec, la forme verbale eucaristhsa s (Mt 26, 27 ; Mc 14, 23 ; Lc 22, 17 . 19 ). Le terme de Messe, toujours courant, vient de l’expression Ite, missa est, qui concluait la célébration latine ; cependant, l’emploi du mot Eucharistie est de plus en plus fréquent .
2 Une certaine réticence existe cependant, dans les milieux baptistes, sur le mot sacrement.
3 C’est à dire le pain et le vin présentés sur l’autel.
4 Le terme de ‘transsubstantiation’, ou conversion substantielle,
exclut toute transmutation physique des éléments. La substance est ici
une notion qualitative, non localisée.
1 Au sein des Églises baptistes, le baptême précède normalement la
Cène. L’usage qui prédomine aujourd’hui est d’accueillir à la Cène les
membres confessants des autres Églises, quelles que soient leurs
convictions sur le baptême.
2 Cf. Note de la Commission Épiscopale pour l’Unité des Chrétiens,
14 mars 1983 : D.C. 1849 (1983) pp.368-369. Reproduite en annexe au Directoire Œcuménique,
pp.182-183 ; « Dans les cas où des prêtres et des fidèles catholiques
accueillent des frères protestants à la table eucharistique, une
hospitalité authentique suppose, de la part de ces derniers, un « réel
besoin » ou un désir spirituel éprouvé, des liens de communion
fraternels profonds et continus avec des catholiques (tels qu’ils sont
vécus dans certains foyers mixtes et dans quelques groupes œcuméniques
durables), une foi sans ambiguïté quant à la dimension sacrificielle du
mémorial, quant à la présence réelle et à la relation entre communion
eucharistique et communion ecclésiale, enfin, un engagement actif au
service de l’unité que Dieu veut.» (DC 1849 p.369, II, 2).Cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique
§§ 1400-1401.
Auteur(s) : Comité Mixte baptiste-catholique en France;
Source(s) : FPF;FEDERATION PROTESTANTE DE FRANCE;
Date de parution : 12 juin 2001
Fédération Protestante de France - http://www.protestants.org