LA PREPARATION DU SERVITEUR
A douze ans quand il quitta l'école, il connaissait
le latin qu'il avait appris tout seul. De même il se fit initier
au grec et à l'hébreu par un camarade qui fréquentait
l'école et par le pasteur de son village. Successivement et très
vite, le français, l'allemand, le hollandais et l'espagnol lui
devinrent familiers. Et cela était d'autant plus étonnant
pour un jeune homme qui ne semblait pas devoir en tirer avantage, enfermé
dans son village avec pour perspective d'être tisserand ou paysan
ou maître d'école. Il aurait voulu être jardinier mais
le soleil lui déclenchait une inflammation si douloureuse, de la
peau du visage et des mains, qu'il dut renoncer à cette carrière,
non sans avoir persévéré pendant deux ans, ce qui
altéra gravement sa santé. Il fut placé comme apprenti
chez un cordonnier où une faute qu'il commit fut, par la providence
divine, le point de départ de sa conversion.
Chargé par son patron de porter à domicile
des chaussures réparées, il détourna un shilling pour
un achat personnel. Au lieu d'être congédié, comme
il s'y attendait, il fut pardonné. Travaillé dans sa conscience
il se repentit et s'humilia. Un camarade apprenti exerça sur lui
une profonde influence et l'entraîna dans des réunions de
prières. A dix-sept ans et demi il se convertit et il ne sut en
fixer ni l'heure ni le jour. Le chemin qui le conduisit à Christ
fut long. Après trois ans, de recherches et d'efforts persévérants,
il trouva la réponse aux besoins de son esprit et son expérience
profonde de la vérité chrétienne, soigneusement mise
à l'épreuve, firent de lui un chrétien très
enthousiaste tout au long de sa vie pour la cause de Jésus Christ.
Plus qu'aucun autre peut-être de ses contemporains, il trouva la
nourriture spirituelle de son âme dans la Bible et se consacra à
sa propagation, sa traduction, jusqu'à la fin de sa carrière.
En 1781, à peine âgé de vingt ans,
il épousa une jeune femme dont il eût plusieurs enfants. Elle
fut bientôt atteinte d'une maladie mentale qui s'aggrava rapidement
et l'emporta au bout de vingt ans. Prédicateur dans une église,
il exposait la Parole de Dieu, étudiant chaque jour la Bible dans
les langues originales. Et cela tout en travaillant chez un patron, son
beau-frère, qui mourut et lui laissa en plus de ses propres enfants
la charge de sa veuve et de ses quatre enfants.
Il prêcha l'Evangile partout où on l'appelait.
La pensée de partir au loin porter l'Evangile l'habita très
tôt. L'idée de partir comme missionnaire fut manifeste dans
ses prières où il intercédait pour les contrées
lointaines où l'oeuvre de Christ était ignorée. Il
s'informa exactement de la géographie du monde païen. Il ouvrit
une école et ses élèves le virent aux leçons
de géographie pointer souvent sur la carte ces pays mal connus et
pleurer en disant: ce sont des païens. Son émotion était
alors si vive, qu'il en restait sans mouvement. Parlant à ses collègues
de son souhait de partir comme missionnaire, il fut tenu pour un fou et
ne trouva qu'incompréhension et répréhension.
Il écrivit un mémoire qui parut en 1792
sous un titre modeste: "Enquête sur les obligations des chrétiens
de travailler à la conversion des païens." Il faut faire connaître
à tous la bonne nouvelle que Dieu veut par la grâce de la
croix guérir et sauver les hommes. Il prêcha avec une puissance
convaincante devant une nombreuse assemblée montrant les grandes
perspectives qui, en cette fin de 18ème siècle, s'ouvraient
devant les chrétiens, s'ils voulaient être fidèles.
"Attendez, disait-il, de grandes choses de Dieu, mais entreprenez de grandes
choses pour Dieu."
Une réunion de prière, le premier lundi
de chaque mois, groupa ceux qui demandaient sur eux-mêmes et sur
le monde une action puissante de l'Esprit de Dieu. Une oeuvre missionnaire
allait commencer. La pitié du monde païen, perdu loin de Christ,
dans l'ombre de la mort, s'était éveillée fortement
dans son âme et il était poussé d'annoncer l'évangile
de la rédemption et de la vie éternelle par Jésus
Christ.
LE CHAMP DE LA MISSION
Quelques mois s'écoulèrent avant que William
Carrey partît aux Indes. Le voyage dura cinq mois. Sa femme l'accompagna
et son fils. Partis sur un bateau danois, essuyant un orage qui détruisit
presque le navire, ils arrivèrent à Calcutta le 11 novembre
1793. Les contretemps ne manquèrent pas: les désordres mentaux
de sa femme s'aggravèrent, son fils malade de dysenterie paraissait
mourir quand ses ressources s'épuisèrent. Un planteur d'indigo,
providentiellement placé sur sa route, l'embaucha pour diriger sa
plantation et sa fabrique. Pendant six ans il fut fabricant d'indigo. Il
appliquait son principe selon lequel un missionnaire devait subvenir à
ses besoins.
Les matinées suffisaient au travail de l'indigo
et Carrey en profitait pour poursuivre son activité missionnaire.
Chaque dimanche et deux à trois fois par semaine il allait, dans
un des deux cent villages de son district, à pied, et grâce
à son travail il entrait en contact avec les populations indigènes
et apprit à connaître tous les détails de la vie du
peuple. Il étudia leur langue "le bengali" et dès 1795 il
pouvait prêcher dans cette langue de manière à être
parfaitement compris. En même temps il étudia le "sanscrit"
et "l'hindoustani" qu'il put parler couramment et dans laquelle il prêcha
dès 1796.
Il fut très éprouvé par la mort d'un
de ses enfants et par la maladie de sa femme dont l'esprit sombra tout
à fait.
Il traduisit le Nouveau Testament en "bengali", se procura
des caractères d'imprimerie et une presse à imprimer. Si
des auditeurs se groupaient autour de lui en grand nombre, il constata
qu'ils étaient lents à accepter un message que leur milieu
social les empêchait de recevoir. Les païens ne se convertissaient
pas; les pratiques du paganisme se poursuivaient.
Il vit en 1799 brûler une jeune veuve, sans pouvoir,
malgré sa profonde émotion, intervenir pour l'arracher à
ce triste sort. Seul un Portugais de Macao, après avoir accepté
l'Evangile, était devenu pour Carrey un vrai compagnon d'armes.
Il lui fallait toute sa ténacité, sa foi et son amour pour
Christ, et le vif sentiment que l'Inde avait besoin de lui, pour le préserver
du découragement.
LE TEMPS DE LA MISSION
Ils se retrouvèrent un petit nombre de chrétiens
aux compétences variées et mirent en commun leur temps et
leurs ressources. Ils achetèrent une maison, dans un petit port
de rivière très fréquenté, Sérampore,
qu'ils agrandirent avec des dépendances et un grand jardin.
Carrey devint professeur, Marshall ouvrit une pension
pour jeunes gens qui prospéra rapidement. Ward fut directeur d'une
grande imprimerie qui allait répandre la Bible à profusion
dans les diffé-rentes langues populaires de l'Inde. Le 24 avril
1800, la petite société était organisée et
les bâtiments de la mission construits. Ils célébrèrent
par un jour d'actions de grâce à Dieu l'achèvement
de cette oeuvre préparatoire. Carrey n'avait pas attendu ce moment
pour son travail de prédication de la Parole de Dieu. Tous les dimanches
il prêchait pour les nombreux Européens qui peuplaient Sérampore
et deux ou trois fois pour les Hindous.
Pendant de longs mois Carrey avait l'impression de labourer
le roc car les Hindous ne paraissaient pas ou ne voulaient pas comprendre
les exigences profondes de l'Evangile et il était souvent comme
saisi de désespoir. Mais ce qu'il semait était plus solide
qu'il ne pensait. Effectivement vers la fin de l'année 1780, un
charpentier, Krisna Pal, qui connaissait l'Evangile depuis des années,
se décida avec un de ses amis. Et sans se laisser arrêter
par les menaces que le gouverneur de la ville put seul détourner,
il fut baptisé le 28 décembre 1780. Beaucoup d'autres allaient
suivre.
LES TRADUCTIONS DE LA BIBLE
W. Carrey avait déjà traduit le Nouveau
Testament en bengali. Conscient de l'importance d'une traduction populaire,
il se rendait compte que sans elle aucune oeuvre définitive ne pouvait
être faite. Ward s'était mis sans retard à l'impression.
Le 1 Mars 1801, le premier Nouveau Testament en bengali était imprimé.
C'était le fruit de sept années et demi de travail opiniâtre.
Ce fut le point de départ d'une oeuvre merveilleuse de traduction
des Ecritures dont Carrey fut le principal artisan.
Remarquablement doué, Carrey qui avait appris plusieurs
langues hindoues, conçut le dessein de traduire l'Ecriture dans
toutes les langues principales parlées aux Indes. Ce travail formidable
fut entre-pris avec le concours de lettrés ou pundits sous la direction
et la révision de W. Carrey. Ne pouvant pas se fier en plusieurs
de ses collaborateurs il devait tout contrôler. En 1804 il écrivit
à la Société Biblique Britannique pour dire qu'il
s'était engagé avec ses collègues dans la traduction
de la Bible en six langues nouvelles et qu'il estimait à quinze
ans, environ, le temps nécessaire pour mener à bien ce travail.
Après le bengali il avait abordé le sanscrit.
Son zèle à apprendre les langues surprenait tous ses collaborateurs.
Aucun travail, à ses yeux, ne l'égalait en importance. Ainsi
pendant quarante ans il réserva quelques heures de sa journée
à ce labeur, sans se laisser détourner à aucun prix.
Non seulement ses collègues s'associèrent à cette
oeuvre, mais les enfants des missionnaires eurent la charge d'apprendre
chacun une langue hindoue en vue de la traduction de la Bible outre le
sanscrit que tous étudiaient comme la clef de toutes les autres.
Ils arrivèrent à connaître le chinois et les langues
indochinoises.
W. Carrey traduisit lui-même la Bible ou le Nouveau
Testament en six langues et il surveilla la traduction et l'impression
en vingt-huit autres. Au total trente-quatre langues! Un travail gigantesque!
Il n'a point eu d'égal dans toute l'histoire du christianisme. Au
fur et à mesure que ces traductions étaient achevées,
Ward les imprimait.
Avant la mort de W. Carrey, il avait imprime 212000 exemplaires
de la Bible ou du Nouveau Testament. Mais à son oeuvre de traduction
qui apparaît comme suffisante pour la vie de plusieurs hommes, Carrey
en ajoutait d'autres. Il était le seul à parler aussi bien
que les brahmanes, le bengali dont il avait fait une langue écrite
et le sanscrit dont il venait de composer une grammaire et un dictionnaire.
En 1801, il fut vivement pressé par le gouverneur
Wellesley d'enseigner au collège qu'il avait fondé, le bengali,
auquel s'ajoutèrent successivement le sanscrit et l'hindoustani.
W. Carrey accepta à condition de pouvoir rester missionnaire. Il
inaugura ainsi un professorat qui devait lui assurer jusqu'à sa
mort une autorité et des occasions pour la cause de l'Evangile
par l'influence qu'il pouvait ainsi exercer sur les nombreux jeunes gens.
Il rédigea six grammaires, dont quatre ne l'avaient jamais été,
de bengali, sanscrit, mahratti, penjabi, telugu et canarese, trois dictionnaires
et un vocabulaire étonnant par le nombre des mots que seule la connaissance
du peuple et de ses moeurs lui permettait de savoir. Les leçons
du collège lui prenaient trois jours par semaine et le reste de
son temps était pour la mission.
Le secret d'un tel sacrifice de soi-même, offert
à Dieu avec une grande humilité, se trouvait dans l'amour
brûlant pour l'oeuvre de Dieu et dans la communion qui existait avec
les autres missionnaires. Leur but commun dans la prédication était
d'imiter l'apôtre Paul en ne prêchant que "Jésus Christ
et Jésus Christ crucifié".
Après la conversion de Krisna Pal, des hommes et
des femmes et parmi elles une veuve, une de ces victimes de la cruauté
brahmanique qui avait échappé par miracle, un maître
d'école, des mahométans, des brahmanes se convertirent à
Jésus Christ. En 1804 la mission comptait quarante-huit convertis,
baptisés. En 1810 ils étaient plus de trois cent.
Carrey ouvrit partout où il le put des écoles
qui donnaient l'enseignement élémentaire, l'instruction évangélique
dans la langue des indigènes. En 1818 cent vingt-six écoles
indigènes groupaient plus de 10000 élèves.
OPPOSITIONS ET SOUFFRANCES
Il est facile de comprendre que tout ce travail ne se
fit pas sans soulever une opposition souvent violente. Aux luttes du dehors
s'ajoutaient les craintes du dedans. Plus que des craintes, des épreuves
fort douloureuses, dont il semble que W. Carrey ait goûté
toute l'amertume. La maladie due au climat atteignit tous les membres de
la mission. Elles mit maintes fois W. Carey aux portes de la mort et causa
la mort de ses meilleurs amis dans le service.
En 1821 il perdit sa seconde épouse, une femme
exceptionnelle qui s'était associée de toute son âme
à la cause de la mission et de l'Evangile. En 1822 et 1823 le choléra
emporta trois de ses plus intimes collaborateurs dont le premier converti
Krisna Pal et l'imprimeur Ward.
En 1822 un immense incendie détruisit la mission
et l'imprimerie qui fut réduite à un tas de cendres.
Vers 1830 des catastrophes économiques s'abattirent
sur le pays qui fut ruiné au point de vue industriel et agricole.
Malgré tous les obstacles alors que la carrière
de W. Carrey touchait à sa fin, il eut fa joie de constater que
la moisson levait partout. Des jeunes gens pleins de foi venaient prendre
rang à côté des anciens.
En Juin 1832 il termina la révision de sa traduction
de la Bible en Bengali. Incapable de faire autre chose que de lire et corriger
des épreuves d'imprimerie, il s'affaiblit sans souffrances et il
resta jusqu'au bout en pleine possession de ses moyens. "En ce qui concerne
mon salut personnel, disait-il vers la fin, je n'ai pas l'ombre d'un doute:
je sais en qui j'ai cru... mais, quand je pense que je suis sur le point
de comparaître devant le Dieu saint ...je tremble ..." Il ne put
en dire d'avantage, les larmes coulèrent de ses yeux. Les dernières
lettres à ses deux soeurs, en Angleterre, furent des messages d'amour
et d'espérance.
Le 9 juin 1834, il entrait dans la joie de son maître.
Des milliers d'Hindous avaient été convertis par son moyen.
Mais le résultat immédiat de l'activité de W. Carrey
fut la fondation de nombreuses missions étrangères. Il restera
l'exemple de ce qu'un homme appelé par Dieu peut faire dans une
vie entièrement consacrée. A sa suite, la mission s'est développée,
et cette parole du Seigneur Jésus aux siens est venue trouver un
aboutissement "Allez dans le monde et prêchez l'évangile
à toute la création."
Le monde païen s'est couvert d'un réseau de
stations missionnaires aux mailles de plus en plus serrées. La Bible
a été traduite en d'innombrables langues et dialectes. Travail
qui apparaît comme le prolongement et le couronnement de l'oeuvre
entreprise, avec une détermination et une volonté exemplaire,
par ce serviteur de Dieu dont le témoignage a été
rendu qu'il était "d'une humilité enfantine".
Au jour du tribunal de Christ tout sera mis en lumière
pour ce chrétien que Dieu a employé pour Son oeuvre. On reste
impressionné par la puissance et la capacité de travail de
ce croyant qui a pu mener de front autant d'activités. Que la vie
de cet homme soit en encouragement pour chacun de ceux qui, engagés
dans le service chrétien, pourront rendre grâce à Dieu
d'avoir choisi et qualifié de tels missionnaires afin que l'Évangile
retentisse "jusqu'au bout de la terre" (Actes 1, 8).