2. A cet examen, mon âme s'exalte, et je deviens plus pressant,
plus hardi dans mes voeux.
Je considère l'ardeur de cette foi, cette témérité
pleine de confiance et de respect. Oh !
venez donc, disciples de Jésus Christ, ses bien-aimés,
ses élus, venez puiser de la joie dans
ce récit qui recommande à votre admiration cette sainte
femme, dont la voix vous invite et
vous convie à toute heure à ce banquet divin.
Oui, c'est un spectacle vraiment digne de Dieu que celui qui vous montre
une femme :
devenue tout à la fois convive, et des hommes et des anges.
Mais comment est-elle entrée
au milieu d'eux, elle qui n'avait point été appelée
? Pourquoi s'est-elle approchée du Sauveur
pour Lui dévoiler les secrets de son âme, pour les Lui
exposer sans prononcer une parole ?
Voyez la grandeur de sa foi, la profondeur de ses regrets, et comme
elle se réfugie
elle-même dans sa propre indignité ! Pleine de résolution
et de courage, elle ne redoute ni
les insultes des valets, ni les reproches des assistants : elle n'a
qu'une pensée, elle se dit à
elle-même : "Si je ne rends mon front aussi dur que le fer, aussi
dur que l'airain, je ne
pourrai jamais sortir de cet océan de luxure où je demeure
plongée. Eh bien, méprisons des
insultes et des railleries d'un instant ! Qu'importent les outrages
? Montrons quelques
moments encore une hardiesse qui, cette fois, a un principe honorable.
C'est le courage d'un
moment qu'il me faut, et ce moment ne m'est-il pas plus précieux
que ces heures coupables
où j'étalais aux yeux des hommes mon impudeur et mon
effronterie ? Alors, du carrefour où
je tendais mes filets, ma voix appelait la jeunesse à des plaisirs
criminels; parée de
vêtements somptueux, je courais au-devant de ceux qui passaient;
je peignais mes cheveux
avec un art, un fard imposteur colorait mon visage; j'attirais ainsi
dans le piège tout jeune
homme imprudent en qui je voyais briller le charme de la beauté
et l'éclat de la richesse. Oui,
j'étais alors le réseau empesté où le démon
jette les âmes qu'attend le jugement éternel.
Maintenant mes efforts ont un autre but; je dois courir, je dois voler
dans la voie du bien, et
racheter mes crimes passés par mes bonnes oeuvres. En sortant
d'ici, j'irai tomber aux pieds
du Médecin qui accueille tout le monde et ne fait acception
de personne. Je Lui avouerai tous
les artifices dont j'ai usé pour séduire la jeunesse;
je dénouerai mes cheveux dont les
longues tresses ont enlacé tant d'hommes voluptueux et corrompus,
et je m'en envelopperai
comme d'un voile; mes paupières et mes yeux, si souvent exercés
à des provocations
honteuses, deviendront des sources de larmes; et je m'attacherai désormais
à suivre les pas
du divin Médecin aux pieds duquel j'humilierai ma vie passée."
3. Après avoir pris cette sage résolution, la pécheresse
épiait le moment où elle pourrait
satisfaire son désir le plus violent, et embrasser les Pieds
du Seigneur. Dès qu'elle sut qu'un
pharisien nommé Simon avait invité le Sauveur, elle ressentit
une joie extrême (Lc 7) et
s'empressa de courir au plus vite chez un marchand d'aromates, pour
y acheter un vase
d'albâtre rempli de parfum. Elle se disait en chemin : "Où
pourrais-je trouver un parfum assez
exquis, qui soit digne de la sainteté du grand Médecin,
et dont je puisse Lui faire hommage
avec mes larmes ?
Rien ne me coûtera pour posséder l'objet de mes voeux.
Je demanderai avec instance au
marchand, ou plutôt je le conjurerai, au Nom du Dieu des patriarches,
dans lequel ce peuple
met sa foi, de me donner un parfum de roi en l'honneur du divin Médecin;
je lui en donnerai
le prix le plus élevé." Elle va donc trouver un marchand.
"Que la paix soit avec vous, lui
dit-elle, sur le ton de la joie la plus vive; je cherche un parfum
exquis et digne d'un roi, et tel
qu'on n'en ait jamais trouvé de semblable, car Celui que j'aime
est au-dessus de tous, et nul
ne peut Lui être comparé." Le marchand lui répondit
: "Femme, vous élevez bien haut l'orgueil
de vos prétentions. Qui ne vous a pas vue dans les carrefours
de la ville, environnée d'une
foule d'adorateurs ? Et quel est l'amant fortuné auquel vous
désirez offrir ce parfum
précieux ? Que peut-il donc vous donner en échange de
ce parfum, que vous voulez payer si
cher ? Je veux bien vous le vendre; mais je désirerais aussi
savoir de vous à qui vous voulez
le porter avec tant de zèle et de trouble d'esprit ? Celui que
vous aimez est-il du sang royal ?
Est-ce le fils de quelque grand personnage ? Ou bien est-il sorti de
l'illustre et admirable race
de David ? Il n'y a pas eu dans Israël de plus grand roi que celui-là
Ce jeune homme, votre
ami, est-il issu de cette noble race ? Femme, répondez-moi,
je désire l'apprendre de votre
bouche. Le prix élevé de ce parfum et votre empressement
excitent ma surprise et mon
admiration; votre amant, enfin, quel est-il ?"
4. Alors le trouble s'empara de l'esprit cette femme extraordinaire,
et elle répondit en ces
termes : "Craignez le Dieu de vos pères, homme, et donnez-moi
un vase d'albâtre rempli
parfum, pour que j'accomplisse au plus vite que j'ai résolu
de faire; je vous en conjure Nom
du Dieu qui a donné assez de puissance à Moïse pour
diviser par son bâton les eaux de la
mer, pour les rendre aussi dures qu'un rocher et faire passer le peuple
à pied sec (Ex 14); je
vous en conjure par les os sacrés que porta Moïse, au sein
de la mer transformée en vallée
(Gn 50,24), par les restes de Joseph, l'illustre athlète qui
avait vaincu le serpent de la
corruption (Gn 39); je vous en conjure, ô jeune homme, par la
voix sainte qui parlait à Moïse
dans la flamme dont brûlait le buisson qui ne se consumait pas
(Ex 3,3), par Celui qui fit
briller sur la montagne la figure de Moïse, et l'environna de
gloire et de splendeur (Ex 34); je
vous en conjure par l'arche sainte qui affermit les eaux du Jourdain,
pour donner un libre
passage au peuple de Dieu. Je vous en conjure par cette Vertu divine,
qui en un instant
renversa les murailles de la ville de Jéricho, par l'entremise
de Josué, fils de Navé, qui, les
mains étendues vers le ciel, arrêta d'un seul mot le cours
des astres et de deux jours n'en fit
qu'un (Jos 3, 4, 5, 6 et 10). Si donc vous avez quelque respect, quelque
sentiment de
vénération pour le Nom de Dieu et pour celui des saints
qui lui ont été agréables, donnez-moi
le parfum que je vous demande, et laissez-moi partir, laissez-moi courir
aux Pieds de Celui
que j'aime et dont la pureté égale la grandeur."
5. "Sans doute, lui répliqua le marchand, j'admire l'élévation
du prix que vous m'offrez; mais
qui vous empêche de me dire quel est ce bien-aimé qui
a su vous inspirer tant d'amour et
d'ardeur ? En vérité, je suis fort curieux de le voir,
et je ne puis vous donner le parfum que
vous me demandez, avant que vous me l'ayez fait connaître."
6. "Pourquoi, dit la pécheresse, me presser et m'importuner ainsi,
en cherchant à connaître ce
que vous ne devez pas savoir ? Mon âme est brûlante, mon
coeur est tout de feu. Quand
enfin verrai-je Celui qui doit me remplir de joie ? Craignez un Dieu
pur et sans tache, ô
homme, et hâtez-vous de me donner une réponse satisfaisante.
Craignez, ô homme, le Dieu saint qui appela Abraham, glorifia
son fils Isaac, qui appela
Jacob Israël, et en fit le père de douze tribus (Gn 17,22
et 32). Craignez le Dieu qui accorda
Samuel aux prières et aux larmes d'Anne (2 R 1). Craignez le
Dieu juste qui délivra Suzanne,
la douce brebis, de la fureur des loups (Dn 13). Croyez-moi, cédez
à mes voeux; l'âge n'a
point encore endurci votre coeur; donnez-moi sans retour le vase d'albâtre
et le parfum que
je vous demande. Si vous pouviez connaître l'ardeur qui me dévore,
vous vous hâteriez de me
laisser partir. "
7. "Mais, lui dit encore le marchand, permettez que je vous adresse
quelques questions.
écoutez-moi, femme, vous m'avez longuement prié et conjuré
de vous accorder votre
demande, et moi, je vous ai pressée de me répondre. Il
est donc bien supérieur aux autres
hommes et bien au-dessus d'eux, celui que vous aimez ? Il est donc
plus beau que tous ceux
qui sont sur la terre, puisque ses charmes vous ont éblouie
au point de vouloir lui porter un
parfum précieux ? Est-il de la race du saint roi David ? Du
grand Abraham, l'ami du
Très-Haut ? Dites-moi enfin quel est celui dont la beauté
vous fait désirer si vivement de le
voir et de le contempler ?"
8. "Pourquoi, réplique la pécheresse, pourquoi me forcer
ainsi à dévoiler mes secrets ? Je ne
suis pas venue pour vous donner ces explications, je suis venue pour
acheter un parfum.
Respectez le Dieu sans tache, ayez pitié de moi, et laissez-moi
partir, laissez-moi courir près
de l'objet pur et sacré de mon amour, et Lui offrir mon présent.
Ne me retardez pas
davantage et ne rendez pas ma douleur éternelle en me privant
d'un si riche trésor."
9. "Mais enfin, reprit le marchand, si vous n'êtes pas tourmentée
de quelque jalousie secrète,
faites-moi connaître votre bienfaiteur, afin que je m'empresse
d'aller moi-même l'embrasser;
à ce prix, je vous donnerai le parfum royal que vous me demandez.
Vous pouvez même
trouver en moi, je l'espère, un soutien de vos espérances
que je partage."
10. La pécheresse, voyant quelle foule de questions lui adressait
le marchand, ne put
s'empêcher d'admirer avec quel empressement il manifestait le
désir violent de connaître
Celui dont elle avait parlé, et elle lui répondit en
ces termes : "Personne, je pense, n'ignore
dans la ville l'indignité de ma vie passée, les désordres
honteux dans lesquels je me suis
jetée, en y entraînant les autres par l'appât du
plaisir. Mais dès que j'ai pu voir le Saint qui
est apparu sur la terre, ce Médecin, ce Sauveur, mon âme
a été touchée de sa Beauté si pure.
J'ai vu de mes propres yeux ses moyens extraordinaires de guérison,
ses miracles
incomparables, sa Miséricorde et son Indulgence extrême.
Il accueille les pécheurs, ne craint
pas l'approche des publicains, ne repousse ni les lépreux, ni
même les impies; tous ont un
droit égal à sa Commisération, et Il ne S'irrite
contre aucun de ceux qui L'approchent Ce
touchant spectacle m'a émue, et je me suis dit : Malheureuse
que je suis, comment
pourrai-je vivre, si je n'ose m'en approcher ! l'oserai-je toutefois,
du sein de la corruption qui
me dévore ? Mais pourquoi négliger le soin de ma propre
vie ? trouverai-je jamais un médecin
plus habile et une plus heureuse occasion ? Je suis persuadée
que c'est un Dieu qui est
apparu environné d'un grand pouvoir et d'une grande autorité.
Il commande à tout par sa
Parole; par sa Parole, Il guérit les malades, et, toujours libre
et indépendant dans sa Volonté
puissante, Il remet les péchés aux coupables. Puisque
enfin, j'ai trouvé une si belle occasion
et un si grand Médecin, je ne dois pas m'endormir dans un repos
funeste, ni négliger ma
propre guérison. Courons donc présenter au souverain
Juge la liste de mes fautes; je sais que
j'ai péché au-delà de toute mesure, et je ne puis
dire tout ce qu'il y a en moi d'impureté et
de débauche. Cependant, comparés à l'abondance
de sa Miséricorde, aux trésors de sa Pitié,
mes péchés, quelque nombreux qu'ils soient, ne sont qu'une
goutte d'eau, et j'ai la conviction
que, si j'ai seulement le bonheur de m'approcher de Lui, je serai purifiée
de toutes mes
fautes et de toutes mes iniquités, parce qu'Il fera sortir de
moi tout ce qu'il y a de
dérèglements et d'injustices, tant sont grandes sa Divinité,
sa Sainteté et son Innocence.
Voilà tous les secrets de mon coeur : maintenant donnez-moi
le parfum, car depuis
longtemps déjà vous me retardez pour apprendre de moi
à qui je veux l'offrir."
11. A ces paroles, le marchand se sentit pénétré
de joie, et s'adressant à la pécheresse : "Je
vous rends grâces, ô femme pleine de foi, lui dit-il, de
m'avoir fait connaître la bonne
résolution et la bonne volonté qui vous animent. Vous
avez conquis un Ami descendu du ciel,
qui purifie et sanctifie tout par sa Parole. Ô femme, ce que
vous voulez faire est une oeuvre
admirable, qui mérite tous les éloges et qui ne sera
pas sans fruit pour toutes les
générations. Oui, cette conversion est heureuse pour
vous d'abord, et encore pour tous ceux
qui ont péché. Vous êtes fille des prophètes
et parente des saints qui ont une foi vive et
sincère dans la Bonté de Dieu. Souffrez que je vous donne
un conseil, que je vous prie
surtout de prendre en bonne part, sans y voir même l'intention
d'un reproche. Vous n'ignorez
certainement pas la méchanceté des pharisiens, qui se
sont déclarés ses ennemis et ses
adversaires, parce qu'Il est un Dieu puissant, qu'Il aime souverainement
les humains et qu'Il
les délivre du péché par sa Bonté et sa
Miséricorde. Si donc ils vous voient aller à Lui, ils
vous fermeront la porte, ils vous accableront même d'injures
et de coups. Que leurs paroles
n'ébranlent point votre courage, mais restez aussi ferme et
aussi inébranlable qu'un rocher.
Si vos débordements ont dépassé toute limite,
si vous avez été audacieuse dans le crime,
combien ne devez-vous pas l'être davantage, pour travailler à
votre purification ! Il peut
arriver que les hommes libres et les esclaves, les valets, les portiers
vous accablent de
reproches; mais il faut tout braver, vous avancer avec courage et avec
une humilité profonde
vers le Saint Lui-même, ainsi que vous me l'avez dit, et embrasser
avec repentir ses Pieds si
purs; alors vous serez heureuse. J'ai appris qu'Il est aujourd'hui
même dans la maison de
Simon, un des pharisiens. Allez donc en paix, entrez avec joie, abordez-Le
sans crainte, Il
acceptera votre présent. Voilà le parfum précieux
que vous m'avez demandé; il est digne du
Sauveur, prenez-le, femme remplie de foi, et ne m'oubliez pas dans
vos prières."
12. Après avoir pris le vase, la pécheresse s'en alla
joyeuse, se disant en elle-même : "Qui
m'ouvrira la porte pour que j'approche aussitôt du divin Médecin
? Si je puis embrasser ses
Genoux, rien ne pourra m'en arracher avant que j'aie reçu le
pardon de mes fautes.
J'adresserai mes ferventes prières au Seigneur, qui déjà
connaissait tous mes secrets avant
que je pensasse à aller Le trouver; Il connaît toutes
choses. Je vais au bon Médecin, je vais
voir le Sauveur du monde et implorer sa Clémence et sa Miséricorde
" Puis, la pécheresse,
comme si elle s'adressait au Seigneur et au Dieu saint, s'écriait
: "Seigneur, voilà que Tu Te
reposes, comme un homme ordinaire, dans la maison de Simon; Tu connais
les secrets de
mon âme, ô Christ, et la pensée de mon esprit; je
T'apporte un parfum précieux, pour être
purifiée de toutes les fautes que j'ai commises, quand je serai
près de Toi, prosternée aux
pieds de ta Divinité souveraine. J'ai compris, Seigneur, que
Tu es le Dieu bon qui sauves tous
les hommes par ta Miséricorde, qui ne veux pas la mort du pécheur
qui va volontairement à
Toi qui es le Sauveur. Il m'a suffi de T'apercevoir pour comprendre
toute l'étendue de ta
Puissance. Fais-moi la grâce, Dieu clément, d'entrer sans
obstacle dans le lieu où Tu es, et
d'arriver ainsi jusqu'à Toi."
13. Tout en roulant ces pensées et mille autres dans son esprit
inquiet, la pécheresse arriva
à la maison où se trouvait le Christ. La porte était
ouverte; elle entra toute joyeuse, et se
mit aussitôt derrière le Seigneur; elle se pencha sur
ses Pieds avec la foi la plus vive, et,
humiliant sa tête et son coeur d'où s'exhalaient des soupirs
sans nombre, elle arrosa les
Pieds de Jésus Christ d'un torrent de larmes, et les embrassa
avec une émotion et une
tendresse profondes : elle les essuya avec ses cheveux et les arrosa
de parfums, en disant :
"Il n'y a que Toi, Seigneur, qui saches pourquoi j'ai osé agir
ainsi. Seigneur, je sais combien
j'ai péché; mais je me suis approchée avec confiance
du Dieu pur, et, comme les publicains,
j'ai marché vers Lui parce que je désirais être
sauvée. Christ, accepte mes abondantes
larmes; accepte les regrets de mon âme criminelle. Que ma hardiesse
se change en
supplication, mon effronterie en prière, que mon parfum soit
une offrande de propitiation, ô
mon Sauveur ! et que la contrition de mon coeur fasse jaillir la lumière.
J'ai entendu dire à
tout le monde, dans mon enfance, qu'un Dieu était né
d'une Vierge, et, brûlant d'en
apprendre davantage, je demandais comment il se pouvait que Celui qui
n'avait pas de chair,
pût être incarné. Mes parents me répondaient
que nos ancêtres nous avaient laissé cette
tradition qu'un Dieu saint naîtrait sur la terre du sein d'une
Vierge. J'étais encore bien jeune,
quand j'ai appris cela, et maintenant je vois qu'en vérité
un Dieu grand, un Dieu saint est
apparu dans notre chair, afin de nous sauver. Je ne Te vois pas des
mêmes yeux que Simon
le pharisien, qui T'a invité à sa table. Je vois en Toi
le Dieu puissant, le Créateur de toutes
choses, qui, d'un seul mot, a fait l'univers. Je suis une brebis entraînée
loin du troupeau,
fais-moi rentrer dans la bergerie. Seul Tu es le bon pasteur qui ramènes
les brebis égarées,
Seigneur, je suis Ta colombe, qu'un cruel épervier a enlevée
: mon âme est embrasée d'un
violent amour pour la Sainteté de mon Dieu. Que ta Bonté
généreuse, ô Source de toute
pureté, me délivre du poids de mes souillures et de mes
iniquités. Ô Dieu ! dans ta Clémence
extrême, substitue à mon parfum et à mes larmes
l'action de ta Grâce, pour effacer les traces
de mes péchés et accomplir ma purification. Tu as daigné
ouvrir ma bouche et m'inspirer le
courage de Te parler comme je le fais, pour que je serve d'exemple
aux pêcheurs pour le
salut desquels Tu es venu. Seigneur, je T'en supplie, ne rejette pas
les larmes d'une
infortunée; je sais que rien ne T'est impossible et que Tu peux
tout."
14. C'est du fond de son coeur que la pécheresse priait le Seigneur,
dont les coeurs des
hommes sont l'ouvrage. Elle reçut, en échange de son
parfum corruptible, un parfum de vie,
qui doit rester incorruptible pendant l'éternité. Quoique
très grande, la suavité de son parfum
n'était pas comparable à celle des paroles du Sauveur.
Mais avec le parfum, elle offrit aussi
son amour et reçut le pardon de ses fautes. Le Dieu Sauveur
qui a la connaissance de
l'avenir, justifia l'espérance d'une âme perdue, sans
parler des fautes secrètes que cette
femme héroïque avait commises; Il ne fit attention qu'à
son amour.
15. En réfléchissant sur ce fait, mes chers frères,
j'ai été extraordinairement surpris de la
manière dont elle est entrée et dont elle a abordé
sans crainte le Seigneur, de la voir pleurer
en présence de tous les convives qui étaient assis à
table; de la liberté et de la hardiesse
avec laquelle elle dénoua ses cheveux, des pleurs modestes dont
elle arrosa les Pieds du
Christ, et surtout, j'ai été surpris de ce que personne
n'essaya de la chasser, en se livrant
contre elle à l'indignation et à la colère.
Ses pleurs, au contraire, leur parurent suaves et agréables,
et ses gémissements pleins de
douceur. La nouveauté du fait dont ils étaient témoins
les rendit muets d'admiration. C'était
un miracle nouveau et inouï qu'une courtisane qu'on n'avait point
invitée, fût entrée dans la
salle de festin, se tînt près de la table, les cheveux
épars sur sa poitrine; qu'elle eût dans
ses mains un vase d'albâtre rempli d'un parfum précieux,
et que personne, ni parmi les
assistants, ni parmi les convives, qui lui eût demandé
: "Pourquoi es-tu entrée ici ?" ou qui
lui eût dit : "Qui cherches-tu ?" Cette merveille fut accueillie
par tous avec joie, et c'était un
spectacle vraiment digne d'admiration. Tous les archanges étaient
saisis d'effroi; les
chérubins et les séraphins étaient frappés
de crainte en contemplant la foi si vive de la
pécheresse, qui embrassait avec ferveur les Pieds du Tout-Puissant.
Et tandis que les
chérubins eux-mêmes n'osent arrêter leurs regards
sur Lui, une femme pécheresse couvre ses
Pieds de baisers. Les séraphins se couvrent la face de leurs
ailes (As 6,2), et la femme
pécheresse est sans voile. Les anges ne peuvent approcher de
son Trône, et une femme
essuie ses Pieds avec ses cheveux.
16. Ô femme remplie de foi, en quels termes ferai-je l'éloge
d'une résolution aussi précieuse
par sa ferveur et son amour ? ô femme, comment louerai-je l'étendue
et la perfection de
l'espérance que votre âme mit en Dieu ? Qui donc a autant
aimé que vous ? quel homme a su
plaire au Seigneur autant que vous ?
17. C'est pour le salut du genre humain que le Sauveur, dans sa Clémence,
distribue ses
Grâces; c'est pour allumer dans les coeurs la foi nécessaire
à ceux qui, retenus dans les liens
du péché, veulent recourir à la pénitence.
Cependant, en considérant la pécheresse, en
voyant ses prières et ses larmes, le pharisien ressentit un
trouble profond. Le désir de faire
pénitence l'avait fait inviter Jésus à venir dans
sa maison comme étant un prophète; alors
des murmures s'élevèrent dans son coeur, et il se dit
à lui-même : "Je le croyais un prophète
doué de la prescience de l'avenir, de la connaissance du passé;
enfin, un prophète parfait;
mais je vois maintenant qu'il est semblable à tous les autres
hommes, et qu'il ne connaît pas
même les choses qui sont devant lui." 18. Mais le Seigneur, qui
scrute sans cesse les secrets
des coeurs qu'Il a créés (Rom 8,27), ne voulut pas reprendre
durement cet homme; Il préféra
porter insensiblement la lumière dans la nuit de ses pensées
secrètes. Ce fut avec une
grande douceur et une grande bonté qu'à la faveur d'une
figure, Il lui fit connaître ce qu'Il
pensait. "Simon, Simon, lui dit-Il, j'ai une parabole à te proposer,
et je veux te faire juge de
mes paroles. Deux hommes devaient à un même créancier,
l'un cinquante pièces d'or et
l'autre cinq cents. Tous deux étaient tombés dans la
pauvreté; mais le créancier généreux,
voyant leur gêne extrême, fit à chacun remise de
sa dette et donna ainsi à tous deux des
preuves éclatantes de sa miséricorde. Que penses-tu de
ces deux hommes ? Lequel doit le
plus aimer son créancier ? Est-ce celui à qui on a moins
remis ou celui à qui on a remis
davantage ? car enfin chacun a reçu de lui la remise de sa dette
(Lc 7,40-42)."
19. Simon répondit : "Celui à qui on a remis le plus est
certainement celui qui doit le plus
aimer." "Tu as bien jugé, dit le Seigneur; apprends donc ce
que tu ignores : tu M'as invité à
venir dans ta maison pour Me faire honneur; mais tu n'as pas lavé
mes Pieds avec de l'eau
comme à un prophète. Cette femme que tu vois, les a lavés
avec ses larmes et les a essuyés
avec ses cheveux. Simon, tu ne M'as pas donné un baiser et elle
a sans cesse embrassé mes
Pieds. Tu n'as pas versé d'huile sur ma Tête : elle, au
contraire, a versé sur mes Pieds un
parfum précieux. Aussi, Je te le dis, beaucoup de péchés
que tu crois que J'ignore sont remis
à cette femme, parce qu'elle a montré beaucoup de charité
et d'amour pour obtenir la
rémission de ses fautes. Il sera moins remis à celui
qui aime moins,
et celui qui aime plus recevra davantage (Lc 7,43-47). Cependant que
le salut de cette
pécheresse ne te scandalise pas; Je suis venu sauver les pécheurs
et pour éclairer ceux qui
sont dans les ténèbres. Rahab donna asile à des
espions, elle avait une ferme confiance dans
le Dieu des patriarches, et tu sais comment Josué, fils de Navé,
après avoir reconnu l'étendue
de sa foi, la sauva, pour que son nom fût écrit dans toutes
les générations. Sa renommée
retentit dans les douze tribus d'Israël; c'est ainsi que Je traite
cette pécheresse. Elle M'a
aimé avec une foi profonde et une charité parfaite; c'est
aussi de tout mon Coeur et de toute
mon Ame que J'accepte cette femme extraordinaire. Elle sera mise au
nombre des justes qui
M'ont aimé; ses péchés lui seront remis; son nom
demeurera dans les siècles des siècles; de
génération en génération on fera l'éloge
de sa conduite, pour en perpétuer le souvenir, et
pour que tous les hommes, en apprenant sa belle action, aiment aussi
les bonnes oeuvres, et
participent au trésor des richesses éternelles." Plaise
à Dieu que nous devenions les
imitateurs de cette femme héroïque, et qu'après
avoir confessé nos péchés, nous les expiions
par nos larmes et nous nous rendions dignes de la Clémence et
de la Bonté du Saint des
Saints. Gloire soit au Père, au Fils et au saint Esprit, maintenant
et toujours et dans les
siècles des siècles. Amen.
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Tout est vanité
Malheur à nous
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