Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme,
devrait bien nous convaincre de notre impuissance d'arriver au bien par
nos efforts; mais l'exemple nous instruit peu. Il n'est jamais si parfaitement
semblable, qu'il y ait quelque délicate différence; et c'est
de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue
en cette occasion comme en l'autre. Et ainsi, le présent ne nous
satisfaisant jamais, l'expérience nous pipe, et de malheur en malheur,
nous mène jusqu'à la mort, qui en est un comble éternel.
Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance,
sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur,
dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et
qu'il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, recherchant
des choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes,
mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut
être rempli que par un objet infini et immuable, c.à.d. que
par Dieu même?
Lui seul est son véritable bien; et depuis qu'il
l'a quitté c'est une chose étrange, qu'il n'y a rien dans
la nature qui n'ait été capable de lui tenir en place.
Les uns le cherchent dans l'autorité, les autres
dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés.
D'autres, qui en ont en effet plus approché, ont considéré
qu'il est nécessaire que le bien universel, que tous les hommes
désirent, ne soit dans aucune des choses particulières qui
ne peuvent être possédées que par un seul, et qui,
étant partagées, affligent plus leur possesseur, par le manque
de la partie qu'il n'a pas, qu'elles ne le contentent par la jouissance
de celle qui lui appartient. il sont compris que le vrai bien devrait être
tel que tous puissent le posséder à la fois, sans diminution,
et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré.
Pascal, Blaise, 427
L'homme ne sait à quel rang se mettre. Il est visiblement
égaré, et tombé de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver.
Il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans
des ténèbres impénétrables.
Pascal, Blaise, 429
Bassesse de l'homme, jusques à se soumettre aux
bêtes, jusques à les adorer.
Pascal, Blaise, 430 A.P.R. Commencement après
avoir expliqué l'incompréhensibilité.
(Brunschvicg: A Port-Royal. Ce fragment a été
écrit en vue d'une conférence que Pascal fit à Port-Royal,
sans doute celle où il expose le plan de l'ouvrage, et don Filleau
de la Chaise et Étienne Périer nous ont conservé le
souvenir.)
Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement
visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion
nous enseigne et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme,
et qu'il y a un grand principe de misère. Il faut donc qu'elle nous
rende raison des ces étonnantes contrariétés.
Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle lui montre
qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé de l'aimer, que notre unique
félicité est d'être en lui, et notre unique mal d'être
séparé de lui; qu'elle reconnaisse que nous sommes pleins
de ténèbres qui nous empêchent de le connaître
et de l'aimer; et qu'ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et
nos concupiscences nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice.
Il faut qu'elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à
Dieu et à notre propre bien. Il faut qu'elle nous enseigne les remèdes
à ces impuissances, et les moyens d'obtenir ces remèdes.
Qu'on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il
y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.
Sera-ce les philosophes, qui nous proposent pour tout
bien les biens qui sont en nous? Est-ce là le vrai bien? Ont-ils
trouvé le remède à nos maux? Est-ce avoir guéri
la présomption de l'homme que de l'avoir mis à l'égal
de Dieu? Ceux qui nous ont égalés aux bêtes, et les
mahométans qui nous ont donné les plaisirs de la terre pour
tout bien, même dans l'éternité, ont-ils apporté
le remède à nos concupiscences? Quelle religion enseignera
donc à guérir l'orgueil et la concupiscence?
C'est en vain , ô hommes, que vous cherchez dans
vous-mêmes le remède à vos misères. Les philosophes
vous l'ont promis, et ils n'ont pu le faire. Ils ne savent quel est votre
véritable bien, ni quel est votre véritable état.
Vos maladies principales sont l'orgueil, qui vous soustrait de Dieu, la
concupiscence qui vous attache à la terre; et ils n'ont fait autre
chose qu'entretenir au moins l'une de ces maladies.
Si on vous unit à Dieu, c'est par grâce,
non par nature. Si on vous abaisse, c'est par pénitence, non par
nature.
Vous n'êtes pas dans l'état de votre création.
- «Incroyable que Dieu s'unisse à nous»
- Cette considération n'est tirée que de la vue de notre
bassesse. Nous sommes en effet si bas que nous sommes par nous-mêmes
incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous
rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d'où cet animal qui
se reconnaît si faible, a le droit de mesurer la miséricorde
de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère.
Il sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce qu'il est lui-même;
et tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire
que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication.
Ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne
pouvons l'apprendre que de Dieu.
Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut à
ceux qui le cherchaient. Mais les hommes s'en rendent si indignes qu'il
est juste que Dieu refuse à quelques uns, à cause de leur
endurcissement, ce qu'il accorde aux autres par une miséricorde
qui ne leur est pas due.
Il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils
ne veulent pas. Il n'était donc pas juste qu'il parût d'une
manière manifestement divine, et absolument capable de convaincre
tous les hommes; mais il n'était pas juste aussi qu'il vînt
d'une manière si cachée, qu'il ne pût être reconnu
de ceux qui le cherchaient sincèrement. il a voulu se rendre parfaitement
connaissable à ceux-là; et ainsi, voulant paraître
à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur coeur,
et caché à ceux qui le fuient de tout leur coeur, il tempère
sa connaissance, en sorte qu'il a donné des marques de soi visibles
à ceux qui le cherchent, et non à ceux qui ne le cherchent
pas. il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que
voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire.
Pascal, Blaise, 432
Le pyrrhonisme est le vrai. Car, après tout, les
hommes avant Jésus-Christ, ne savaient pas où ils en étaient,
ni s'ils étaient grands ou petits. Ac.17:23
Pascal, Blaise, 433
Il faut, pour faire qu'une religion soit vraie, qu'elle
ait connu notre nature. Elle doit avoir connu la grandeur et la petitesse,
et la raison de l'une et de l'autre. Qui l'a connue, que la chrétienne?
Pascal, Blaise, 434
Les principales forces des pyrrhoniens - je laisse les
moindres - sont: Que nous n'avons aucune certitude de la vérité
de ces principes, hors la foi et la révélation, sinon en
ce que nous les sentons naturellement.
Je m'arrête à l'unique fort des dogmatistes,
qui est qu'en parlant de bonne foi et sincèrement, on ne peut douter
des principes naturels. Contre quoi les pyrrhoniens opposent en un mot
l'incertitude de notre origine, qui enferme celle de notre nature; à
quoi les dogmatistes sont encore à répondre depuis que le
monde dure.
Voilà la guerre ouverte entre les hommes, où
il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement ou au
dogmatisme, ou au pyrrhonisme. Car qui pensera demeurer neutre sera pyrrhonien
par excellence.
Quelle chimère est-ce donc que l'homme? Quelle
nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction,
quel prodige! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre; dépositaire
du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers.
Qui démêlera cet embrouillement? La nature
confond les pyrrhoniens, et la raison confond les dogmatiques.
Que deviendrez--vous donc, ô hommes qui cherchez
votre véritable condition par votre raison naturelle?
Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes
à vous-même. Humiliez-vous, raison impuissante; taisez-vous,
nature imbécile: apprenez que l'homme passe infiniment l'homme,
et entendez de votre maître votre condition véritable que
vous ignorez. Écoutez Dieu.
Car enfin, si l'homme n'avait jamais été
corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité
et de la félicité avec assurance; et si l'homme n'avait jamais
été que corrompu, il n'aurait aucune idée ni de la
vérité ni de la béatitude.
Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s'il n'y
avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée
du bonheur, et ne pouvons y arriver; nous sentons une image de la vérité,
et ne possédons que le mensonge; incapables d'ignorer absolument
et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été
dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus!
Concevons donc que la condition de l'homme est double.
Concevons donc que l'homme passe infiniment l'homme et qu'il est inconcevable
à lui-même sans le secours de la foi.
Chose étonnante, cependant, que le mystère
le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la
transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous
ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes!
Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus
notre raison que de dire que le péché du premier homme ait
rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette
source, semblent incapables d'y participer.
Cet écoulement ne nous paraît pas seulement
impossible, il nous semble même très injuste; car qu'y a-t-il
de plus contraire aux règles de notre misérable justice que
de damner éternellement un enfant incapable de volonté, pour
un péché où il paraît avoir si peu de part,
qu'il est commis 6000 avant qu'il fût en être?
Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette
doctrine; et cependant! sans ce mystère, le plus incompréhensibles
de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes.
Le noeud de notre condition prend ses plis dans cet abîme;
de sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce
mystère n'est inconcevable.
D'où il paraît que Dieu, voulant rendre la
difficulté de notre être inintelligible à nous-mêmes,
en a caché le noeud si haut, ou, pour mieux dire, si bas, que nous
étions bien incapables d'y arriver; de sorte que ce n'est pas par
les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission
de la raison, que nous pouvons véritablement nous connaître.
Ces fondements, solidement établis sur l'autorité
inviolable de la religion, nous font connaître qu'il y a deux vérités
de foi constantes: l'une, que l'homme dans l'état de la création
ou dans celui de la grâce est élevé au-dessus de toute
la nature, rendu semblable à Dieu, et participant de sa divinité,
l'autre qu'en l'état de la corruption et du péché,
il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes.
Ces deux propositions sont également fermes et
certaines. L'Écriture nous le déclare manifestement, lorsqu'elle
dit en quelques lieux: Deliciæ meæ esse cum filiis hominum.
Mes délices sont d'être avec les enfants des hommes Pr.8:31
Effundam spiritum meum super omnen carnem. Je répandrai mon esprit
sur toute chair Jo.2:28, Dii estis. Vous êtes des dieux Ps.82:6 Omnis
caro foenum. Toute chair est une herbe pourrie Es.40:6 Homo assimilatus
est jumentis insipientibus, et similis factus est illis. L'homme s'est
comparé aux bêtes sans pensées, et est devenu
leur semblable. Ps.47:13, 21 Dixi in corde meo de filiis hominum j'ai dit
dans mon coeur des fils des hommes Ec.3:18
Par où il paraît clairement que l'homme,
par la grâce est rendu comme semblable à Dieu et participant
de sa divinité, et que sans la grâce il est comme semblable
aux bêtes brutes.
Pascal, Blaise, 435
Sans ces divines connaissances, qu'ont pu faire les hommes,
sinon, ou s'élever dans le sentiment intérieur qui leur reste
de leur grandeur passée, ou s'abatte dans la vue de leur faiblesse
présente?
Car en ne voyant pas la vérité entière,
ils n'ont pu arriver à une parfaite vertu. Les uns considèrent
la nature comme incorrompue, les autres comme irréparable.
La seule religion chrétienne a pu guérir
ces deux vices, non pas en chassant l'un par l'autre, par la sagesse de
la terre, mais en chassant l'un et l'autre, par la simplicité de
l'Évangile.
Car elle apprend aux justes, qu'elle élève
jusqu'à la participation de la divinité même, qu'en
ce sublime état ils portent encore la source de toute la corruption,
qui les rend durant toute la vie sujets à l'erreur, à la
misère, à la mort, au péché; et elle crie aux
plus impies qu'ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur.
Ainsi, donnant à trembler à ceux qu'elle
justifie, et consolant ceux qu'elle condamne, elle tempère avec
tant de justesse la crainte avec l'espérance, par cette double capacité
qui est commune à tous et de la grâce et du péché,
qu'elle abaisse infiniment plus que la seule raison peut le faire, mais
sans désespérer, et qu'elle élève infiniment
plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler: faisant bien voir par
là qu'étant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient
qu'à elle d'instruire et de corriger les hommes.
Qui peut donc refuser à ces célestes lumières
de les croire et de les adorer?
Pascal, Blaise, 437
Nous souhaitons la vérité, et ne trouvons
en nous qu'incertitude.
Nous cherchons le bonheur, et ne trouvons que misère
et mort.
Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité
et le bonheur, et sommes incapable ni de certitude ni de bonheur. Ce désir
nous est laissé, tant pour nous punir, que pour nous faire sentir
d'où nous sommes tombés.
Pascal, Blaise, 438
Si l'homme n'est pas fait pour Dieu, pourquoi n'est-il
heureux qu'en Dieu? Si l'homme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire
à Dieu?
Pascal, Blaise, 441
Pour moi, j'avoue aussitôt que la religion chrétienne
découvre ce principe, que la nature des hommes est corrompue et
déchue de Dieu.
Pascal, Blaise, 443 Grandeur, misère.
A mesure qu'on a plus de lumière, on découvre
plus de grandeur et plus de bassesse dans l'homme. Le commun des hommes
- ceux qui sont plus élevés: les philosophes, ils étonnent
le commun des hommes - les chrétiens, ils étonnent les philosophes.
Qui s'étonnera donc de voir que la religion ne
fait que connaître à fond ce qu'on reconnaît d'autant
plus qu'on a plus de lumière?
Pascal, Blaise, 444
Ce que les hommes, par leurs grandes lumières,
avaient pu connaître, cette religion l'enseignait à ses enfants.
Pascal, Blaise, 445
Le péché originel est folie devant les hommes.
Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapientus
est hominibus 1Co.1:25. Car, sans cela, que dira-t-on qu'est l'homme? Tout
son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s'en
fût-il aperçu par sa raison, puisque c'est une chose contre
la raison, et que sa raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en
éloigne quand on le lui présente?
Le webmestre: Ceci démontre qu'aucun homme n'aurait
pu inventer pareille doctrine que celle du péché originel,
celle-ci allant à l'encontre de la raison la plus fondamentale et
étant une folie pour l'homme.
Pascal, Blaise, 448
Miton voit bien que la nature est corrompue, et que les
hommes sont contraires à l'honnêteté; mais il ne sait
pas pourquoi ils ne peuvent voler plus haut.
Pascal, Blaise, 450
Que peut-on avoir, que de l'Estime pour une religion qui
connaît si bien les défauts de l'homme, et que du désir
pour la vérité d'une religion qui promet des remèdes
si souhaitables?
Pascal, Blaise, 455
En un mot, le moi a deux qualités: il est injuste
en soi, en ce qu'il se fait le centre de tout; il est incommode aux autres,
en ce qu'il veut les asservir: car chaque moi est l'ennemi et voudrait
être le tyran de tous les autres.
Pascal, Blaise, 458
«Tout ce qui est au monde est concupiscence de la
chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie: libido sentiendi,
libido sciendi, libido dominandi» 1Jn.2:15.
Malheureuse la terre de malédiction que ces trois
fleuves de feu embrasent plutôt qu'ils n'arrosent!
Heureux ceux qui, étant sur ces fleuves, non pas
plongés, non pas entraînés, mais immobiles, mais affermis
sur ces fleuves, tendent la main à celui qui les doit élever,
pour les faire tenir debout et fermes dans les porches de la sainte Hiérusalem,
où l'orgueil ne pourra plus les combattre et les abattre; et qui
cependant pleurent non pas de voir écouler toutes les choses périssables
que les torrents entraînent, mais dans le souvenir dans leur chère
patrie, de la Hiérusalem céleste, dont ils se souviennent
sans cesse dans la longueur de leur exil!
Pascal, Blaise, 459
Les fleuves de Babylone coulent, et tombent et entraînent.
O sainte Sion, où tout est stable et où rien ne tombe!
Pascal, Blaise, 460
Dieu doit régner sur tout et tout se rapporter
à lui.
Pascal, Blaise, 464 Philosophes.
Nous sommes pleins de choses qui nous jettent au dehors.
Notre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher notre
bonheur hors de nous. Nos passions nous poussent dehors, quand même
les objets ne s'offriraient pas pour les exciter. Les objets du dehors
nous tentent d'eux-mêmes et nous appellent, quand même nous
n'y pensons pas. Et ainsi les philosophes ont beau dire: «Rentrez
en vous-mêmes, vous y trouverez votre bien» on ne les croit
pas et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots.
Pascal, Blaise, 465
Les Stoïques disent: «Rentrez au dedans de
vous-mêmes; c'est là que vous trouverez le repos.» et
cela n'est pas vrai.
Les autres disent: «Sortez en dehors: recherchez
le bonheur en vous divertissant.» Et cela n'est pas vrai. Les maladies
viennent.
Le bonheur n'est ni hors de nous, ni dans nous; il est
en Dieu, et hors et dans nous.
Pascal, Blaise, 466
Quand Épictète aurait vu parfaitement bien
le chemin, il dit aux hommes: «Vous en suivez un faux»; il
montre que c'en est un autre, mais il n'y mène pas. C'est celui
de vouloir ce que Dieu veut; Jésus-Christ seul y mène: Via
veritas Jn.14:6
Pascal, Blaise, 469
Je sens que je puis n'avoir point été, car
le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurais point
été, si ma mère eût été tuée
avant que j'eusse été animé; donc je ne suis pas un
être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel, ni infini;
mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire,
éternel et infini.
Pascal, Blaise, 470
«Si j'avais vu un miracle, disent-ils, je me convertirais».
Comment assurent-ils qu'ils feraient ce qu'ils ignorent?
Ils s'imaginent que cette conversion consiste en une adoration qui se fait
de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu'ils se la figurent.
La conversion véritable consiste à s'anéantir
devant cet être universel qu'on a irrité tant de fois, ce
qui peut vous perdre légitimement à toute heure; à
reconnaître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on a mérité
rien de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connaître
qu'il y a une opposition invincible entre Dieu et nous, et que, sans un
médiateur, il ne peut y avoir de commerce.
Pascal, Blaise, 471
Il est injuste qu'on s'attache à moi, quoiqu'on
le fasse avec plaisir et volontairement, Je tromperais ceux à qui
je ferais naître le désir, car je ne suis la fin de personne
et n'ai pas de quoi les satisfaire. ne suis-je pas prêt à
mourir? Et ainsi l'objet de leur attachement mourra.
Donc je serais coupable de faire croire une fausseté,
quoique je la persuadasse doucement, et qu'on la crût avec plaisir,
et qu'en cela on me fit plaisir, de même, je suis coupable de me
faire aimer.
Et si j'attire les gens à s'attacher à moi,
je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge,
qu'ils ne le doivent pas croire, quelque avantage m'en revînt, et
de même, qu'ils ne doivent pas s'attacher à moi; car il faut
qu'ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu, ou
à le chercher.
Pascal, Blaise, 472
La volonté propre ne satisfera jamais, quand elle
aurait le pouvoir de tout ce qu'elle veut; mais on est satisfait dès
l'instant qu'on y renonce. Sans elle, on ne peut être malcontent;
par elle, on ne peut être content.
Pascal, Blaise, 473
Qu'on s'imagine un corps plein de membres pensants, 1Co.12.
Pascal, Blaise, 475
Si les pieds et les mains avaient une volonté particulière,
jamais ils ne seraient dans leur ordre qu'en soumettant cette volonté
particulière à la volonté première qui gouverne
le corps entier. Hors de là, ils sont dans le désordre et
dans le malheur; mais en ne voulant que le bien du corps, ils font leur
propre bien.
Pascal, Blaise, 476
Il faut n'aimer que Dieu et n'haïr que soi.
Pascal, Blaise, 477
La pente vers soi est le commencement de tout désordre,
en guerre, en police, en économie, dans le corps particulier de
l'homme. La volonté est donc dépravée. Nous naissons
donc injustes et dépravés.
Pascal, Blaise, 478
Quand nous voulons penser à Dieu, n'y a-t-il rien
qui nous détourne, nous tente de penser ailleurs? Tout cela est
mauvais et né avec nous.
Pascal, Blaise, 479
S'il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui, et non les
créatures passagères. Le raisonnement des impies n'est fondé
que s'il n'y a point de Dieu. «Venez donc et jouissons des biens
qui existent et usons de la créature comme il convient dans la jeunesse,
rapidement. Sag.2:6»
C'est le pis aller. Mais s'il y avait un Dieu à
aimer, ils n'auraient pas conclu cela, mais bien le contraire. Et c'est
la conclusion des sages: «Il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des
créatures.»
Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux
créatures est mauvais, puisque cela nous empêche, ou de servir
Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher, si nous l'ignorons.
Pascal, Blaise, 480
Pour faire que les membres soient heureux, il faut qu'ils
aient une volonté et qu'ils la conforment au corps.
Pascal, Blaise, 481
Les exemples de morts généreuses des Lacédémoniens
et autres ne nous touchent guère. Car qu'est-ce que cela nous apporte?
Mais l'exemple de la mort des martyrs nous touche; car ce sont «nos
membres Ro.12:5» Nous avons un lien commun avec eux: leur résolution
peut former la nôtre, non seulement par l'exemple, mais parce qu'elle
a peut-être mérité la notre. Il n'est rien de cela
aux exemples des païens: nous n'avons point de liaison à eux;
comme on ne devient pas riche pour voir un étranger qui l'est; mais
bien pour voir son père ou son mari qui le soient.
Pascal, Blaise, 483
Être membre, est n'avoir de vie, d'être et
de mouvement que pas l'esprit du corps et pour le corps.
Le membre séparé, ne voyant plus le corps
auquel il appartient, n'a plus qu'être périssant et mourant.
Cependant il croit être un tout, et ne se voyant point de corps dont
il dépende, il croit ne dépendre que de soi, et veut se faire
centre et corps lui-même. Mais n'ayant point en soi de principe de
vie, il ne fait que s'égarer, et s'étonne de l'incertitude
de son être, sentant bien qu'il n'est pas corps, et cependant ne
voyant point qu'il soit membre d'un corps. Enfin, quand il vient à
se connaître, il est comme revenu chez soi, et ne s'aime plus que
pour le corps. Il plaint ses égarements passés.
En aimant le corps, il s'aime soi-même, parce qu'il
n'a d'être qu'en lui, par lui et pour lui 1Co.6:17.
On s'aime parce qu'on est membre de Jésus-Christ.
On aime Jésus-Christ, parce qu'il est le corps dont on est membre.
Tout est un, l'un est en l'autre, comme les trois Personnes.
Pascal, Blaise, 485
Nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut
aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous, or il n'y
a que l'Être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous
Lu.17:29: le bien universel est en nous, est nous-mêmes, et n'est
pas nous.
Pascal, Blaise, 487
Toute religion est fausse, qui dans sa foi, n'adore pas
un Dieu comme principe de toutes choses, et qui, dans sa morale, n'aime
pas un seul Dieu comme objet de toutes choses.
Pascal, Blaise, 488
Il est impossible que Dieu soit jamais la fin, s'il n'est
principe.
Brunschvicg: Énonciation du principe janséniste:
la grâce seule donne la charité, ou amour de Dieu.
Pascal, Blaise, 489
S'il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout,
tout par lui, tout pour lui. Il faut donc que la vraie religion nous enseigne
à n'adorer que lui et à n'aimer que lui.
Elle nous apprend que, par un homme, tout a été
perdu, et la liaison rompue entre Dieu et nous, et que, par un homme, la
liaison est réparée.
Pascal, Blaise, 490
Les hommes, n'ayant pas accoutumé de former le
mérite, mais seulement le récompenser où ils le trouvent
formé, jugent de Dieu par eux-mêmes.
Brunschvicg: Cela signifie sans doute que les hommes considèrent
la justice divine comme devant donner une sanction des actions humaines,
proportionnellement au mérite de chacun. Mais la justice de Dieu
consiste à former le mérite, c.à.d. à accorder
la grâce qui entraînera le salut. Elle s'exerce non pas postérieurement,
mais antérieurement à notre existence; elle n'est pas distributive
et régulatrice; elle est créatrice et constitutive.
Pascal, Blaise, 491
Dans nulle religion on ne demande à Dieu de nous
donner le pouvoir de l'aimer et de le suivre.
Pascal, Blaise, 492
Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui
le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé.
Pascal, Blaise, 495
Si c'est un aveuglement surnaturel de vivre sans chercher
ce qu'on est, c'en est un terrible de vivre mal, en croyant Dieu.
Pascal, Blaise, 496
L'expérience nous fait voir une différence
énorme entre la dévotion et la bonté.
Pascal, Blaise, 498
Il est vrai qu'il y a de la peine, en entrant dans la
piété. Mais cette peine ne vient pas de la piété
qui commence d'être en nous, mais de l'impiété qui
y est encore. Si nos sens ne s'opposaient pas à la pénitence,
et que notre corruption ne s'opposât pas à la pureté
de Dieu, il n'y aurait en cela rien de pénible pour nous.
Nous souffrons qu'à proportion que le vice, qui
nous est naturel, résiste à la grâce surnaturelle;
notre coeur se sent déchiré entre des efforts contraires;
mais il serait bien injuste d'imputer cette violence à Dieu qui
nous attire, au lieu de l'attribuer au monde qui nous retient.
C'est comme un enfant, que sa mère arrache d'entre
les bras des voleurs, doit aimer, dans la peine qu'il souffre, la violence
amoureuse et légitime de celle qui procure sa liberté, et
ne détester que la violence injurieuse et tyrannique de ceux qui
le retiennent injustement.
La plus cruelle guerre que Dieu puisse faire aux hommes
en cette vie est de les laisser Ro.1:24 sans cette guerre qu'il est venu
apporter. «Je suis venu apporter la guerre» Mt.10:34, dit-il,
et, pour instrument de cette guerre: «Je suis venu apporter le fer
et le feu» Lu.12:49. Avant lui, le monde vivait dans cette fausse
paix.
Pascal, Blaise, 499
Oeuvres extérieures. Il n'y a rien de si périlleux
que ce qui plaît à Dieu et aux hommes; car les états
qui plaisent à Dieu et aux hommes ont une chose qui plaît
à Dieu et une autres qui plaît aux hommes; comme la grandeur
de sainte Thérèse: ce qui plaît à Dieu est sa
profonde humilité dans ses révélations; ce qui plaît
aux hommes sont ses lumières.
Et ainsi on se tue d'imiter ses discours, pensant imiter
son état; et pas tant d'aimer ce que Dieu aime, et de se mettre
en l'état que Dieu aime.
Il veut mieux ne pas jeûner et en être humilié,
que jeûner et en être complaisant. Pharisien, publicain Lu.18:9-14.
Dieu peut du mal tirer le bien, sans Dieu on tire le mal
du bien.
Pascal, Blaise, 504
Le juste agit par foi dans les moindres choses.
Brunschvicg: Le juste vit de la foi: il n'espère
rien de son action propre, c'est à l'esprit de Dieu qu'il s'en remet
d'agir.
Pascal, Blaise, 507
Les mouvements de grâce, la dureté du coeur;
les circonstances extérieures.
Brunschvicg: Toute âme chrétienne est partagée
entre les mouvements de grâce qu'elle reçoit de Dieu, par
les mérites du Rédempteur, et la dureté de coeur,
inhérente à la nature corrompue; les circonstances extérieures
interviennent, qui sont le témoignage de la Providence divine, et
qui sont souvent décisives. (Dans la vie de Pascal, l'accident d'Étienne
Pascal qui amena la conversion de toute la famille était interprété
comme dû à la Providence).
Pascal, Blaise, 508
Pour faire d'un homme un saint, il faut bien que ce soit
la grâce, et qui en doute ne sait ce que c'est que saint et qu'homme.
Pascal, Blaise, 509 Philosophes
La belle chose de crier à un homme qui ne se connaît
pas, qu'il aille de lui-même à Dieu! Et la belle chose de
le dire à un homme qui se connaît!
Pascal, Blaise, 510
L'homme n'est pas digne de Dieu, mais il n'est pas incapable
d'en être rendu digne. Il est indigne de Dieu de se joindre à
l'homme misérable; mais il n'est pas indigne de Dieu de le tirer
de sa misère.
Pascal, Blaise, 511
Si l'on veut dire que l'homme est trop peu pour mériter
la communion avec Dieu, il faut être bien grand pour en juger.
Pascal, Blaise, 513
Pourquoi Dieu a établi la prière.
1° Pour communiquer à ses créatures
la dignité de la causalité.
2° Pour nous apprendre de qui nous tenons la vertu.
3° Pour nous faire mériter les autres vertus
par travail.
Mais, pour se conserver la prééminence,
il donne la prière à qui il lui plaît.
Objection: Mais on croira qu'on tient la prière
de soi. Cela est absurde; car, puisque, ayant la foi, on ne peut pas avoir
les vertus, comment aurait-on la foi? Y a-t-il pas plus de distance de
l'infidélité à la foi que de la foi à la vertu?
Mérité ce mot est ambigu.
Brunschvicg: L'homme a mérité le Rédempteur;
mais il y a ambiguïté, car il pourrait se rapporter ce mérite
alors qu'il s'agit uniquement des mérites de Jésus-Christ.
Pascal, Blaise, 513
Dieu ne doit que suivant ses promesses. Il a promis d'accorder
la justice aux prières Mt.7:7, jamais il n'a promis les prières
qu'aux enfants de la promesse Ro.9:8.
Augustin nous a dit formellement que les forces seront
ôtées au juste.
Brunschvicg: Ce qui montre que le juste ne tient pas de
soi le mérite.
Pascal, Blaise, 514
Opérez votre salut avec crainte.
Pascal, Blaise, 515
Les élus ignoreront leurs vertus, et les réprouvés
la grandeur de leurs crimes: «Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir
faim, soif, etc.?» Mt.25:37
Pascal, Blaise, 516
Ro.3:27 Gloire exclue: par quelle loi? des oeuvres? non,
mais par la foi. Donc la foi. Donc la foi n'est pas en notre puissance
comme les oeuvres de la loi, et elle nous est donnée d'une autre
manière.
Pascal, Blaise, 517
Consolez-vous: ce n'est pas de vous que vous devez l'attendre,
mais au contraire, en n'attendant rien de vous, que vous devez l'attendre
Brunschvicg: Attendre la grâce; c'est en ne comptant
plus sur soi, en se remettant entièrement à Dieu, qu'on l'obtient.
Pascal, Blaise, 518
Toute condition et même les martyrs ont à
craindre, par l'Écriture. La peine du purgatoire la plus grande
est l'incertitude du jugement. Deus absconditus. (Dieu caché).
Pascal, Blaise, 519
Jn.8:31-36 Il y a bien de la différence les disciples
et les vrais disciples. On les reconnaît en leur disant que la vérité
les rendra libres; car s'ils répondent qu'ils sont libres et qu'il
est en eux de sortir de l'esclavage du diable, ils sont bien disciples,
mais pas de vrais disciples.
Brunschvicg: Croire qu'il est en soi de réaliser
la parole de Jésus, c'est croire à la parole du Rédempteur,
et se soustraire à son action, c'est être à la fois
disciple et infidèle.
Pascal, Blaise, 520
La loi n'a pas détruit la nature; mais elle l'a
instruite. La grâce n'a pas détruit la loi; mais elle la fait
exercer. La foi reçue au baptême est la source de toute la
vie des chrétiens et des convertis.
Brunschvicg: Ro.3:31 «La loi est venue avant le
médecin, pour que le malade qui se croyait en bonne santé,
se reconnût malade. La grâce nous fait aimer la loi;
mais la loi elle-même sans la grâce ne fait de nous que des
pécheurs. L'amour est l'accomplissement de la loi.» - Jansénius
Pascal, Blaise, 521
La grâce sera toujours dans le monde - et aussi
la nature - de sorte qu'elle est en quelque sorte naturelle.
Pascal, Blaise, 522
La loi obligeait à ce qu'elle ne donnait pas.
Brunschvicg: «La loi n'a pas été donnée
avec le pouvoir de vivifier, mais pour montrer aux pécheurs leurs
péchés, la loi fait le péché.» - Jansénius
Pascal, Blaise, 522
La grâce donne ce à quoi elle oblige.
Brunschvicg: La grâce fait que, non seulement nous
voulions, mais encore que nous puissions bien faire.
Pascal, Blaise, 523
Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam;
et toute la morale en la concupiscence et en la grâce.
Pascal, Blaise, 524
Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme
que celle-là, qui l'instruit de sa double capacité de recevoir
et de perdre la grâce, à cause du double péril auquel
il est exposé, de désespoir ou d'orgueil.
Pascal, Blaise, 525
Les philosophes ne prescrivaient point de sentiments proportionnés
aux deux états. Ils inspiraient des mouvements de grandeur pure,
et ce n'était pas l'état de l'homme. Ils inspiraient des
mouvements de bassesse pure, et ce n'était pas l'état de
l'homme.
Il faut des mouvements de bassesses, non de nature, mais
de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur.
Il faut des mouvements de grandeur, non de mérite, mais de grâce,
et après avoir passé par la bassesse.
Pascal, Blaise, 526
La misère persuade le désespoir, l'orgueil
persuade la présomption. L'incarnation montre à l'homme la
grandeur de sa misère, par la grandeur du remède qu'il a
fallu.
Pascal, Blaise, 527
La connaissance de Dieu sans celle de sa misère
fait l'orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu
fait le désespoir. La connaissance de Jésus-Christ fait le
milieu, parce que nous y trouvons et Dieu et notre misère.
Pascal, Blaise, 528
Jésus-Christ est un Dieu dont on s'approche sans
orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans désespoir.
Pascal, Blaise, 534
Il n'y a que 2 sortes d'hommes: les uns justes, qui se
croient pécheurs; les autres pécheurs qui se croient justes.
Pascal, Blaise, 536
L'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire
qu'il est un sot, il le croit; et, à force de se le dire à
soi-même, on se le fait croire. Car l'homme fait lui seul une conversation
intérieure, qu'il importe de bien régler: 1Co15:33 les mauvaises
conversations corrompent les bonnes moeurs: corrumpunt mores bonos colloquia
prava (Vulgate).
Pascal, Blaise, 538
Le christianisme est étrange. Il ordonne à
l'homme de reconnaître qu'il est vil, et même abominable, et
lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel
contrepoids, cette élévation le rendrait horriblement vain,
ou cet abaissement le rendrait horriblement abject.
Pascal, Blaise, 541
Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable,
ni vertueux, ni aimable.
Pascal, Blaise, 542
Il n'y a que la religion chrétienne qui rende l'homme
aimable et heureux tout ensemble. Dans l'honnêteté, on ne
peut être aimable et heureux ensemble.
Brunschvicg: Car les honnêtes gens, mettant leur
plaisir dans la possession des choses individuelles, sont dans la nécessité,
ou d'en priver les autres et d'être haïssables, comme avait
d'abord écrit Pascal, ou d'en être privés et d'être
malheureux.
Pascal, Blaise, 543
Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées
du raisonnement des hommes, et si embrouillées, qu'elles frappent
peu; et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que
pendant l'instant qu'ils voient cette démonstration, mais une heure
après ils craignent de s'être trompés.
Quod curiositate cognoverunt superbia amiserunt.
C'est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire
sans Jésus-Christ, qui est de communiquer sans médiateur
avec le Dieu qu'on a connu sans médiateur. Au lieu que ceux qui
ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.
Brunschvicg: Quod curiositate invenerunt, superbia perdiderunt.
Ce «qu'ils ont trouvé par leur curiosité, ils l'ont
perdu par leur orgueil». (Augustin)
Pascal, Blaise, 544
Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui fait sentir
à l'âme qu'il est son unique bien; que tout son repos est
en lui, qu'elle n'aura de joie qu'à l'aimer; et qui lui fait en
même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l'empêchent
d'aimer Dieu de toutes ses forces. L'amour-propre et la concupiscence,
qui l'arrêtent, lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir
qu'elle a ce fonds d'amour-propre qui la perd, et que lui seul peut la
guérir.
Pascal, Blaise, 545
Jésus-Christ n'a fait autre chose qu'apprendre
aux hommes qu'ils s'aimaient eux-mêmes, qu'il étaient esclaves,
aveugles, malades, malheureux et pécheurs, qu'il fallait qu'il les
délivrât, éclairât, béatifiât et
guérît; que cela se ferait en s'haïssant soi-même,
et en le suivant par la misère et la mort de la croix.
Pascal, Blaise, 546
Sans Jésus-Christ, il faut que l'homme soit dans
le vice et dans la misère; avec Jésus-Christ, l'homme est
exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute
notre félicité. Hors de lui, il n'y a que vice, misère,
erreurs, ténèbres, mort, désespoir.
Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ.
Sans ce Médiateur, est ôtée toute communication avec
Dieu; par Jésus-Christ, nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont
prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ
n'avaient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver Jésus-Christ,
nous avons les prophéties, qui sont des preuves solides et palpables.
Et ces prophéties étant accomplies et prouvées véritable
par l'événement, marquant la certitude de ces vérités,
et partant, la preuve de la divinité de Jésus-Christ. En
lui et par lui, nous connaissons donc Dieu.
Par Jésus-Christ et en Jésus-Christ, on
prouve Dieu, et on enseigne la morale et la doctrine. Jésus-Christ
est donc le véritable Dieu des hommes.
Mais nous connaissons en même temps notre misère,
car ce Dieu-là n'est autre chose que le Réparateur de notre
misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu'en connaissant
nos iniquités. Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître
leur misère ne l'ont pas glorifié, mais s'en sont glorifiés.
1Co.1:21.
Pascal, Blaise, 548
Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ,
mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ.
Nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de
Jésus-Christ, nous ne savons pas ce que c'est ni que notre vie,
ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes.
Ainsi, sans l'Écriture, qui n'a que Jésus-Christ
pour objet, nous ne connaissons rien, et ne voyons qu'obscurité
et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.
Pascal, Blaise, 549
Il est non seulement impossible mais inutile de connaître
Dieu sans Jésus-Christ.
«Meilleur on est, pire on devient, si on attribue
à soi-même ce par quoi on est bon» - Bernard de Clairvaux
Pascal, Blaise, 550
J'aime la pauvreté, parce qu'Il l'a aimée.
J'aime les biens, parce qu'ils donnent le moyen d'en assister les misérables.
J'essaie d'être juste, véritable, sincère
et fidèle à tous les hommes; et j'ai une tendresse de coeur
pour ceux à qui Dieu m'a uni plus étroitement; et soit que
je sois seul, ou à la vue des hommes, j'ai en toutes mes actions
la vue de Dieu qui doit les juger, et à qui je les ai toutes consacrées.
Voilà quels sont mes sentiments, et je bénis
tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi, et
qui, d'un homme plein de faiblesses, de misères, de concupiscence,
d'orgueil et d'ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux par la
force de sa grâce, à laquelle toute gloire en est due, n'ayant
de moi que la misère et l'erreur.
Le webmestre: Comme dit Paul: Je suis ce que je suis par
la grâce de Dieu
1Co.15:10
Pascal, Blaise, 551
Dignior plagis quam osculis non timeo qui ame «Méritant
des coups plutôt que des baisers, je ne crains pas parce que j'aime
- Bernard de Clairvaux
Le webmestre: Comme dit Jean: l'amour parfait bannit la
crainte 1Jn.4:18
Pascal, Blaise, 552 Sépulcre de Jésus-Christ
Jésus-Christ était mort, mais vu, sur la
croix. Il est mort et caché dans le sépulcre. Jésus-Christ
n'a été enseveli que par des saints. Jésus-Christ
n'a fait aucun miracle au sépulcre. Il n'y a que des saints qui
y entrent. C'est là où Jésus-Christ prend une nouvelle
vie, non sur la croix. C'est le dernier mystère de la Passion et
de la Rédemption. (Jésus-Christ enseigne, vivant, mort, ressuscité).
Jésus-Christ n'a point eu où se reposer sur la terre qu'au
sépulcre. Ses ennemis n'ont cessé de le travailler qu'au
sépulcre.
Pascal, Blaise, 553 Le mystère de Jésus
Jésus souffre dans sa passion les tourments que
lui font les hommes; mais dans l'agonie, il souffre les tourments qu'il
se donne lui-même: turbare semetipsum Jn.11:25. C'est un supplice
d'une main non-humaine, mais toute-puissante, et il faut être tout-puissant
pour le soutenir.
Jésus cherche quelque consolation au moins dans
ses trois plus chers amis et ils dorment; il les prie de soutenir (supporter)
un peu avec lui, et ils le laissent avec une négligence entière,
ayant si peu de compassion qu'elle ne pouvait seulement les empêcher
de dormir un moment. Et Jésus était délaissé
seul à la colère de Dieu.
Jésus est dans un jardin, non de délices
comme le premier Adam, où il se perdit et tout le genre humain,
mais dans un de supplices, où il s'est sauvé et tout le genre
humain.
Jésus cherche de la compagnie et du soulagement
de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais
il n'en reçoit point, car ses disciples dorment.
Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde:
il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.
Jésus au milieu de ce délaissement universel
et de ses amis choisis pour veiller sur lui, les trouvant dormant, s'en
fâche à cause du péril où ils s'exposent, non
lui, mais eux-mêmes, et les avertit de leur propre salut et de leur
bien avec une tendresse cordiale pour eux pendant leur ingratitude, et
les avertit que l'esprit est prompt et la chair infirme. Mt.26:40-41
Jésus a prié les hommes, et n'en a pas été
exaucé.
Jésus pendant que ses disciples dormaient, a opéré
leur salut. Il l'a fait à chacun des justes pendant qu'ils dormaient,
et dans le néant avant leur naissance, et dans les péchés
depuis leur naissance.
Jésus voyant tous ses amis endormis et tous ses
ennemis vigilants, se remet tout entier à son Père.
Nous implorons la miséricorde de Dieu; non afin
qu'il nous laisse en paix dans nos vices mais afin qu'il nous en délivre.
«Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne
m'avais trouvé» (Celui-là seul peut te chercher qui
t'a déjà trouvé... Oui, on peut te chercher et te
trouver; mais on ne peut te devancer. - Bernard de Clairvaux)
«J'ai pensé à toi dans mon agonie,
j'ai versé telles gouttes de sang pour toi».
«C'est mon affaire que ta conversion; ne crains
point, et prie avec confiance comme pour moi (comme je l'ai fait)».
«Je t'aime plus ardemment que tu n'as aimé
tes souillures».
Je vois mon abîme d'orgueil, de curiosité,
de concupiscence. Il n'y a nul rapport de moi à Dieu, ni à
Jésus-Christ juste, Mais il a été fait péché
pour moi; tous vos fléaux sont tombés sur lui.
Mais il s'est guéri lui-même, et me guérira
à plus forte raison.
Il faut ajouter mes plaies aux siennes, de me joindre
à lui, et il me sauvera en se sauvant.
Ge.3:5 Tout le monde fait le dieu en jugeant: «Cela
est bon ou mauvais»; et s'affligeant ou se réjouissant trop
des événements.
Faire les petites choses comme grandes, à cause
de la majesté de Jésus-Christ qui les fait en nous, et qui
vit notre vie; et les grandes comme petites et aisées, à
cause de sa toute-puissance.
Pascal, Blaise, 554
Il me semble que Jésus-Christ ne laisse toucher
que ses plaies après sa résurrection: Jn.20:17. Il ne faut
nous unir qu'à ses souffrances.
Il s'est donné à communier comme mortel
en la Cène, comme ressuscité aux disciples d'Emmaus, comme
monté au ciel à toute l'Église.
Pascal, Blaise, 555
«Ne te compare point aux autres, mais à moi.
Si tu ne m'y trouves pas, dans ceux où tu te compares, tu te compares
à un abominable. Si tu m'y trouves, compare-t'y. Mais qu'y compareras-tu?
sera-ce toi, ou moi dans toi? Si c'est toi, c'est un abominable. Si c'est
moi, tu compares moi à moi. or je suis Dieu en tout».