Pascal, Blaise, 298
La justice sans la force est impuissante; la force sans
la justice est tyrannique.
Il faut donc mettre ensemble la justice et la force; et
pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort
soit juste.
Pascal, Blaise, 299
Sans doute, l'égalité des biens est juste;
mais, ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice,
on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force; ne pouvant
fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste
et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain
bien.
Pascal, Blaise, 300 Quand le fort armé possède
son bien, ce qu'il possède est en paix.
Pascal, Blaise, 319 Que l'on a bien fait de distinguer
les hommes par l'extérieur, plutôt que par les qualités
intérieures! Qui passera de nous deux? qui cédera sa place
à l'autre? Le moins habile? mais je suis aussi habile que lui, il
faudra se battre sur cela. Il a quatre laquais, et je n'en ai qu'un: cela
est visible; il n'y a qu'à compter; c'est à moi à
céder et je suis un sot si je conteste. Nous voilà en paix
par ce moyen; ce qui est le plus grand des biens.
Pascal, Blaise, 320 Les choses du monde les plus déraisonnables
deviennent les plus raisonnables à cause du dérèglement
des hommes. Qu'y a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gouverner
un État, le premier fils d'une reine?
On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des
voyageurs qui est de la meilleure maison. Cette loi serait ridicule et
injuste; mais parce qu'ils le sont et le seront toujours, elle devient
raisonnable et juste, car qui choisira-t-on, le plus vertueux et le plus
habile?
Nous voilà incontinents aux mains, chacun prétendant
être ce plus vertueux et ce plus habile. Attachons donc cette qualité
à quelque choses d'incontestable. C'est le fils aîné
du fils, cela est net, il n'y a point de dispute. La raison ne peut mieux
faire, car la guerre civile est le plus grand des maux.
Le webmestre: Le principe de l'élection démocratique
que semble ignorer Pascal peut faire éviter aussi la guerre civile.
Cela ne fait pas nécessairement des meilleurs dirigeants, la masse
étant peu habilitée à trouver un bon leader.
Pascal, Blaise, 323
Qu'est-ce que le moi? Celui qui aime quelqu'un à
cause de sa bonté, l'aime-t-il? Non: car la petite vérole,
qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera
plus.
Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire,
m'aime-t-on, moi? Non, car je puis perdre mes qualités sans me perdre
moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps,
ni dans l'âme? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour
ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles
sont périssables? car aimerait-on la substance de l'âme d'une
personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela
ne se peut, et serait injuste.
On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Pascal, Blaise, 325
Montaigne a tort: la coutume ne doit être suivie
que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle soit raisonnable ou
juste; mais le peuple la suit par cette seule raison qu'il la croit juste.
Pascal, Blaise, 326 Injustice
Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont
pas justes, car il n'obéit qu'à cause qu'il les croit justes.
C'est pourquoi il lui faut dire en même temps qu'il y faut obéir
aux supérieurs, non pas parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils
sont supérieurs. Par là, voilà toute sédition
prévenue si on peut faire entendre cela et ce que c'est proprement
que la définition de la justice.
Pascal, Blaise, 328 Raison des effets
- Renversement continuel du pour au contre
Nous avons donc montré que l'homme est vain, par
l'estime qu'il fait des choses qui ne sont point essentielles; et toutes
ces opinions sont détruites. Nous avons montré ensuite que
toutes ces opinions sont très saines, et qu'ainsi, toutes ces vanités
étaient très bien fondées, le peuple n'est pas si
vain qu'on dit; et ainsi nous avons détruit l'opinion qui détruisait
celle du peuple.
Mais il faut détruire maintenant cette dernière
proposition, et montrer qu'il demeure toujours vrai que le peuple est vain,
quoique ses opinions soient saines: parce qu'il ne sent pas la vérité
où elle est, et que, la mettant où elle n'est pas, ses opinions
sont toujours très fausses et très mal saines.
Pascal, Blaise, 333
N'avez-vous jamais vu des gens qui, pour se plaindre du
peu d'état que vous faites d'eux, vous étalent l'exemple
de gens de condition qui les estiment? Je leur répondrais à
cela: «Montrez-moi le mérite par où vous avez charmé
ces personnes et je vous estimerai de même.»
Pascal, Blaise, 338
Les vrais chrétiens obéissent aux folies
néanmoins, non pas qu'ils respectent les folies, mais l'ordre de
Dieu, qui, pour la punition des hommes, les a asservis à ces folies;
omnis creatura subjecta est vanitati (toute créature est asservie
à la vanité) Ec.3:19 Liberabitur (elle en sera libérée)
Ro.8:20-21