Il y a une dizaine d'années,
une sorte de coïncidence :
Presque simultanément je
rencontre mon frère de sang perdu de vue depuis 20 ans qui me parle
ésotérisme et christianisme, je rencontre des Témoins
de Jéhovah qui me parlent de Bible, je rencontre aussi une édition
de la traduction du livre de la Genèse et de l'évangile de
saint Matthieu par André Chouraqui ainsi qu'un bouquin polémique
anti-saint Paul de Baigent et Leigh relatif aux rouleaux de la Mer Morte,
et je me dis "Tiens je vais clouer le bec à mon frère et
aux Témoins de Jéhovah, car je ne suis pas plus bête
qu'un autre je vais leur montrer leurs incohérences et leurs absurdités,
puisque c'est incohérent et absurde". Je m'abonne même à
une revue d'exégèse athée qui poursuit un but analogue.
Je n'ai pas beaucoup revu mon frère,
je n'ai jamais été sensible aux arguments des TdJ (ou alors
en négatif...) mais la Genèse me séduit et saint Matthieu
me touche tandis que mes exégètes athées me cassent
les pieds. Je suis vite devenu comme amoureux de ce Jésus, j'ai
eu vite le sentiment que c'était la Vérité
mais... car il y avait à cette époque un gros mais : je ne
pouvais absolument pas croire en Dieu, c'était
impossible c'était trop absurde, c'était bon pour les naïfs
et les idiots.
Alors j'ai lu des revues et des
bouquins chrétiens dans l'espoir d'un déclic, d'un argument
massue qui ferait tomber mes réticences. Au fil de ces lectures
j'ai pu me faire une petite idée du Protestantisme
et une plus grosse idée
du Catholicisme et j'ai su que je ne serais ni protestant ni catholique
dans l'hypothèse où je croirais un jour en Dieu. Ce n'était
pas forcément du point de vue doctrinal mais le courant ne passait
pas, je n'étais pas à mon aise...
Sans perspectives ecclésiales,
j'ai connu la tentation du "fondamentalisme personnel" qui consiste à
dire : "ils sont tous dans l'erreur mais moi je vais revenir aux sources,
moi je vais jeter un regard vraiment neuf sans a priori et je serais plus
fort que tous les autres !" Cela m'a incité à me rapprocher
du judaïsme, du Talmud, du Zohar... Merveilleux Zohar, merveilleux
mais j'ai eu le sentiment que c'était une impasse (ou une voie infinie...)
et qu'il me fallait non pas retourner aux sources mais à la Source
: Jésus.
Alors, beaucoup d'Évangile,
et pas trop de saint Paul que je trouvais vraiment indigeste. Mais toujours
pas de foi en Dieu, seulement la foi en Jésus-Christ. Cela ne m'empêchait
pas de me composer une petite théologie personnelle plutôt
fondamentaliste, notamment en ce qui concerne le baptême, l'eucharistie,
les défunts, etc. A cette
époque, je suis presque prêt à me dire chrétien
sans église mais il me manque toujours l'essentiel : la foi en Dieu.
Comment sortir de là ? Je
songe à prier, prier le seul que je peux prier, c'est à dire
Jésus Christ. Et "justement" je tombe sur un petit bouquin orthodoxe
sur la "prière du Coeur" (pour simplifier à outrance, elle
consiste à prier sans cesse "Seigneur Jésus-Christ, Fils
de Dieu, aie pitié de moi, pécheur"), ce bouquin aurait dû
me faire hurler de rire, tout au contraire il me surprend et m'incite à
explorer le continent totalement oublié qui est l'orthodoxie et
à prier, prier...
Mes prières se remplissent
doucement d'évidence, mes lectures se font de plus en plus orthodoxes,
les autres m'ennuient ou me font sourire... et tout ce que je lis d'orthodoxe
résout des difficultés, simplifie, et
m'apporte une paix. Il devient
évident qu'il faudra bien qu'un jour je rencontre un vrai orthodoxe...
pas facile à trouver dans mon quartier...
Plusieurs mois après, un
contact téléphonique me suggère "viens et vois !"...
et pour la première fois de ma vie, j'assisterais volontairement
à un office religieux, c'est même un baptême... deux
ans et demi plus tard j'étais moi-même baptisé au même
endroit.
Deux ans et demi, mais de belles
prières qui débordent d'évidence...
Voilà...
Je suis donc un jeune chrétien
orthodoxe de bientôt 49 ans.
Voici comment je vis avec l'évangile
dans l'Église Orthodoxe.
Tout d'abord le problème
du salut personnel est un problème règlé par Dieu
indépendamment de mes oeuvres, donc j'ai un rapport très
détendu à l'évangile.
En revanche, j'entretiens une
relation d'amour avec le Christ, un amour un peu fou qui m'incite à
rechercher ses traces, sa présence, son parfum, sa voix, son sourire,
sa silhouette partout.
Alors la présence réelle
du Christ je la ressens intimement à mille occasions, mais jamais
systématiquement, il n'y a pas de recette ni de dogme ni de certificat
de garantie...
Souvent dans la prière,
souvent dans l'icône, souvent dans mes larmes, très souvent
dans le pauvre, le malheureux, l'enfant, très souvent dans l'eucharistie...
Vous noterez que je distingue
habilement Christ et présence du Christ...
Que dire de ce "souvent" ? c'est
que parfois je suis distrait, parfois mon coeur est sec, parfois je suis
aveuglé par mon moi, etc.
Et, en revanche, parfois Il est
là pour moi.
Il n'est pas là chaque
fois que j'ouvre la Bible, mon sentiment intime de Sa présence coïncide
avec le moment où je comprends la Bible, ou plus exactement le moment
où ce que je comprends me rentre dans le coeur et non pas dans le
cerveau, c'est à dire le moment où j'entends Sa voix en dépit
de ces pauvres traductions, en dépit de mon pauvre entendement.
Comme vous pouvez l'imaginez ce n'est pas toujours...
Hormis ces petits miracles de
"compréhension" il y a autre chose : je suis amoureux du Christ,
alors comme n'importe quel amoureux je m'efforce de multiplier les occasions
que l'on me raconte mon bien-aimé, et si j'ouvre la Bible c'est
pour qu'on me raconte le Christ, même si je ne comprends pas je me
laisse emporter...
Suis-je sauvé par l'évangile
?
Mon expérience est que
j'ai lu l'évangile et la Genèse à 20 ans et qu'il
a fallu vingt ans de plus pour que Dieu trouve la faille de mon coeur.
Ai-je été sensible à l'idée de salut, de rançon,
de sacrifice expiatoire, de rédemption, de ceci et de cela, pas
du tout, je crois que je n'y accorde encore aujourd'hui que peu d'importance,
j'ai été apprivoisé par un homme nommé Jésus.
Un homme m'a révélé
le Père, un homme m'a fait accepter l'inacceptable à savoir
l'existence de Dieu, un homme m'a parlé entre les lignes de son
évangile.
Je suis sauvé parce que
Dieu m'a sauvé.
Grâce à Lui maintenant
je peux espérer comprendre un peu de quelle bonne nouvelle il s'agit.
Je ne peux pas comprendre si
Dieu ne m'a donné la compréhension, je ne peux pas répondre
en toute connaissance de cause à Son appel si Dieu ne m'a pas tout
expliqué.
A présent, dans cette
relation personnelle avec Dieu je peux le retrouver dans la Bible, je ne
m'en prive pas.
L'Église que je me figure
n'est pas un club de sauvés mais un rendez-vous d'amoureux fous
qui veulent partager ce qu'ils ont de plus cher. Le Christ nous l'a promis,
Il est présent, à charge pour nous de profiter pleinement
de Sa présence. Une micro-seconde de communion avec le Christ est
déjà une éternité complète.
S'agit-il d'une relation labellisée
"orthodoxe" pur jus, je ne sais pas, je ne suis pas un fanatique de la
taxonomie.
votre frère Pierre Poncet