Là où le culte rendu à Dieu se résume à un devoir accompli de façon
désintéressé, il cesse du même coup d'être un culte. L'adoration est
une fête. Ni Dieu ni ma femme ne seront honorés si je célèbre les
meilleurs moments de notre relation par devoir. Ils le sont en
revanche, lorsque je prends plaisir à le faire. C'est pourquoi, pour
rendre Dieu un culte qui l'honore, je ne dois pas chercher sa face
d'une manière désintéressée, par crainte d'éprouver de la joie dans ma
célébration de son nom et de compromettre la valeur morale de mon acte.
Je dois au contraire rechercher sa présence de façon hédoniste, avec
l'ardeur d'une biche qui soupire après un courant d'eau, en vue de la
joie que me procureront sa contemplation et sa communion. L'adoration
n'est pas autre chose que l'obéissance au commandement divin : "Fais de
l'Éternel tes délices".
L'excès de vertu peut parfois étouffer l'esprit d'adoration.
Celui qui pressent confusément que de triompher de l'intérêt personnel
est toujours une vertu et que la recherche du plaisir est par contre un
vice, sera difficilement capable d'adorer. Car l'adoration est
l'activité la plus hédoniste de la vie: elle ne doit pas être gâchée
par la moindre pensée de désintéressement de soi. L'obstacle majeur à
l'adoration n'est pas le fait que nous soyons des gens avides de
plaisirs, mais que nous nous contentions de plaisirs si médiocres.
C'est ce qu'exprime le prophète Jérémie : Jé.2:11 Y a-t-il une nation qui change ses dieux,
Quoiqu'ils ne soient pas des Dieux? Et mon peuple a changé sa gloire
contre ce qui n'est d'aucun secours!
12 Cieux, soyez étonnés de cela; frémissez d'épouvante et d'horreur!
dit l'Eternel.
13 Car mon peuple a commis un double péché: ils m'ont abandonné, moi
qui suis une source d'eau vive, pour se creuser des citernes, des
citernes crevassées, qui ne retiennent pas l'eau.
Les cieux sont désolés et frémissent lorsque les gens abdiquent si
rapidement dans leur quête de plaisir et se contentent de citernes
crevassées.
Dans mon cheminement vers l'hédonisme chrétien, j'ai été
particulièrement interpellé par un sermon prêché par C.S. Lewis en 1941
:
S'il se cache dans les recoins de la plupart des esprits
modernes l'idée que le désir de notre propre bonheur et l'espoir de sa
jouissance sont coupables, je crois qu'une telle notion est imputable à
Kant et aux stoïciens, car elle est étrangère à la foi chrétienne. En
fait, si nous considérons les promesses extraordinaires de récompenses
et la nature exceptionnelle des récompenses promises dans les
Évangiles, nous pourrions penser que notre Seigneur juge nos désirs non
pas trop audacieux, mais plutôt trop modestes. Nous sommes des
créatures qui se contentent du médiocre, qui courent après la boisson,
le sexe et la gloriole, alors que des joies infiniment plus élevées
leur sont offertes. Nous ressemblons à un enfant ignorant qui persiste
à vouloir trouver son bonheur en faisant des patés de boue au bord
d'une flaque d'eau et qui refuse un séjour au bord de la mer parce
qu'il n'a pas la moindre idée de ce qu'est une plage. Nous nous
satisfaisons à bon compte, trop facilement.
Voilà qui est clair !
- John Piper - Prendre plaisir en Dieu "Réflections d'un hédoniste chrétien" P.69-71