Alexandre Raoul serait arrivé en Nouvelle-France
au printemps 1659. Il a été témoin lors du mariage
de Louise Gelé à Québec le 10 août 1659, lors
de son mariage, il s'était déclaré maître-menuisier.
Ce qui signifie, qu'il appartenait à cette Confrérie qui
existait à cette époque en France. Ici c'est la Confrérie
de Ste-Anne qui s'y apparentait. Alexandre avait deux cousins qui étaient
marchands: Mathurin Morisset et Étienne Branchaud, peut-être
avait-il effectué des voyages avec eux avant de décider de
s'établir définitivement.
Le maître charpentier se fait défricheur
(rapporté
par Alain Rheault)
Le 17 Mars 1665, par une belle et claire matinée
de printemps, le tabellion Séverin Ameau se présente à
l'hôtel seigneurial de la Touche-Champlain. Il vient de parcourir
en raquettes les trois lieues qu'il faut franchir depuis Trois-Rivières
et devant lui une journée de travail qui s'annonce fort chargée
Le seigneur Pezard, qui a acquis son fief moins d'un an
plus tôt, a décidé de la faire exploiter le plus rapidement
possible et une trentaine d'habitants de la région ont accepté
son offre. Séverin s'assied au pied de l'âtre, où flambe
une grosse bûche, et déploie ses parchemins glacés
sur une longue table de chêne :
-Nos censitaires sont, je crois, tous réunis, lance
le seigneur. Vous allez, maître Ameau, leur donner leurs titres de
concession. -Je suis à votre disposition, sieur de la Touche, rétorque
le notaire.
Alexandre Raoul, maître charpentier Aunisien, marche
d'un pas ferme et décidé. Son métier ne suffit pas
à les faire vivre, lui et sa femme. Alexandre devra, comme la plupart
des colons de son époque, défricher et cultiver la terre.
Marie n'a pas encore quinze ans; les enfants viendront plus tard car, après
tout, vaut mieux attendre d'avoir suffisamment de pain sur la planche pour
les faire vivre.
Et le scribe agite son encrier, y trempe sa plume d'oie
et, d'une écriture bien moulée qui caractérise l'homme
soigneux qu'il est, trace les lignes qui suivent:
Par-devant Séverin Ameau, notaire royal aux Trois-Rivières,
soussigné, fut présent en sa personne Etienne Pezard, Ecuyer,
Sieur de la Touche, Capitaine de garnison du dit lieu lequel en conséquence
de la donation à lui faite par sa Majesté des terres nommées
de la Touche, situées à trois lieues ou environ au-dessus
des dites Trois-Rivières, à lui données, avec droit
seigneurial, donne et concède, à Alexandre Raoul, à
ce présent et requérant, une habitation consistant en deux
arpents de front sur quarante de profondeur, dans la seigneurie des terres
qui lui ont été marquées par le dit sieur de la Touche,
tenant d'un bout, au sud-est, par les deux arpents de front, au fleuve
St-Laurent d'un côté au nord-est, aux terre du sieur de la
Touche, qu'il retient, où est la place du fort: de l'autre côté,
au sorouest, par une ligne qui court sudest et norouest et fait la séparation
de la dite concession de celle de Pierre Dandonneau dit Lajeunesse, en
parallèle de l'autre bout au nordouest, aux terre du Sieur de la
Touche non concédées, à la charge de deux boisseaux
de blé, un chapon et deux deniers de cens payable par chacun an,
en l'hôtel seigneurial du dit sieur de la Touche, au jour et fête
de la Saint-Martin d'hiver.
Le premier payement sera fait la présente année.
Les dits cens et rentes portant lois et ventes, saisines et amendes quand
le cas y écherra, suivant la coutume, à la charge aussi de
travailler incessamment sur la dite habitation, tenir feu et lieu sur icelle,
la faire valoir en sorte que les dits cens et rentes puissent être
prélevés et payés, sinon à défaut au
dit sieur bailleur de rentrer en possession des dits héritages par
le dit preneur et laisser de plein droit sans aucune forme ni de manière
de procès, et en outre est le dit preneur tenu pour lui et ses hoirs
et ayant cause, faire moudre ses grains au moulin du dit sieur bailleur
lorsqu'il sera bâti sur la dite concession, a peine de tout dépens
et dommage. Comme aussi de souffrir sur les dites terres les chemins nécessaires
pour le commerce et ses voisins; sera tenu aussi dans deux ans aujourd'hui
laisser la profondeur d'un arpent de terre sur le devant de la dite concession
du bord qu'elle regarde le fleuve, Saint-Laurent, pour servir de commune
et de pâturage aux bestiaux des dits habitants de ce dit lieu, au
bout duquel arpent, il clorera la dite concession en sorte que les bestiaux
ne puissent faire aucun dommage, sur ses terres ni celles de ses voisins,
faute de quoi il sera tenu de satisfaire au dommage qui pourrait y être
fait, le tout ainsi accordé par les dites parties. Fait et passé
au fort de la Touche sur les dites terres ci-devant appelées Champlain,
ce jourd'hui, le 17e de mars 1665 en présence de Guillaume Fleuret,
de Jean Boudreau(Bourdeau) dit la Taille, témoin pour ce appelés,
signé en minute: Pezard, G.Fleuret, Jean Boudreau, le tout avec
paraphe. Le dit Raoul a fait sa marque déclarant ne savoir ni écrire
ni signer.
Notaire Ameau,
Une trentaine d'autres terres sont allouées, donc
une au futur Beau-Père d'Alexandre, Antoine Desrosiers
En 1665, Alexandre Raoul oeuvre dans la région
trifluvienne depuis quatre ou cinq ans. Le 12 novembre 1661, il est déjà
entré dans la famille de sa future épouse: ce jour-là,
il est parrain de la petite Anne, fille d'Antoine Desrosiers et d'Anne
Leneuf du Hérisson.
Le 4 juillet 1662, le maître charpentier reçoit,
à l'acquit de Charles Pouliot, quittance de la somme de 31 livres
tournoid de la part de Françcois Lemaistre. Le 15 août suivant,
l'ancêtre achète de Nicolas Gaillou dit Lataille un lot de
dix toises de front par autant de profondeur le long de la rue Saint-Michel,
du coté sud-ouest de la rue Saint-Pierre, dans le bourg de Trois-Rivières.
Cet emplacement, qui se rendait jusqu'à ceux de Guillaume Pépin
et de Jean Denoyon, avait d'abord appartenu à Gilles Trotier, mais
ses héritiers l'avait cédé à Jacques Fournier
dit Laville et celui-ci l'avait à Gaillou en août 1660.
En même temps que le lot, Alexandre Raoul avait
acquis la clôture de pierre séparant cette propriété
de celle de Pierre Couc. Lui-même logeait de l'autre coté
de la rue, dans une maison érigée sur l'emplacement de Denoyon,
dans le voisinage immédiat de la résidence d'Antoine Desrosiers,
son futur beau-père.
Le 27 décembre 1663, Alexandre s'acquittera de
sa dette envers Gaillou. Le 19 janvier 1664, l'ancêtre retourne devant
l'ami de tous, le notaire Ameau, dévoué garde-notes, et y
emmène sa jeune fiancée, Marie Desrosiers, née à
Trois-Rivières le 16 juin 1650, fille aînée d'Antoine
Desrosier et Anne du Hérisson.
A quelques reprises, Alexandre Raoul a eu recours à
la justice pour faire valoir ses droits. Le 11 août 1663, il s'adresse
à la Prévoté de Trois-Rivières pour réclamer
un canot prêté à Pierre Lepelé dit Lahaie; le
29 décembre 1664, il exige que Jacques Besnard lui restitue la somme
de 29 livres, 12 sols et 6 deniers pour du travail effectué; le
19 février 1667, Alexandre Raoul, demeurant à Champlain,
témoigne qu'il est allé à Saint-Eloy environ quatre
mois auparavant pour y chercher de la marchandise; une nuit, il y a couché
en compagnie de Pierre Dandonneau, Guillaume Fagot, Barthélemy Bertaut
et Jean Peré, lequel, voulant sortir sa chaloupe du "marigot de
Saint-Eloy", n'a pu le faire, parce que les glaces obstruaient la sortie.
Ces personnes se seraient trouvées là pour faire la traite,
particulièrement celle de l'eau de vie. L'île Saint-Eloy était
un excellent poste de relais et de rencontre pour les colons eux-même,
mais aussi pour leurs transactions avec les indigènes.
La famille Raoul est inscrite aux trois grands recensements
de l'époque, en Nouvelle-France ; en 1666 à Trois-Rivières,
il a trente quatre ans et son épouse quinze. En 1667, il est mentionné
au Petit Cap-de-la-Madeleine: il a déjà huit arpents en valeur.
En 1681, les Raoul se trouvent à Champlain: le Maître de céans
a 50 ans, sa femme 31, et leurs enfants sont Joseph, Marie, Jean, Jeanne
et Claire: ils possèdent un fusil, quatre bêtes à cornes
et douze arpents de leur terre sont exploités.
De temps à autre, l'ancêtre exerce son métier
de charpentier, il arrive même à Alexandre de fournir du bétail,
il vend et livre.
Le pionnier de Champlain ne verra pas le XVIIIe siècle.
Le curé Gaspard Dufournel inscrira son décès dans
les registres de cette paroisse à la date du 6 janvier 1692, sous
le nom d'Alexandre Raux: "il mourut, écrit-il, dans la nuit de la
fête des Rois, muni de tous les sacrements, âgé d'environ
soixante ans. L'enterrement a été fait en présence
de Jacques Turcot, juge de Champlain, et du sieur Françcois de Saint-Romain,
marchand".
Dans les registres que j'ai consultés à
la bibliothèque de la ville de Montréal, c'est le patronyme
Rault qui apparaît déjà pour Alexandre.
Au moins 3 autres Rault ou Raoul, outre que Alexandre
sont venus au Québec. Ces registres rapportent aussi un dénommé
Mathurin Rault de Beauvais-sur-Matha près de Saintonge, engagé
à La Rochelle le 15 mai 1716 comme boulanger et décédé
à l'âge de 20 ans à l'Hôtel-Dieu de Québec.
Il y a aussi Pierre Rault ou Durault dit Lavergne
et Saintongeois, fils de Jean Raoul et Jeanne Vrillon, soldat de la compagnie
Merville, décédé avant 1e 14 octobre 1697 à
Trois-Rivières. Au Cap-de-la-Madeleine, Pierre s'était marié
le 29 janvier 1690 à Marie-Madeleine Vanasse, fille de François
Vanasse et Jeanne Fourrier. Ils ont eu 2 enfants, Pierre né le 27
avril 1692 à Trois-Rivières, baptisé le 11 mai 1692
et décédé le 31 mars 1699, de même que Charlotte-Catherine
née vers 1695 et mariée en 1716 à François
Joyal.
Ces deux premiers Raoul-Rault n'ont donc pas lassé
de lignée au Québec. Le troisième trouvé dans
les registres à la bibliothèque de la ville de Montréal
s'appelait Adrien Raoul, fils de Joseph Raoul et Catherine Lefebvre marié,
le 19 juillet 1762 à Bécancour, à Marie-Josephte Frigon-Fregant,
fille de François-Marie et Marie-Jeanne Deshaies, je n'ai aucun
détail sur ses descendants, s'il en a eu. Peut-être ce Raoul
est un descendant direct d'Alexandre et qu'il a gardé le patronyme
Raoul mais à son époque tous les descendants d'Alexandre
que j'ai retracés portaient déjà le nom de Rault ou
Rheault. Il se peut aussi qu'il soit venu de France 100 ans plus tard qu'Alexandre,
il existe de nos jours encore plusieurs Raoul dans la région de
Saint-Onge en France.
Quelques mots sur l'histoire de Trois-Rivières
Avant que Laviolette ne vint, en 1634, construire
une fortification sur le Platon, le site de Trois-Rivières était
déjà fréquenté par diverses tribus d'Amérindiens.
Élevée pour protéger le commerce des fourrures, la
palissade servit de rempart contre les assauts iroquois. Elle marquait
également le point le plus à l'ouest de la colonisation européenne
dans la vallée du Saint-Laurent.
Plaque tournante du commerce des fourrures au temps de
la colonie, la région table toujours sur sa localisation géographique
enviable.
En 1663, Trois-Rivières devint le chef-lieu d'un
des trois gouvernements de la Nouvelle-France, ce qui favorisa la formation
d'une élite remplissant des charges administratives, militaires
et judiciaires. Toutefois, la lenteur du peuplement fit que, cent ans plus
tard, à l'époque de l'occupation militaire anglaise (1760-1764),
le gros village de Trois-Rivières rassemblait moins de 1000 habitants.
Le XVIIIe siècle ne se termina pas sans une autre
occupation militaire, américaine cette fois. En effet, l'armée
d'invasion qui, en 1775, marchait sur Québec, utilisa Trois-Rivières
comme poste de relais. Au mois de mai 1776, les Américains, battus,
quittèrent la région.
Sous le régime français, la diversité
culturelle de Trois-Rivières connaît de modestes débuts,
en particulier avec l'arrivée du gouverneur Crisafy et du père
Bressani, tous deux italiens. Une communauté anglophone se développe
à partir de 1760 et l'un de ses plus remarquables représentants
est Aaron Hart, premier Juif au Canada et père de Ezékiel
Hart, premier député d'origine juive dans l'Empire britannique.
Quelques familles écossaises marquent l'histoire des Forges du St-Maurice,
pendant que des Allemands et des Suisses nous arrivent avec les garnisons
britanniques lors des guerres de 1775 et 1812.
En 1851, Trois-Rivières comptait quelque 5000 habitants.
Enclave dans le monde rural, la ville avait largement profité de
l'exploitation commerciale de la forêt mauricienne qui commença
dès 1825. Une nouvelle impulsion allait être donnée
par l'aménagement de la tumultueuse rivière Saint-Maurice.
Les entrepreneurs forestiers y installèrent des glissoires et des
estacades pour faciliter le flottage du bois.
Les nouveaux venus du vingtième siècle sont
d'abord des Libanais et des Syriens, qui œuvrent dans le commerce et dans
l'immobilier et qui précèdent d'autres immigrants, venus
surtout de l'Europe du sud, du Maghreb et de l'Extrême-Orient. La
diversité culturelle de Trois-Rivières connaît un nouvel
essor avec l'ouverture de l'Université du Québec à
Trois-Rivières, qui attire depuis 1969 des professeurs, des chercheurs
et des étudiants étrangers, particulièrement africains.